Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 22 octobre 2015 à 10h30
Signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur François Pillet, madame Giudicelli, qui êtes à l’origine de ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, en moins d’un an, la Haute Assemblée nous aura donné plusieurs occasions de parler de protection de l’enfance. Par deux fois, c'est sur l’initiative du Sénat que nous avons débattu, échangé et cherché ensemble à faire émerger le plus possible, dans des dispositions législatives, l’intérêt de l’enfant.

Le cheminement parlementaire de la proposition de loi rédigée par Colette Giudicelli nous offre une nouvelle possibilité de mettre en lumière cette politique publique, à trois semaines de l’anniversaire de la Convention des droits de l’enfant et à trois mois de l’examen de la France par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU.

Nous en sommes collectivement convenus lors de nos précédents échanges : la protection de l’enfance est depuis trop longtemps dans l’angle mort des politiques publiques. Les acteurs que j’ai rencontrés lors de mes déplacements ou dans le cadre de la concertation que j’ai menée me l’ont tous confirmé.

La protection de l’enfance mérite mieux qu’un regard furtif qu’on ne poserait que lorsque des drames se produisent. Elle mérite qu’on écoute les enfants confiés ou accompagnés par les services de l’aide sociale à l’enfance. Elle mérite la mobilisation de celles et ceux qui écrivent la loi comme de celles et ceux qui la mettent en œuvre. Elle mérite l’engagement du Gouvernement et du législateur.

Parmi les nombreux professionnels intervenant dans le parcours d’un enfant qui est, ou doit être, accompagné par les services de l’aide sociale à l’enfance, la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui traite de la place et du rôle des médecins et, plus généralement, des professionnels de santé.

Les professionnels de santé sont souvent les premières personnes avec qui l’enfant entre en contact, en dehors de sa famille. À la maternité tout d’abord, puis aux premiers âges de la vie, l’enfant voit régulièrement le médecin, pour son suivi, sa croissance, ses vaccins ou simplement parce que les parents s’inquiètent, se posent légitimement des questions.

La proximité et la régularité des rencontres font des médecins des professionnels particulièrement à même de voir, d’entendre, de comprendre des phénomènes de maltraitance sur les enfants.

Les professionnels de santé sont des acteurs de la protection de l’enfance. Nous devons les envisager comme tels parce que la lutte contre la maltraitance est une question de santé publique, non une question de société. J’en veux pour preuve les recommandations de la Haute Autorité de santé qui les invitent à s’inscrire, en tant qu’acteurs du repérage, comme parties prenantes de la protection de l’enfance.

La maltraitance des enfants porte encore les stigmates de son histoire, de son long chemin pour s’affirmer comme un fait social, pour s’affirmer dans la sphère publique. Il faut ajouter à cela le rôle que l’on confère au médecin de famille, ou dont il s’investit lui-même : celui de confident, de détenteur de tous les secrets.

Le résultat est totalement insatisfaisant. Les médecins ne signalent pas assez : en 2002, seulement 2 % à 5 % des signalements émanaient des médecins. Comment mieux mobiliser ces professionnels au repérage des signes de souffrance chez les enfants, à la révélation des mauvais traitements dont ils sont parfois les victimes ?

Il reste, comme toujours dans le domaine de la protection de l’enfance, un peu de notre imaginaire collectif à déconstruire. Mais il faut aussi s’attaquer aux causes tangibles de ce déficit de participation des professionnels de santé.

La cause essentielle, c’est la crainte d’être poursuivi, sur le plan disciplinaire ou pénal, pour diffamation ou pour avoir trahi le secret médical. Pourtant, depuis plus de dix ans et la promulgation de deux lois, cette crainte n’a plus lieu d’être.

Un premier pas a été franchi avec la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfant, qui a inscrit à l’article 226-14 du code pénal l’irresponsabilité disciplinaire des médecins procédant à un signalement.

S’y ajoute la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, que M. le président de la commission des lois connaît bien pour l’avoir défendue à l’époque : c'est une bonne loi, et elle a été saluée comme telle, car a permis de réaliser une avancée importante dans le repérage des maltraitances.

L’introduction dans le droit de la notion d’information préoccupante et la création, dans chaque département, de cellules de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes, les CRIP, constituent en effet des avancées manifestes, notamment en ce qu’elles ouvrent la possibilité d’intervenir non pas quand l’enfant est en danger, mais dès qu’un risque de danger est identifié.

Surtout, la loi du 5 mars 2007 fixe le cadre légal de l’échange d’informations à caractère secret pour permettre l’exercice de la mission de protection de l’enfance. Le partage des informations et l’aménagement du secret professionnel prévus par la loi ouvraient ainsi, dès 2007, une véritable troisième voie aux professionnels de santé, souvent tiraillés entre le devoir du signalement, de la dénonciation, et l’obligation de se taire : la possibilité du partage et de l’échange avec d’autres professionnels, eux aussi soumis au secret, pour compléter un diagnostic ou envisager une procédure de signalement.

Je rappelle en outre que, si la loi a levé les freins de manière à permettre aux médecins de formuler en confiance informations préoccupantes ou signalements, elle est en revanche très sévère, et cela est bien naturel, lorsque la non-assistance à personne en danger est avérée. Nous parlons non plus de sanctions disciplinaires, mais de peines d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans.

Par ailleurs, des outils ont été mis à la disposition des médecins pour les aider à mettre en œuvre ces procédures difficiles, en toute confiance. Pour favoriser cette confiance, la Haute Autorité de santé a élaboré un modèle type de signalement, un certificat sur demande spontanée, ou une fiche intitulée « Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir », permettant d’aider les professionnels de santé.

Les médecins ont ainsi à portée de main tous les outils nécessaires au signalement des situations de danger. L’étape suivante est de faire en sorte qu’ils puissent se les approprier. Nous pouvons les y aider en favorisant la visibilité et la lisibilité de ces outils.

L’article 1er de la proposition de loi – les deux autres articles ayant été adoptés conformes – ne modifie pas le droit en tant que tel, mais il l’affirme. Il faut dissiper totalement l’approche faussée de la réalité et du droit que peuvent avoir les médecins, afin d’améliorer significativement leur implication dans la lutte contre les violences faites aux enfants.

C’est ce à quoi, madame Giudicelli, contribue votre proposition de loi, que le Gouvernement, dans cette perspective, soutient évidemment. Elle concourra à mettre à bas ces approches faussées et surtout à libérer les médecins, ou du moins à les convaincre de se libérer des inquiétudes qu’ils éprouvent au moment d’effectuer un signalement.

L’amélioration du repérage des situations de danger est un enjeu majeur. Elle constitue l’un des trois grands objectifs de la feuille de route 2015-2017 pour la protection de l’enfance que j’ai élaborée avec les acteurs concernés, à l’issue d’une grande concertation.

Les médecins ont bien évidemment été associés à cette concertation et leur rôle valorisé dans les mesures de la feuille de route. Je pense à la désignation, dans chaque département, d’un médecin référent chargé d’organiser les relations entre les services du département, la CRIP et les médecins.

Le Sénat a souhaité, lors de l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, véhicule législatif de cette mesure, que ne soit pas spécifiquement désigné un médecin pour cette coordination. Le Gouvernement continue, quant à lui, d’être attaché à ce qu’un médecin puisse être identifié, afin de faciliter les relations avec les autres médecins, libéraux ou hospitaliers, et rejoint à ce titre l’avis de la Haute Autorité de santé.

Si je m’attarde sur la loi relative à la protection de l’enfant, c’est pour souligner toute la place qu’aurait trouvée la réflexion de Mme Giudicelli au sein de la démarche qui, au fil des mois, a constitué une véritable réforme de la protection de l’enfance.

Bien sûr, étudier ce texte comme nous le faisons aujourd’hui nous donne plus d’occasions d’être ensemble, et je m’en réjouis ! §Mais je regrette tout de même de devoir aborder le rôle des médecins dans les signalements de maltraitance indépendamment de la réforme globale de la protection de l’enfance.

Je le redis, une réforme de la protection de l’enfance est en marche, une réforme pour les enfants, construite avec les acteurs et défendue par eux.

En travaillant à cette réforme, j’ai été sans cesse confrontée à des constats d’interventions cloisonnées, d’acteurs qui ne se parlent pas, de cultures professionnelles qui s’ignorent. Qu’elles soient relatives aux CRIP, à la gouvernance ou aux formations, toutes les mesures de la feuille de route promeuvent l’interdisciplinarité, le décloisonnement des interventions et une approche globale centrée sur l’enfant.

Travailler ensemble, se parler, croiser les regards pour pouvoir répondre au mieux à la pluralité des besoins de l’enfant, telle est la philosophie de la réforme que je porte actuellement.

Alors oui, au regard de l’esprit qui a présidé à la concertation et à l’élaboration de la feuille de route, je suis encore une fois convaincue que nous aurions pu, la semaine dernière, discuter aussi des dispositions contenues dans la présente sous forme d’amendements à la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.

Toutefois, ce n’est pas parce que le Gouvernement nourrit quelques regrets sur la forme que le fond doit en pâtir. Oui, nous soutenons les objectifs du texte, car nous considérons que la part des médecins auteurs de signalements ou d’informations préoccupantes est beaucoup trop faible au regard de la proximité qu’ils entretiennent avec les familles. Aussi, je souhaite que ce texte soit un nouveau vecteur d’information et de sensibilisation, qu’il soit un soutien pour l’ensemble des professionnels de santé.

Afin de mieux protéger les enfants, il est en effet essentiel que la coordination entre les professionnels soit améliorée et que les médecins y participent davantage, dans l’intérêt des enfants. Cette proposition de loi nous donne l’occasion de le rappeler et de rassurer les professionnels de santé qui craindraient encore d’être sanctionnés parce qu’ils auraient transmis une information préoccupante ou procédé à un signalement.

Pour améliorer réellement les signalements des médecins, soyons toujours attentifs à ne pas confondre les moyens et les fins. Ce texte est un outil supplémentaire pour les professionnels de santé, mais sa finalité demeure bien de mieux protéger les enfants.

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