Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 22 octobre 2015 à 10h30
Signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, une semaine après avoir débattu de la protection de l’enfant, nous voici à nouveau réunis pour examiner un texte traitant de la douloureuse question de la maltraitance, problème majeur de santé publique qui concerne toutes les catégories sociales et dont les conséquences sont dramatiques.

Pendant très longtemps, les agressions que subissaient les enfants au sein des familles ont été banalisées, voire niées, et leur récit était souvent considéré comme pur mensonge. Si, depuis plusieurs décennies, les dispositifs de prévention et de protection se sont affinés et les condamnations en justice multipliées, force est de constater que la maltraitance reste mal connue et largement sous-estimée.

On dénombre actuellement en France 98 000 cas connus d’enfants en danger, dont 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque. Alors même que ces chiffres sont en eux-mêmes préoccupants, il semblerait que le nombre des cas de maltraitance soit très largement sous-évalué. En vérité, on ne sait pas au juste combien d’enfants sont maltraités parce que nombre d’entre eux ne sont pas repérés : c’est, dans le jargon des spécialistes, le « chiffre noir ».

Pour protéger les victimes, le repérage précoce est donc décisif, et il permet de sauver des vies. Les professionnels de santé, parce qu’ils sont en contact régulier avec les enfants dès leur plus jeune âge, sont en première ligne pour détecter les cas de maltraitance et les signaler aux autorités compétentes.

Or ils sont très peu à le faire. En effet, les médecins ne seraient à l’origine que de 5 % des signalements. Il existe un véritable frein psychologique à s’engager dans une telle démarche ; les médecins ont souvent beaucoup de difficultés à envisager la maltraitance et ils craignent parfois d’être responsables d’une dénonciation calomnieuse.

Une des principales raisons de cette situation réside dans le manque de formation de ces professionnels de santé. Un enseignement théorique a certes été mis en place, mais il comporte un nombre d’heures généralement très faible et ce nombre varie d’une faculté de médecine à l’autre. Une enquête nationale réalisée en 2013 montre ainsi que plus de 80 % des étudiants affirment ne pas avoir reçu de formation sur les violences – sexuelles, physiques, verbales ou psychologiques – alors même que plus de 50 % d’entre eux déclarent avoir eu affaire, durant leur stage, à des patients victimes de telles violences, notamment des femmes.

C’est pourquoi la Haute Autorité de santé a publié, en novembre 2014, une recommandation destinée aux médecins en vue de les sensibiliser au repérage et au signalement de la maltraitance, leur indiquant les indices qui doivent faire envisager une maltraitance et les décisions possibles pour protéger l’enfant. C’est un premier pas, mais il fallait aller plus loin. C’est ce que fait le texte que nous examinons aujourd’hui.

En première lecture, sur proposition de notre commission des affaires sociales, notre assemblée a considérablement enrichi la proposition de loi de notre collègue Colette Giudicelli, que je remercie de son initiative.

Ainsi, le champ d’application du dispositif a été étendu à l’ensemble des membres d’une profession médicale et aux auxiliaires médicaux, et non plus aux seuls médecins. En effet, le médecin de famille n’est pas toujours le mieux placé pour déceler des cas de maltraitance. En revanche, certains professionnels de santé – je pense notamment aux infirmières scolaires ou aux sages-femmes – sont davantage en mesure de signaler ces situations.

Les travaux du Sénat ont également permis que le signalement d’une situation de maltraitance par un professionnel de santé puisse être effectué auprès de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. C’est une très bonne chose, les médecins étant parfois réticents à saisir directement le procureur de la République lorsqu’ils n’ont que de simples doutes.

Par ailleurs, nous avons réaffirmé le principe selon lequel les professionnels de santé qui signalent des maltraitances présumées ne peuvent voir leur responsabilité civile, pénale ou disciplinaire engagée, sauf s’il est établi qu’ils n’ont pas agi de bonne foi.

Enfin, le Sénat a instauré une obligation de formation professionnelle à l’identification des situations de maltraitance et à la procédure de signalement. Face aux situations de maltraitance et aux violences susceptibles de faire l’objet d’un signalement, le renforcement de la formation sur ces questions est plus que nécessaire.

En séance publique, nos collègues de l’Assemblée nationale ont, à juste titre, modifié le champ d’application du régime d’irresponsabilité mis en place en cas de signalement de maltraitance, afin que, en plus des professions médicales et des auxiliaires médicaux, les auxiliaires de puériculture et les pharmaciens soient également concernés par le dispositif. Nous nous en félicitons. En effet, les professionnels de santé sont les acteurs de proximité les plus à même de reconnaître les signes évocateurs d’une maltraitance.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe RDSE apporteront, comme en première lecture, leur soutien total à cette proposition de loi.

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