Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 22 octobre 2015 à 10h30
Signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui en tant que représentante du groupe socialiste et républicain à la place de Jacques Bigot, qui avait suivi ce texte en première lecture, mais qui est aujourd'hui retenu à Strasbourg.

Ce texte a été examiné au fond par la commission des lois, mais vous accepterez, je l’espère, qu’un membre de la commission de la culture s’exprime sur ce sujet qui nous touche tous !

La proposition de loi de notre collègue Colette Giudicelli a jusqu’à présent fait l’objet d’un large consensus, dans notre chambre comme à l’Assemblée nationale. Cette situation n’étant pas si fréquente, nous ne pouvons que nous en féliciter.

Consensus, d’abord, quant à l’objectif de ce texte : faciliter et clarifier la procédure de signalement des enfants victimes de maltraitance. Nous sommes ainsi unis derrière un but commun : protéger les enfants en danger en leur venant en aide le plus tôt possible. Il est parfois nécessaire de rappeler de telles évidences !

Notons cependant que ce souci du législateur – celui-ci étant, en l’espèce, à l’image de notre société elle-même – est relativement récent. L’acceptation sociale d’une immixtion au sein de la cellule familiale ne date que de quelques décennies et a engendré une augmentation notable des situations de violence constatées. Ces cas qui indignent régulièrement – et à raison – l’opinion ne font que sortir de l’invisibilité de sordides et tristes « histoires de familles » qui, voilà quelques années, ne passaient pas le seuil du foyer.

Je salue, bien entendu, ce changement global d’attitude, qui doit être prolongé. Je sais que vous y veillez, madame la secrétaire d’État, comme en témoigne le travail réalisé en commun avec votre ministère sur la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.

Consensus, ensuite, sur le dispositif. En effet, le texte initial créait une obligation de signalement pesant sur le médecin dont nous avons très vite perçu le potentiel effet pervers : l’engagement de la responsabilité de ce dernier en cas de non-signalement. Le rapporteur, M. François Pillet, a donc apporté des précisions en première lecture, au Sénat.

Le texte qui nous est aujourd’hui soumis affirme sans ambiguïté dans son article 1er que les médecins, mais aussi tous les professionnels de santé, ne peuvent voir leur responsabilité pénale, civile ou disciplinaire engagée en cas de signalement, sauf si leur mauvaise foi est avérée.

En me plongeant dans ce dossier, j’ai été surprise d’apprendre que seulement 1 % des signalements étaient le fait de médecins libéraux et 5 % de l’ensemble de la profession médicale. Ces pourcentages, extrêmement bas, sont d’autant plus étonnants que ces professionnels sont les plus susceptibles d’être régulièrement en contact avec les enfants. Cette situation témoigne clairement de la crainte des médecins d’être poursuivis, et c’est cette crainte qu’il est impératif de dissiper.

Par ailleurs, ce texte permet de s’adresser directement à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, afin de lever la réticence de certains médecins à s’adresser directement à l’autorité judiciaire.

Comme vous, chers collègues, j’ai reçu des courriers me demandant de réintroduire l’obligation de signalement. Cependant, je pense qu’il convient de laisser cette possibilité au seul médecin, qui s’en saisira assurément au moment opportun. Cette disposition pourra, en tout état de cause, être évaluée lorsque nous ferons le bilan de cette loi.

Consensus, enfin, quant aux moyens prévus par ce texte : son article 2, adopté conforme au Palais-Bourbon, dispose que les médecins sont formés à la détection et au signalement des situations de maltraitance aux autorités administratives et judiciaires.

Comme nous le disions la semaine dernière dans cet hémicycle, à propos de la lutte contre le système prostitutionnel, la formation est toujours un élément clé, sinon la clé, pour mieux appréhender des situations complexes, devant lesquelles de nombreux professionnels sont aujourd’hui démunis. Et rappelons-nous que, dans 90 % des cas, les situations de maltraitance sont difficiles à caractériser.

Malgré le consensus global auquel le dispositif donnait lieu, nous n’avons pas ignoré le risque de son utilisation à des fins malveillantes. Quand il rédige la loi, le législateur doit songer que certains chercheront à la détourner de son esprit et à l’utiliser à des fins contraires à son objet. Point d’angélisme ici : nous avons bien prévu le cas où le médecin signale de mauvaise foi un prétendu mauvais traitement. Nous connaissons tous des histoires de séparations douloureuses se transformant en véritables guérillas, où tous les moyens sont bons, y compris l’instrumentalisation des enfants, pour nuire à l’autre parent. Il est malheureusement facile d’imaginer comment, dans une telle situation, notre texte pourrait être détourné de ses fins.

Aussi l’alinéa 6 de l’article 1er précise-t-il que cette irresponsabilité tombe s’il est établi que le professionnel de santé « n’a pas agi de bonne foi ». Il appartient alors à celui qui invoque cette mauvaise foi de la démontrer.

Je conclus, mes chers collègues, en espérant que, comme nous l’avons fait le 10 mars dernier, de même que l’Assemblée nationale le 11 juin, nous adopterons ce texte à l’unanimité en seconde lecture. De surcroît, un vote conforme permettrait de clôturer dès ce matin son parcours législatif.

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