Intervention de Nicole Duranton

Réunion du 22 octobre 2015 à 10h30
Signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture une proposition de loi déposée par notre collègue Colette Giudicelli, que je tiens à féliciter.

Ce texte vise à protéger les enfants en renforçant le dispositif de signalement des situations de maltraitance. Il se fonde sur un constat simple : il existe des situations de maltraitance que les médecins ne signalent pas, de crainte de voir leur responsabilité engagée en l’absence de constat effectif de maltraitance.

Le Sénat avait souhaité, en première lecture, étendre le champ d’application du dispositif de signalement aux professions médicales et aux auxiliaires médicaux. Il avait en outre affirmé, de manière très nette, l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire de ces professionnels pour faciliter le signalement d’éventuels cas de maltraitance.

La seule modification apportée par l’Assemblée nationale est l’extension du dispositif à « tout autre professionnel de santé », à savoir les pharmaciens ou encore les auxiliaires de puériculture. Nous examinons donc aujourd’hui un texte quasiment conforme à celui que nous avions adopté en première lecture.

Cela montre simplement que le sujet fait consensus, et c’est fort heureux.

En effet, le nombre de cas connus de maltraitance d’enfants et de jeunes majeurs de moins de vingt et un ans en danger s’élève à 98 000, et l’on compte chaque année en France de 180 à 200 syndromes de « bébés secoués ». La maltraitance est donc très fréquente ; ce n’est pas un phénomène marginal. Elle constitue un problème majeur de santé publique.

L’opinion publique considère trop souvent que la maltraitance des enfants est un phénomène rare, touchant majoritairement des familles défavorisées. Or les risques de la maltraitance existent dans toutes les classes sociales, sans discernement. Plusieurs études l’ont démontré : les facteurs psychoaffectifs priment largement les facteurs socio-économiques. La présence de la maltraitance dans toutes les classes sociales a déjà été démontrée s’agissant des violences conjugales et du syndrome des bébés secoués, pour lesquels nous disposons de données solides.

Si la maltraitance commence le plus souvent de manière précoce. Or l’enfant, aux premiers âges de la vie, est soumis à de nombreux examens médicaux. Les professionnels de santé sont donc en première ligne pour détecter d’éventuelles violences, raison pour laquelle ils occupent une place centrale dans le dispositif de protection de l’enfance. Pourtant, la part des signalements venant du secteur médical est très faible : selon l’ordre des médecins, 2 % à 5 % seulement des signalements émanent du corps médical.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce faible pourcentage.

D’abord, la plupart des facultés de médecine ne font que peu de place à la formation sur la maltraitance dans le cursus des études médicales.

Ensuite, il peut exister des barrières psychologiques : par exemple, lorsque le médecin connaît la famille depuis longtemps, que des liens de proximité et de confiance se sont noués, il lui est plus difficile d’envisager la maltraitance.

Le médecin peut également craindre de voir ce signalement se retourner contre lui et d’être accusé de dénonciation calomnieuse, lui faisant encourir d’éventuelles sanctions disciplinaires, voire pénales.

Le médecin peut encore craindre d’être à origine d’un bouleversement familial et d’aggraver encore la situation de l’enfant. Pour la plupart des médecins, le signalement s’apparente à la mise en marche, de manière irréversible, de toute une machine judiciaire et administrative. Il s’agit pourtant non pas de lancer une accusation, mais seulement de permettre l’ouverture d’une enquête sociale et de protéger l’enfant.

Par ailleurs, le médecin qui signale le risque de maltraitance étant peu informé du devenir de l’enfant, il a souvent le sentiment de ne pas être intégré dans le suivi de l’enfant.

Nous pouvons donc nous réjouir du consensus dont fait l’objet cette proposition de loi. Pour rassurer certains d’entre nous, je rappelle tout de même qu’il ne s’agit pas là d’instaurer une immunité absolue. Le régime de la dénonciation calomnieuse existe toujours et s’applique aussi à ces professionnels. L’article 1er de ce texte tend d’ailleurs à préciser, dans le dernier alinéa de l’article 226-14 du code pénal, que « le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi ». Il ne s’agit donc pas d’une immunité absolue : les auteurs d’un signalement de mauvaise foi en sont exclus.

Aujourd’hui, c’est l’absence de protection qui conduit les professionnels à ne pas signaler les cas de maltraitance, de crainte des poursuites.

Depuis près de vingt ans, la protection de l’enfance s’est à la fois diversifiée et étoffée. Je salue cette proposition de loi, car elle s’inscrit dans un indispensable dispositif de prévention des mauvais traitements infligés aux enfants.

Après la loi du 10 juillet 1989, qui avait notamment instauré un service national d’accueil pour l’enfance maltraitée, assorti d’un numéro vert – le fameux 119 –, puis la loi du 6 mars 2000 qui avait créé un Défenseur des enfants, dont les fonctions ont été reprises par le Défenseur des droits et assumées par l’un de ses trois adjoints, ce texte, en plus d’accorder une irresponsabilité civile aux professionnels de santé, prévoit un véritable effort de formation des personnels placés au contact des enfants.

Pour appuyer le consensus nécessaire qui se dégage autour de cette proposition de loi, je finirai mon propos en citant un seul chiffre : en 2015, comme le souligne le rapport du sénat, 10 % des enfants en France sont victimes de maltraitances.

Adoptons donc ce texte qui va dans le bon sens !

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