Je vous remercie de cet accueil et pour vos mots de bienvenue. Je suis heureuse de m'exprimer devant vous, car je connais votre attachement particulier aux libertés individuelles et à la justice. Le texte comporte en effet des dispositions relatives à trois grands secteurs, étant entendu que le projet Justice du 21e siècle (J 21) complètera ses articles sur la justice commerciale.
L'ambition élevée de garantir à tous nos concitoyens, sur tout le territoire, l'accès à un droit protecteur inspire la politique volontariste que je conduis depuis trois ans en matière de recrutements : ceux qui saisissent les tribunaux - à la suite de litiges familiaux, de la perte de leur emploi ou des difficultés de leur entreprise - sont dans un état de vulnérabilité qui appelle la protection de l'État.
Le rôle des professions réglementées est important dans le cadre de la justice civile et nous les avons associées aux travaux de J 21. Historiquement, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa réponse à une question prioritaire de constitutionnalité le 21 novembre 2014, l'État a délégué certaines prérogatives de puissance publique attachées à sa mission régalienne. Il incombe au ministère de la justice de contrôler les conditions d'exercice de cette délégation. L'authentification notariée, la signification par huissier doivent présenter le même niveau de sécurité juridique qu'un acte étatique. Il nous faut veiller à la probité et à l'indépendance des professionnels du droit, au respect de leurs règles déontologiques et contrôler l'existence de conflits d'intérêt.
Depuis deux ans et demi, nous travaillons avec ces professions dans une relation de confiance qui s'est construite au fil des réunions. Ce travail commun a débouché sur l'adoption de plusieurs lois, d'ordonnances et de décrets. Un sujet comme les tarifs a déjà été traité notamment pour ce qui concerne les tarifs des greffiers de tribunaux de commerce.
Le texte de loi issu des travaux de l'Assemblée nationale s'inscrit dans le même esprit. S'il est important que les professions juridiques réglementées participent à la revitalisation de l'économie, la justice et le droit ne peuvent être abordés sous un angle uniquement économique. L'accès de tous au droit, la sécurité juridique doivent être préservés, la rentabilité financière immédiate dût-elle en pâtir. C'est ce qui explique notre politique tarifaire pour les professions règlementées.
Pour autant, le droit revêt aussi une dimension économique - la réforme du droit des contrats que j'ai présentée en conseil des ministres l'illustre - il doit participer à l'attractivité de notre économie par sa lisibilité et sa prévisibilité et la sécurité qu'il apporte.
Le droit est un bien particulier. Nos réformes visent à appréhender toutes ses dimensions. Le projet de loi, précédé d'une aura sulfureuse, a été très travaillé. Le ministre de l'économie a fait preuve d'une grande ouverture d'esprit. Bien que les logiques économique et juridique diffèrent, nous avons collaboré dans une bonne ambiance. Dans sa version actuelle, le texte combine préservation des principes essentiels et souplesse afin de dynamiser l'activité des professions réglementées, grâce notamment au renouvellement des générations.
Des améliorations peuvent être apportées afin d'éliminer les éventuels effets pernicieux de mesures introduites sans étude d'impact préalable ; la navette entre les deux assemblées devrait y concourir.
La libéralisation de l'installation des notaires d'abord annoncée comme totale est en réalité une libéralisation encadrée, maîtrisée, régulée et concernant uniquement les zones où les professionnels sont trop peu nombreux. La réforme préserve l'économie générale des offices et des études. L'accès des jeunes à ces métiers est facilité, ce à quoi contribuera la disparition à terme de la profession de clerc assermenté.
Les dispositions relatives à l'avocat en entreprise ont été retirées. Le sujet reviendra, mais le dispositif doit être encadré afin de ne pas mettre en péril la profession d'avocat pour répondre aux préoccupations d'un petit nombre.
Nous avons convaincu de conserver la territorialité de la postulation, élargie à la cour d'appel sauf pour quelques matières (aide juridictionnelle, saisie immobilière, licitation-partage). Les enjeux ne concernent pas seulement le bon fonctionnement de la procédure civile mais aussi le maillage territorial des barreaux et l'accès corrélatif aux avocats, notamment en matière pénale. Je ferai preuve de vigilance. Toutefois, l'immobilisme ne constitue pas une réponse aux défis nés des évolutions de la société et de la demande de droit, de l'irruption du numérique et de l'offre de services juridiques émanant de nouveaux acteurs.
Le sujet de l'ouverture du capital des sociétés d'exercice professionnel a été réglé par la loi du 8 mars 2011 de modernisation des professions juridiques et judiciaires, précisée par décret en mars 2014. Mon ministère a fait part de son inquiétude sur le projet d'ouverture de sociétés d'exercice interprofessionnel aux professionnels du chiffre ; l'expertise du Sénat et son exigence déontologique seront précieuses. Il n'y aura ni tiers ni chiffre dans le capital de ces sociétés interprofessionnelles.
Les commissaires aux comptes relèvent de la tutelle du ministère de la justice et les experts-comptables, de celle du ministère de l'économie. En pratique, 80 % des commissaires aux comptes sont des experts-comptables. La modification du périmètre du droit introduite par l'Assemblée nationale soulève des interrogations ; elle pourrait fragiliser notre système de contrôle et de certification des comptes alors qu'il est performant..., ce que j'ai défendu devant l'Union européenne.
La révision des tarifs des actes des professions réglementées est opportune. Certains tarifs étaient trop élevés, d'autres inférieurs au coût des actes. Nous avons plaidé pour une véritable politique tarifaire en lieu et place d'une libéralisation totale qui aurait pu provoquer un dumping et une baisse de la qualité des actes. Nous avons plutôt eu gain de cause. Le champ de compétence, les contributeurs et les finalités du fonds de péréquation interprofessionnel devront encore être précisés.
Ainsi, les principes essentiels sont sauvegardés et la nécessaire souplesse introduite. Au nombre des sujets sur lesquels le Sénat pourra proposer des améliorations, je citerai les dispositions sur la justice commerciale : le projet de création de huit juridictions spécialisées sur le territoire chargées de traiter les plus gros dossiers de redressement-liquidation judiciaires nous a paru risqué. Le texte actuel prévoit une juridiction par cour d'appel, compétente pour les entreprises de plus de 150 salariés dont le chiffre d'affaires dépasse 20 millions d'euros. Aller dans certains cas jusqu'à deux juridictions ne serait pas hérétique. Les seuils peuvent être débattus. Les juges prud'homaux sauront faire du référentiel indicatif en matière prud'homale un outil de progrès.
Enfin, les services de la Chancellerie ont longtemps été dépendants des professionnels en ce qui concerne les éléments statistiques et données chiffrées nécessaires, entre autres, à la maîtrise de la cartographie judiciaire. Ce constat m'a conduite à signer une convention avec la Caisse des dépôts et consignations et l'INSEE. Le texte de loi confie à l'Autorité de la concurrence le soin de fournir des éléments objectifs éclairant la décision politique. Si cela n'est pas choquant, il convient d'éviter d'accorder un pouvoir normatif à cet organisme.