Intervention de Clotilde Valter

Réunion du 26 octobre 2015 à 16h00
Réutilisation des informations du secteur public — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Clotilde Valter :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de vous présenter le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public, premier texte d’une série consacrée à l’open data et qui pose le principe très ambitieux de la gratuité.

La France est en pointe dans le partage des données produites ou détenues par les administrations ou les établissements publics à l’occasion de leur mission de service public. Les rendre disponibles au plus grand nombre stimulera l’activité ; j’y reviendrai.

Cette politique, mise en place depuis 2011, est pilotée par la mission Etalab, sous l’autorité du Premier ministre, grâce à un portail interministériel unique – data.gouv.fr – destiné à mettre à disposition ces données publiques de l’État. À ce jour, la mission Etalab a mis en ligne plus de 20 000 jeux de données publiques.

L’ambition du Gouvernement est très forte dans ce domaine depuis plusieurs années.

Dès le mois de mai 2012, le Président de la République a réaffirmé l’engagement de mettre à disposition gratuitement un grand nombre de données publiques. En octobre 2012, Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, a réaffirmé ce principe, qui a été acté lors du comité interministériel de décembre 2013.

Pourquoi le Gouvernement s’est-il engagé en faveur de cette évolution importante pour notre pays ?

D’abord, parce que la mise à disposition des données publiques est un levier de croissance, d’innovation et d’emplois. Ces données en elles-mêmes n’ont pas de valeur, mais leur réutilisation est génératrice d’activité économique.

Ensuite, parce que c’est un formidable levier de modernisation de l’État. Il s’agit d’un processus d’évolution vers un service public de meilleure qualité, rendu accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à tous, partout sur le territoire et de plus en plus personnalisé, grâce par exemple à l’introduction de la géolocalisation.

Enfin, parce que c’est un levier de rénovation de la démocratie. Vous le savez, la France a pris des engagements internationaux au sein du Partenariat pour le gouvernement ouvert, organisation internationale rassemblant soixante-cinq pays. L’ouverture des données est un moyen de réinventer le débat public, de s’orienter vers une plus grande transparence et une évolution de la gouvernance ; nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir.

Je le rappelle, ce projet de loi procède avant tout à la transposition de la directive européenne du 26 juin 2013 – la deuxième en dix ans. En ma qualité de secrétaire d’État chargée de la simplification, j’ai veillé à limiter les éléments de surtransposition. Je remercie d’ailleurs M. le rapporteur d’avoir été vigilant sur ce point en commission. J’ajoute qu’un certain nombre de dispositions concernant l’open data seront traitées dans le projet de loi pour une République numérique porté par Axelle Lemaire.

La transposition de la directive appelle très peu de mesures législatives dans notre pays, dans la mesure où notre législation est en avance sur celle des autres États. Elle impose néanmoins à la France de revoir sa législation sur trois points : le champ d’application des données réutilisables, la révision périodique des accords d’exclusivité et les principes de tarification de la réutilisation des données publiques. Elle retient, sur certains points, des exigences supérieures à celles qui figurent dans la directive, notamment en posant un principe de gratuité de la réutilisation des données publiques, tandis que le système européen promeut celui de la redevance. Nous aurons sans doute l’occasion de revenir sur ces points à l’occasion de l’examen des articles. Je m’en tiendrai donc à quelques observations.

Le présent texte a pour objet l’élargissement du champ d’application des obligations de rediffusion aux informations contenues dans les documents des établissements culturels : les bibliothèques, y compris universitaires, les musées et les archives. Il tend donc à supprimer le régime particulier qui prévalait auparavant. Ce retour au droit commun permet la diffusion et la réutilisation d’informations publiques à caractère administratif. Le ministère de la culture et de la communication s’est engagé de façon très dynamique dans cette politique d’ouverture des données.

Le projet de loi prévoit également l’encadrement des possibilités de recourir à des accords d’exclusivité.

La directive de 2013 apporte plusieurs modifications au régime des accords d’exclusivité. Elle crée notamment un régime particulier pour la numérisation des ressources culturelles. L’exclusivité porte non sur l’œuvre du domaine public, mais uniquement sur la copie numérisée. Dans tous les cas, une copie libre et gratuite des ressources numérisées est remise aux services ou établissements qui ont accordé le droit d’exclusivité ; nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de cette discussion.

Concernant l’instauration d’un principe de gratuité de la réutilisation des données, la directive européenne vise à plafonner le montant des redevances. Le Gouvernement souhaite, sur ce point, aller plus loin en fixant un principe de gratuité de la réutilisation des données. Nous avons consulté le Conseil d’État, qui a estimé que rien ne s’oppose à ce que le législateur prévoie la gratuité dans le cadre de cette transposition.

Ce principe est assorti de deux dérogations, l’une générale et l’autre particulière. La première s’applique aux organismes qui sont tenus de couvrir par des recettes l’exercice même de leur mission de service public. La seconde autorise le prélèvement de redevances lorsque la réutilisation porte sur des documents issus des opérations de numérisation des fonds et des collections des bibliothèques.

J’en viens aux apports du Sénat, qui sont importants. Je tiens à remercier la commission des lois pour son travail, son président, son rapporteur, M. Hughes Portelli, ainsi que les auteurs des amendements. Certains d’entre eux ont permis d’améliorer le texte, notamment en harmonisant la rédaction sur le « standard ouvert ».

Je souhaite, dès à présent, revenir sur quelques dispositions que vous avez votées et qui posent problème au Gouvernement.

Tout d’abord, vous avez réintroduit, à l’article 1er, un régime dérogatoire de réutilisation pour les informations produites ou reçues par les établissements et institutions d’enseignement et de recherche. Je tiens à vous rassurer sur le principe : il n’est absolument pas dans l’intention du Gouvernement de menacer le secteur de la recherche, qui bénéficie de protections importantes prévues par la loi portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, dite « loi CADA ».

Je veux aussi vous rassurer sur la méthode : croyez bien que nous avons procédé à la consultation des institutions en charge de ce secteur, lequel n’a pas émis de réserve sur les dispositions que proposait le Gouvernement. Je tiens d’ailleurs à le dire, le secteur de la recherche est l’un de ceux qui bénéficie le plus largement de la réouverture des données puisqu’il en est à la fois l’utilisateur et le réutilisateur.

Ensuite, vous avez adopté, à l’article 3, un amendement visant à élargir le champ des administrations habilitées à établir des redevances. Or cette disposition revient sur l’esprit de ce texte, qui est de poser un principe de gratuité et de prévoir la possibilité de redevances de manière très encadrée. Afin de s’inscrire dans la tradition française, le Gouvernement a voulu faire figurer dans la loi les jalons qui avaient été posés en y inscrivant pour la première fois le principe de gratuité, lequel stimule les échanges. Modifier l’équilibre que nous avions retenu serait, à mon sens, un retour en arrière.

Enfin, la rédaction de l’amendement à l’article 4, alinéa 3, qui prévoit que toute réutilisation doit donner lieu à l’établissement d’une licence, nous gêne un peu. Nous avons en effet le sentiment qu’il va produire un résultat inverse à celui que la commission recherchait. Il nous paraît opérer un retour en arrière et être en contradiction avec l’esprit du projet de loi. La volonté d’ouvrir les données et de permettre leur réutilisation gratuite est conforme aux pratiques en Europe. Cet amendement nous semble de nature à freiner la dynamique que nous souhaitons engager, poursuivre et accompagner.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour tout le travail que vous avez accompli. Sachez que je suis à votre disposition pour débattre avec vous de ce texte.

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