Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public, déposé le 31 juillet 2015 sur le bureau de l’Assemblée nationale, constitue la transposition législative de la directive du 26 juin 2013 portant modification de la directive du 17 novembre 2003 relative à la réutilisation des informations du secteur public, dite « directive ISP ». Rappelons que cette transposition aurait dû être effective à la date où le présent texte a été déposé à l’Assemblée nationale.
Aux fins de transposition, le projet de loi modifie plusieurs dispositions de la loi du 17 juillet 1978, dite « loi CADA », laquelle a, la première, affirmé la liberté d’accès des citoyens aux documents administratifs. Depuis lors, ce texte n’a cessé d’évoluer en faveur d’un accès étendu à ces informations. Le projet de loi n’y fait pas exception : les modifications qu’il introduit élargissent le champ de la loi de 1978 aux documents détenus par les opérateurs culturels ; elles portent également sur le traitement des demandes de réutilisation des informations publiques, ainsi que sur les redevances et accords d’exclusivité attachés à cette réutilisation.
La transposition de la directive du 26 juin 2013 nécessite relativement peu de mesures législatives, non seulement, parce qu’elle-même ne modifie qu’à la marge la directive ISP, mais aussi parce que la législation française satisfait d’ores et déjà en grande partie aux modifications demandées aux États membres. Rappelons que la France appartient aux nations les plus avancées en matière d’open data.
Initiée dès les années 1970 avec la loi CADA, la transparence administrative a pris un nouvel élan avec l’arrivée du numérique. On citera notamment l’adoption, en janvier 1998, du programme d’action gouvernemental pour la société de l’information, la création, en 2007, de l’Agence du patrimoine immatériel de l’État, le lancement, en 2011, du portail data.gouv.fr, ou encore la mise en place, en 2014, d’un administrateur général des données produites par l’État et ses opérateurs.
La directive du 26 juin 2013 impose cependant à la France de revoir son dispositif sur trois points : le champ des données réutilisables, la révision périodique des accords d’exclusivité et les principes de tarification de la réutilisation des données publiques. Le projet de loi visant à la transposer en droit français comprend neuf articles, dont plusieurs concernent notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, dans la mesure où ils visent à inclure dans le droit commun de l’accès aux informations publiques les documents détenus par les bibliothèques, y compris universitaires, les musées et les archives, jusqu’alors expressément exclus du champ de la directive du 17 novembre 2003.
Je n’entrerai pas dans le détail des dispositions proposées, après l’excellente présentation synthétique de notre collègue Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois. J’appelle toutefois votre attention sur les diverses dérogations accordées dans le projet de loi au secteur culturel, qui ont plus particulièrement intéressé notre commission.
À l’article 2, une dérogation est instaurée pour les ressources culturelles lorsqu’un tiers jouit d’une exclusivité pour la réutilisation d’informations publiques. La période d’exclusivité peut être supérieure à dix ans dès lors qu’elle est accordée pour les besoins de leur numérisation. Un réexamen est alors prévu tous les sept ans.
L’article 3, qui érige la gratuité comme principe général en matière de réutilisation des données publiques, dispose que, pour le secteur culturel, l’instauration d’une redevance est également autorisée lorsque les documents réutilisés sont issus d’opérations de numérisation des fonds et des collections des bibliothèques, des musées et des archives. Son montant peut alors prendre en compte les coûts de conservation et d’acquisition des droits de propriété intellectuelle. Il s’agit de continuer de permettre aux partenaires des organismes culturels publics d’amortir leurs investissements dans le cadre des programmes fort coûteux de numérisation des ressources.
Notons également que l’article 6, prenant en compte la surcharge de travail potentielle pour les établissements concernés, dispense les bibliothèques, les musées et les archives de l’obligation de mentionner dans leurs décisions de refus l’identité du titulaire des droits de propriété intellectuelle attachés au document.
Enfin, l’article 8 dispose que les accords d’exclusivité existants dans le secteur culturel devront prendre fin à l’échéance du contrat ou, au plus tard, le 18 juillet 2043, comme le prévoit la directive.
Au cours de sa réunion du 29 septembre, la commission des lois de l’Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications substantielles au projet de loi initial.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement le domaine qui intéresse notre commission de la culture, elle a précisé à l’article 3, d’une part, que la liste des administrations autorisées à percevoir une redevance fera l’objet d’une révision tous les cinq ans et, d’autre part, qu’un décret établira la liste des informations pouvant donner lieu à l’établissement d’une redevance pour leur réutilisation. En outre, à l’article 6, elle a élargi le champ de l’exception de motivation des refus formulés par les bibliothèques, les services d’archives et les musées et fondés sur l’existence d’un droit de propriété intellectuelle aux décisions défavorables relatives à la réutilisation. Elle était auparavant limitée à l’accès.
La séance publique du 6 octobre n’a apporté que des changements minimes à l’équilibre trouvé en commission des lois de l’Assemblée nationale entre les objectifs ambitieux affichés par la France en matière d’open data et le texte moins téméraire de la directive. L’article 2 a cependant fait l’objet d’une modification plus franche, consistant à limiter la durée des accords d’exclusivité conclus pour la numérisation des ressources culturelles à quinze ans, avec un réexamen au cours de la onzième et de la treizième année. Cette limitation ne s’appliquera toutefois pas aux accords conclus entre personnes publiques dans le cadre de leurs missions de service public, dans le respect du droit de la concurrence. Cette exception répond spécifiquement à la situation des musées liés à la réunion des musées nationaux, la RMN, laquelle dispose de l’exclusivité de numérisation des reproductions photographiques de leurs œuvres. À l’article 3, les députés ont également décidé que le montant des redevances serait révisé au moins tous les cinq ans.
La commission et le Gouvernement ont pris soin d’éviter tout risque de surtransposition du texte européen, en application de la récente décision du Conseil constitutionnel, qui, le 13 août 2015, a amplement censuré la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne sur ce motif. Aussi les amendements risquant de trop élargir le champ de la transposition ont-ils été écartés. Ce principe appliqué, le projet de loi a été adopté à l’unanimité en commission des lois comme en séance publique par nos collègues députés.
Lors de sa réunion du 14 septembre, notre commission de la culture s’est saisie pour avis du projet de loi, la commission des lois, à laquelle incombe toute modification de la loi du 17 juillet 1978, étant chargée d’examiner le texte au fond. Dans un calendrier contraint, nos travaux d’audition se sont concentrés sur les principaux établissements culturels concernés par la réforme, dont les responsables se sont déclarés satisfaits de la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Comme je vous l’indiquais en préambule, la transposition de directive que nous examinons porte sur des sujets sur lesquels la France est déjà fort avancée. En outre, les arbitrages rendus en réunions interministérielles ont conduit à exclure du texte les mesures allant au-delà de la stricte transposition – la gratuité mise à part – et à les renvoyer au projet de loi pour une République numérique.
Malgré sa faible envergure, le présent projet de loi constitue une étape supplémentaire appréciable en matière d’open data. À cet égard, l’affirmation d’un principe de gratuité, dans le respect des contraintes propres des établissements culturels, représente une véritable avancée, comme l’introduction des ressources culturelles dans le champ de la loi de 1978. L’ouverture des données publiques constitue en effet un important levier de croissance, d’innovation et d’emplois pour nos entreprises, un outil sans précédent de modernisation de l’État et des services publics et un instrument au service d’une démocratie plus transparente et collaborative.
Le Sénat a toujours fait preuve d’un intérêt certain pour ces enjeux. La mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques a d’ailleurs récemment proposé plusieurs mesures ambitieuses destinées à améliorer l’effectivité et l’exhaustivité de l’accès aux données et de leur réutilisation.
Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale est conforme à ces objectifs. Il s’éloigne, en revanche, sur plusieurs points de la directive dont il assure la transposition en droit français.
Outre les contraintes élevées imposées aux collectivités territoriales par le nouvel article 1er B, j’insisterai sur les difficultés que pose, à l’article 2, l’élargissement du champ des éléments constitutifs des accords passés pour la numérisation des ressources culturelles devant être portés à la connaissance du public. Ces difficultés sont non seulement juridiques, s’agissant du respect du secret des affaires, mais aussi économiques, dans la mesure où cette disposition risque d’être préjudiciable au développement indispensable de ce type de partenariats.
Ces réflexions ont également guidé celle de notre collègue Hugues Portelli, puisque ces deux points ont été modifiés par la commission des lois lors de sa réunion du 21 octobre. Je salue également son initiative relative au maintien du régime dérogatoire actuellement en vigueur pour la réutilisation des données détenues par les organismes de recherche et d’enseignement supérieur, qu’il cantonne toutefois aux informations produites dans le cadre de leurs activités de recherche. Ces organismes conserveront la faculté de fixer les modalités de réutilisation de ces données de recherche, afin de préserver leur potentiel scientifique et technique.
Compte tenu de son soutien à l’esprit du texte, des contraintes du calendrier législatif l’obligeant à se réunir concomitamment à la commission des lois et de l’intérêt des amendements proposés par notre collègue Hugues Portelli, notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication a donné un avis favorable à l’adoption du présent projet de loi.