Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 26 octobre 2015 à 16h00
Réutilisation des informations du secteur public — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis l’adoption de la première série de règles concernant la réutilisation des informations du secteur public en 2003, la quantité de données dans le monde, dont celles qui sont issues du secteur public, a augmenté de manière exponentielle et de nouveaux types de données sont produits et recueillis. Ce phénomène s’accompagne d’une constante évolution des technologies d’analyse, d’exploitation et de traitement des données.

Cette rapidité dans l’évolution technologique permet la création de nouveaux services et de nouvelles applications fondés sur l’utilisation, l’agrégation ou la combinaison de données.

Les règles adoptées en 2003 ne sont plus en phase avec ces changements rapides. En conséquence, les opportunités offertes par la réutilisation des données du secteur public, sur le plan tant économique que social, risquent d’être manquées.

Tel est le contexte qui a présidé à la présentation de la directive européenne, dont le présent texte constitue la transposition en droit national.

Au motif que nous serions entrés dans la société de l’information tous azimuts et multisupports, il nous faudrait légiférer rapidement sur cette question. Or la directive de juin 2013 dont nous allons produire la transposition vise un patrimoine particulier : les établissements universitaires, et singulièrement leurs bibliothèques, les musées et les dépôts et établissements d’archives. Elle maintient toutefois dans le champ de la discrétion les données qui seraient susceptibles de remettre en question le fameux, et toujours très défendu, secret des affaires. Ce qui est ici visé, c’est le patrimoine documentaire public, qui, jusqu’alors, échappait aux règles de réutilisation découlant de la directive précédente.

Les défenseurs du texte arguent dans un bel ensemble que la transposition de la directive constitue une avancée et offre une forme de garantie, que l’harmonisation du traitement des données et des patrimoines ainsi ouverts suffirait à assurer. Il me semble cependant nécessaire de ne pas occulter un aspect essentiel dans ce débat. Alors que l’on pouvait envisager l’ouverture des données aux seules fins d’enseignement et de partage du savoir pour les nouvelles générations d’étudiants, de chercheurs, de doctorants, notamment, l’objectif semble aujourd’hui différent.

Si transposer une directive est une chose, n’oublions pas que les données publiques sont produites et collectées par un service de caractère public. L’emploi public et l’activité de fonctionnaires sont producteurs de valeur ajoutée. Ainsi, il n’y aurait pas de stratégie marketing des entreprises commerciales sans l’outil statistique public, producteur des informations, notamment sociologiques et économiques, qui permettent de définir cibles, panels et échantillons. De même, sans les résultats du recensement général de la population, que feraient les instituts de sondage ?

Cela étant, la directive et le projet de loi font ressortir des problématiques objectivement posées.

D’une part, le travail de numérisation des données publiques est une tâche de longue haleine, qui fait partie des priorités affichées du ministère de la culture, avec volontarisme, mais des moyens dérisoires. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’exposé des motifs du projet de budget pour 2016, lequel accorde, dans un contexte budgétaire fortement contraint, la priorité à l’entretien et à la préservation du patrimoine monumental et de notre patrimoine immatériel, produit du travail patient de milliers de chercheurs, d’étudiants, de muséographes et d’archivistes.

D’autre part, la loi sur l’autonomie des universités a mis en difficulté la communauté universitaire. Le risque est évidemment grand de voir certains établissements tenter de trouver dans la perception de redevances d’usage sur la réutilisation des données qu’ils possèdent ou ont produit des moyens financiers dont la contraction des dotations annuelles les prive désormais.

Deux écueils principaux nous semblent devoir être évités dans ce texte.

Le premier est celui de l’excès d’une marchandisation des données, par la voie de la sous-traitance de la numérisation à quelque opérateur privé, qui ne manquera pas de se faire accorder une exclusivité lui permettant de tirer parti de ressources financières couvrant largement les coûts de production des données réutilisables. À ce propos, nous estimons, en particulier, que les dispositions de l’article 2 sont bien trop favorables aux opérateurs de numérisation et dénaturent le caractère public des données ouvertes.

Le second écueil concerne le niveau des redevances, dont nous comprenons fort bien qu’elles permettent une juste rémunération des coûts de production, mais dont la fixation doit être transparente dans tous les cas, qu’elles soient perçues par un établissement public ou par un opérateur privé.

À ce titre, il apparaît évident que tous les musées ou toutes les universités ne jouent pas dans la même division et que la faiblesse des moyens des uns ou des autres appelle une forme de mutualisation et de coopération qui devrait, à notre sens, procéder de l’existence d’une plateforme publique de numérisation dont l’activité permettrait de répondre à moindre coût à la demande en matière d’information et de transmission des données. Nous ne voudrions pas que, en raison d’une période significative d’exclusivité, une affaire comparable à celle des photos du livre anniversaire de la réouverture du musée de l’Homme se reproduise. Cet établissement muséographique captivant et original a été contraint d’acquitter des droits pour reproduire une partie de ses propres collections.

Nous sommes partisans de l’ouverture au domaine public des données dont disposent nos établissements publics culturels et universitaires, ne serait-ce que pour l’usage que peuvent en faire les étudiants et chercheurs, ou les visiteurs dans le cas des musées. Nous souhaitons toutefois mettre en place un cadre qui préserve ce processus des dérives de la logique commerciale. Une telle ambition nécessite une volonté et des moyens financiers nouveaux qui ne nous semblent pas présents. Sauf inflexion en ce sens, comme nous le proposerons par amendements, nous ne pourrons donc pas soutenir ce texte.

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