Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, transparence : voilà un mot que l’on entend à satiété. Or la transparence peut être la meilleure et la pire des choses.
La pire, si elle conduit à pulvériser le concept de vie privée, de respect de l’intimité propre à chaque être humain. Reste que des restrictions sont parfois nécessaires. Nous l’avons vu dans le domaine du renseignement. Il est à noter que le Sénat a enrichi le texte dont nous reparlerons demain soir d’un certain nombre de dispositions visant à ce que ces restrictions soient les plus limitées possible, prescrites par l’impérieuse nécessité de lutter contre le terrorisme et d’assurer la sécurité.
La transparence est en revanche la meilleure des choses possible lorsqu’il s’agit de développer et de partager l’information, autrement dit, lorsqu’il s’agit d’un véritable service public de la connaissance.
La transposition de la directive européenne du 26 juin 2013 dont nous discutons aujourd’hui s’inscrit dans une longue histoire. Je veux citer ici, à l’instar de notre collègue député René Dosière, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, magnifique texte, qui dit tant en si peu de mots et qui est pour nous, législateurs, un constant exemple : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Les livres doivent être ouverts ! En 1997, Lionel Jospin, alors Premier ministre, déclarait : « Les données publiques essentielles doivent désormais pouvoir être accessibles à tous gratuitement sur internet. » C’était prémonitoire !
Les membres du Gouvernement se sont engagés en signant une charte de déontologie à mener « une action déterminée pour la mise à disposition gratuite et commode sur internet d’un grand nombre de données publiques ». Vous connaissant, madame la secrétaire d’État, je suis certain que vous y avez largement souscrit.
Le texte que vous nous soumettez est à cet égard un bon texte, car il constitue un pas en avant et nous permet de rattraper notre retard par rapport à nos engagements en matière de transposition de textes européens.
Je voudrais essayer de convaincre notre rapporteur Hugues Portelli, éminent juriste et brillant universitaire – il connaît donc bien ces sujets –, que les universités et les établissements de recherche ne peuvent fixer les conditions de communication et de réutilisation de tout document produit ou reçu en leur sein, comme le prévoit la commission à l’article 1er.
Mon cher collègue, je ne sais pas si vous imaginez les conséquences de ce choix, notamment le nombre de délibérations qu’il entraînera compte tenu du grand nombre de documents visés et de leur étonnante diversité. Or les universitaires et les chercheurs voient d’un très bon œil ce projet de loi. Je m’en suis assuré, et je sais que Mme la secrétaire d’État s’en est également assurée auprès de Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Je veux être extrêmement clair. Bien entendu, il existe des exceptions à la réutilisation : tout ce qui relève du droit d’auteur, de la propriété intellectuelle et du droit commercial. Prenons le cas des revues universitaires et scientifiques, sur lequel nous aurons peut-être l’occasion de revenir. Un nombre important de ces revues connaissent de grandes difficultés. Pourquoi ? Parce qu’il est si facile de les photocopier qu’il devient héroïque de les publier ! Une revue qui est vendue ne peut être pillée gratuitement ! Cela doit être entendu : il existe des règles, des chartes, des droits quant à la reproduction, qui figurent en général sur la deuxième ou troisième page desdites revues.
Quant aux documents préparatoires, les textes qui régissent la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, ainsi que sa jurisprudence précisent qu’ils ne peuvent être communiqués.
Madame la secrétaire d’État, les projets que vous élaborez dans votre ministère, jusqu’au moment où ils sont adoptés par le conseil des ministres ou publiés en tant que décrets, arrêtés ou circulaires, sont en quelque sorte des brouillons, dont il serait intellectuellement inacceptable, bien que cela soit malheureusement parfois le cas, qu’ils soient utilisés à l’encontre d’un ministre ou de quelque autre personne. Lorsqu’il n’est qu’au stade de la préparation, un document n’a pas d’existence !
Permettez-moi également de répondre à l’argument évoqué en commission, et de nouveau soulevé lors de la sympathique réunion de la commission qui a précédé cette séance publique, selon lequel les chercheurs risqueraient de voir leurs trouvailles, leurs recherches, leurs résultats pillés, volés...
De deux choses l’une : soit il s’agit de l’un des cas précédemment évoqués, et alors le droit commercial, le droit de la propriété intellectuelle ou le droit d’auteur s’applique ; soit – phénomène connu dans le monde universitaire, où il arrive fréquemment que les chercheurs participent aux mêmes colloques –, un chercheur reprend dans son exposé ou dans son article les travaux réalisés par l’un de ses collègues. Monsieur le rapporteur, vous qui êtes un chercheur savez que cela est très connu. Pour bien connaître la communauté mathématique, je puis dire que certaines personnes utilisent les travaux, les recherches, les résultats d’autres mathématiciens. Face à cette situation, il n’y a qu’une réponse, c’est le jugement de la communauté scientifique qui détecte les contrefaçons et ceux qui, au mépris de la déontologie et de l’honnêteté intellectuelle, s’approprient les résultats des autres. Aussi j’imagine mal les conseils d’administration des universités statuer en la matière. Très franchement, cela serait totalement inopérant !
Il faut donc ouvrir grand les portes et les fenêtres. Il faut faire vivre l’université dans la tradition universitaire ! Si nous permettons à la connaissance et au savoir de se développer et de se transmettre, nous aurons fait en sorte que les universitaires accomplissent la tâche pour laquelle ils ont été créés, si je puis dire – je ne sais pas si, un jour, quelqu’un a créé les universitaires, mais c’est là un autre débat…
Mon second point de désaccord – rassurez-vous, monsieur le rapporteur, il n’y en a que deux – a trait à la licence. Faut-il prévoir dans tous les cas une licence ? Nous estimons raisonnable qu’il y ait une licence lorsqu’il y a une redevance, et c’est aussi, me semble-t-il, la position de Mme la secrétaire d’État.
Monsieur le rapporteur, en préparant mon intervention, je me suis interrogé sur les raisons qui motivent votre souhait de prévoir une licence même lorsqu’il n’y a pas de redevance. J’espère que vous reviendrez au cours du débat sur ce sujet que vous avez évoqué très succinctement. Cela rejoint d’ailleurs un point que vous avez très sagement abordé lorsque vous nous avez demandé d’éviter la surtransposition. Je vois que M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture opine : nul ne pourra en disconvenir, ou alors je ne vois pas sur la base de quel argument. Si vous imposez une licence quand il n’y a pas de redevance, vous effectuez une surtransposition ! Faisons donc notre travail sagement et scrupuleusement en transposant ce qui doit l’être !
En conclusion, je dirai que ce texte est utile et positif dans la mesure où il contribuera à développer les connaissances, permettra de mieux partager les documents publics et de mettre en œuvre le service public dans toute son acception en ce domaine. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste soutient ce texte et sera très heureux de le voter.