Monsieur le sénateur, si vous avez évoqué la situation de l’ensemble des filières d’élevage, votre question porte plus précisément sur la filière laitière et sur la fin des quotas laitiers. Je rappelle que la décision de les supprimer a été prise en 2008. En tant que député européen, j’avais alors voté contre cette mesure.
Quelle est donc la situation aujourd'hui ? Et quels risques courons-nous ?
Il faut savoir qu’une quinzaine ou une vingtaine des 24 milliards de litres de lait produits en France aujourd'hui est exportée en Europe, mais aussi sur le marché international pour la fabrication de produits tels que la poudre de lait et le beurre, lesquels sont directement dépendants des prix du marché mondial.
Compte tenu de la fin des quotas laitiers, tous les pays européens, mais aussi des pays tels que l’Australie, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, se sont mis en tête d’aller conquérir le fameux marché chinois et tous ont augmenté leur production. Les pays européens l’ont tellement augmentée qu’ils ont même dépassé la hausse régulière de 1 % autorisée dans la perspective de la fin des quotas. Ils ont donc été sanctionnés et ont dû payer près de 800 millions d’euros d’amendes, cette somme ayant par ailleurs permis de financer en partie le plan européen présenté au mois de septembre par la Commission européenne.
Ce qui me préoccupe désormais, c’est qu’il n’existe plus aucun système de coordination de la production laitière. Le risque est que, tous les pays partant à la conquête des marchés à l’international, chacun d’entre eux se mette à augmenter sa production. Le problème est que, en cas de contraction des marchés internationaux, comme c’est le cas aujourd'hui, la Chine achetant moins que prévu, les excédents de production destinés à l’exportation se retrouvent sur le marché européen et font baisser les prix.
Pour ma part, j’essaie de permettre le retour à un minimum de coopération et de coordination au sein de la filière laitière à l’échelon européen. C’est très difficile, car certains pays, et vous les avez cités, monsieur le sénateur, en particulier les pays du Nord, mais aussi l’Allemagne, considèrent que le marché, c’est le marché, et que chacun doit assumer sa part de responsabilités. Le problème est que, avec la fin des quotas laitiers, disparaîtront également les sanctions financières ; or elles limitent tout de même la capacité à conquérir des marchés.
Quelle stratégie allons-nous désormais mettre en place ? Je pense que la France a un atout : elle dispose de surfaces et de capacités fourragères que d’autres n’ont pas. Les exploitations les plus résistantes face à la crise, on le voit, sont celles dont l’autonomie fourragère est la plus importante. Nous devons donc renforcer la compétitivité de la filière laitière en organisant son autonomie fourragère, en utilisant pour cela nos surfaces et nos potentialités climatiques et saisonnières, lesquelles sont très intéressantes et importantes. Telle est la stratégie mise en place avec la création des groupements d’intérêt économique et environnemental dont nous avons discuté ici au Sénat lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Nous devons également faire évoluer les systèmes de contractualisation, en créant de nouveaux contrats, tripartites, associant la grande distribution. Les grandes entreprises laitières françaises, dont certaines sont les plus importantes du monde, utilisant la production laitière française et l’image de la France en Europe et dans le monde pour exporter des produits à haute valeur ajoutée, comme le fromage, les producteurs doivent bénéficier en retour de cette stratégie. C’est cela le sujet.
J’ai parfaitement conscience que le marché mondial a un effet sur le prix du lait. La baisse du prix de la poudre de lait par exemple a un impact sur une entreprise qui exporte 30 % de sa production – dans les grandes coopératives, le lait collecté est transformé soit en produit à haute valeur ajoutée, soit en produit à faible valeur ajoutée, comme la poudre de lait et le beurre – et donc sur le prix d’achat du lait au producteur.
J’ai rencontré voilà une semaine la Fédération nationale des producteurs de lait, la FNPL. Nous allons travailler à une évolution du système contractuel afin de garantir aux producteurs des durées de collecte du lait plus longues, ainsi qu’un niveau de prix. Le pire aujourd'hui pour un producteur laitier, c’est la volatilité des prix. Rendez-vous compte : l’an dernier, le prix de la tonne de lait était en moyenne de 365 euros, contre 307 ou 310 euros cette année, malgré toutes les mesures qui ont été prises pour gérer les prix. Les prix ont donc baissé de 25 % en une année ! C’est déstabilisant à la fois pour les producteurs et pour l’industrie. Il faut donc stabiliser les prix.
Puisqu’il n’est plus possible de jouer sur les quantités, compte tenu de la disparition des quotas laitiers, la France doit être capable de s’organiser en utilisant son potentiel fourrager et en faisant évoluer le système contractuel afin de garantir la collecte et une plus grande stabilité des prix. Telles sont les propositions que je ferai.
J’ai cet après-midi une réunion avec la filière bovine, qui rencontre les mêmes problèmes. En réponse, la stratégie pour cette filière est la même : il faut davantage stabiliser les prix et éviter les variations.
À nous de jouer, de nous organiser. Tel est l’enjeu des discussions qui se déroulent depuis déjà six mois et qui vont se poursuivre.