Intervention de Alain Marc

Réunion du 27 octobre 2015 à 14h45
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Rejet d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Alain MarcAlain Marc :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, élaborée au sein du Conseil de l’Europe après la chute du mur de Berlin, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été ouverte à la signature à Strasbourg le 5 novembre 1992.

Ce texte doit être resitué dans son contexte, celui de la fin du bloc soviétique et de la reconstitution des États d’Europe de l’Est, à l’intérieur desquels vivent de nombreuses et anciennes minorités nationales, comme la minorité hongroise en Roumanie.

C’est la question légitime de la protection des droits de ces minorités qui est à l’origine de la charte. À l’évidence, la pratique des langues régionales en France apparaît très éloignée de cette problématique.

Le 7 mai 1999, le gouvernement français signe toutefois à Budapest la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Saisi quelques jours plus tard par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a considéré que ce texte comportait des clauses contraires à la Constitution. Comme le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel juge que le préambule et la partie II de la charte ne sont pas conformes à la Constitution.

La reconnaissance d’un droit imprescriptible pour chacun à pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique, ainsi que l’obligation faite aux parties de tenir compte des besoins et des vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ont été regardées comme conférant des droits spécifiques à des groupes particuliers, les locuteurs de langues régionales ou minoritaires.

Le Conseil constitutionnel a considéré que ces stipulations portaient atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi – article 1er de la Constitution –, ainsi qu’au principe d’unicité du peuple français – article 3 de la Constitution.

Les dispositions exhortant les États à faciliter l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie privée et publique ont été jugées contraires à l’article 2 de la Constitution, selon lequel la langue de la République est le français.

Dès lors, le processus de ratification a été interrompu. Néanmoins, le 31 juillet 2015, madame la ministre, vous déposiez le présent projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la charte, en le soumettant en premier lieu au Sénat.

Or ce texte risque d’alimenter de nombreux contentieux, comme l’ont excellemment souligné Philippe Bas et Hugues Portelli. Une révision constitutionnelle nous conduirait à une véritable impasse juridique, aussi bien dans l’ordre juridique interne que dans l’ordre juridique international.

On peut surtout s’interroger sur vos motivations : pour quelles raisons ce projet de loi constitutionnelle intervient-il précisément maintenant, seize ans après la décision du Conseil constitutionnel, alors que la ratification de la charte est inutile pour promouvoir les langues régionales, « patrimoine de la France », conformément à l’article 75-1 de la Constitution ?

Vous confondez volontairement moyens et finalité. Oui, nous voulons conserver les langues régionales et les promouvoir ! Non, la ratification de la Charte européenne ne nous semble pas opportune : pour nous, elle apparaît comme un symbole, et surtout un leurre.

En effet, ce projet de ratification, qui ne revêt aucun caractère urgent et qui se heurte à de très importants obstacles juridiques, apparaît avant tout comme un outil politique à l’approche des élections régionales. Il s’agit de placer le Gouvernement aux avant-postes du camp des défenseurs des langues régionales et de masquer, par ce biais, les autres volets de l’action gouvernementale et ses échecs.

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