Intervention de Michel Bouvard

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 octobre 2015 à 18h33
Financement de la liaison ferroviaire lyon-turin — Audition de Mm. Michel Bouvard sénateur et michel destot député

Photo de Michel BouvardMichel Bouvard :

Oui, avec Michel Destot, nous avons travaillé en harmonie sur ce dossier crucial pour notre pays et l'Europe du sud. Quand on sait qu'un cinquième du fret qui passe par le tunnel sous la Manche est destiné à l'Italie, on mesure les enjeux pour notre façade atlantique et nos ports, dont l'hinterland est très réduit, d'autant que les ports de Gênes et Venise sont saturés.

Le coût financier de ce projet suscite bien des inquiétudes et des fantasmes. Notre rapport concerne le seul tunnel de base : au sein d'un projet qui comporte aussi des voies d'accès, il sera la principale source de gains de temps. Il doit être réalisé en une fois, alors que les voies d'accès pourront être réalisées par la suite. Certains chiffres fantasmagoriques circulent : 30 milliards d'euros, entend-on parfois, montant « arrondi » de 26 milliards, provenant d'un autre arrondi, etc.

Nous évoquons dans notre rapport deux estimations qui présentent un écart de 400 millions d'euros, selon qu'elles incluent ou non la galerie de Saint-Martin-la-Porte. La part à la charge de la France étant de 25 %, l'effet de levier, de un pour quatre, est exceptionnel pour un tel ouvrage. Les Italiens ont accepté de contribuer au financement du tunnel de base à hauteur de 35 % car ils ont moins de voies d'accès à aménager. Toutefois, sur l'ensemble du projet, les participations des deux pays seront équivalentes.

Nous sommes partis du référé du 1er août 2012 de la Cour des comptes que j'invite chacun à lire sur le site de l'institution pour éviter de lui faire dire ce qu'il ne dit pas...La Cour notait que l'état de nos finances publiques ne permettait pas à la France de financer seule cet ouvrage. Celui-ci doit se justifier, ajoutait-elle, par le report modal. Elle soulignait que la participation de l'UE n'était alors pas acquise. Elle appelait enfin à engager une procédure de certification des coûts.

Depuis lors, l'UE a confirmé son engagement, clair et définitif, de financer le tunnel à hauteur de 40 %, s'agissant d'un ouvrage international de franchissement d'un massif transfrontalier, dès la période 2014-2020. Les fonds seront débloqués en fonction de l'avancement des chantiers, une partie ayant déjà été versée. De plus, l'UE autorise la France et l'Italie à mobiliser une ressource nouvelle spécifique, taxe ou contribution, pour financer une partie de l'ouvrage. Il appartient au Parlement de décider la création d'une Eurovignette, ressource qui présentera la particularité d'être entièrement affectée à la réalisation de l'ouvrage, sans abonder le budget général de l'État, même si elle soulagera ses finances.

L'Autriche a déjà mis en place une Eurovignette pour construire le tunnel du Brenner, dont le coût total est similaire à celui du Lyon-Turin. Cette recette lui rapportera 35 millions d'euros par an pendant 64 ans, soit la durée du chantier plus 50 ans. Nous proposons d'appliquer la même règle en France : l'Eurovignette serait perçue pendant les douze ans que dureront le chantier, puis pendant 50 ans. Cette recette, à la différence de l'écotaxe, doit être perçue dans la zone qui bénéficie de l'ouvrage. Nous avons constaté que les flux de transit qui franchissent les massifs alpins sont pénalisés par des conditions de temps aléatoires, et que les axes sont saturés dans la région Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, davantage d'ailleurs dans les agglomérations. L'UE nous autorise à percevoir une taxe sur le périmètre montagneux et sur les voies du massif montagneux, au sens des règlements communautaires. Ainsi, nous avons identifié deux zones de perception : la zone nord couvre les abords des tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. Leurs tarifs ont augmenté ces dernières années, pour financer la réparation du tunnel du Mont-Blanc et la deuxième galerie du tunnel du Fréjus. La commission intergouvernementale franco-italienne arrête le montant des péages. Il serait possible de requalifier une partie des hausses, mais si l'on cherche des ressources, mieux vaut attendre la fin des concessions autoroutières en 2050. Ensuite, nous proposons de relever de 10 % les tarifs poids lourds sur les autoroutes de la partie nord, sachant que le droit européen permet une hausse de 25 %. Nous préférons une hausse modérée, lissée dans le temps, pour la rendre acceptable par les transporteurs et éviter les détournements de trafic vers la Suisse.

Dans le Sud, nous proposons d'augmenter les péages du réseau Escota de 15 %, car ils sont moins élevés. Or le trafic y est en hausse, à cause des fermetures imprévisibles et momentanées des tunnels alpins, pour des raisons de sécurité, dues notamment aux variations de pression constatées dans ces tunnels. La saturation de ce réseau est source de nuisances pour les populations du littoral. C'est pourquoi les élus du littoral sont d'accord pour relever les tarifs.

Nos hypothèses de calcul sont très prudentes et tiennent compte des dédommagements à verser aux sociétés autoroutières. Ainsi, il serait possible de percevoir 17 millions d'euros par an de recettes sur la partie nord, avec un solde net de 11,9 millions d'euros, et 21, 9 millions d'euros sur le réseau Escota, soit un solde net de 19,7 millions d'euros. La requalification de la hausse des péages dans les tunnels nord-alpins rapporterait 8,9 millions d'euros. La recette nette s'élèverait au total à 40,5 millions d'euros par an, ce qui laisse une marge pour financer les voies d'accès. Sous ces hypothèses, il serait possible de lever 1,33 milliard d'euros.

Il pourrait être fait appel à la dette, auprès de la Banque européenne d'investissement par exemple, qui apporte pour ce type d'ouvrages des concours jusqu'à 50 % de la part restant à la charge des États. Les Italiens ont déjà inscrit les crédits nécessaires dans leur loi de programmation des finances publiques. Cette dette doit-elle être prise en compte à l'égard des critères de Maastricht ? La réponse est complexe et dépend de la gouvernance de l'opérateur TELT (Tunnel Euralpin Lyon-Turin). Le problème ne se pose pas dans les mêmes termes en Italie, où le déficit public est inférieur à 3 %.

Ces financements n'excluent pas d'autres recettes complémentaires. Cet ouvrage contribuera à la promotion d'une économie décarbonée, grâce au report modal que les États sont libres de mettre en oeuvre. À la différence du tunnel sous la Manche, un texte régit les conditions de transport dans les tunnels : la convention alpine, que la France a ratifiée, autorise à contingenter les trafics de poids lourds. De même, la politique tarifaire dépend des États. Elle n'est pas contradictoire avec l'Eurovignette car ce type d'ouvrage entraîne un accroissement du trafic et des échanges. De plus, nous comblerons notre retard en matière de fret ferroviaire.

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