La réunion est ouverte à 18 h 33.
La commission procède à l'audition de MM. Michel Bouvard, sénateur, et Michel Destot, député, sur le financement de la liaison ferroviaire Lyon-Turin.
Je suis heureuse d'accueillir Michel Destot, député, aux côtés de notre collègue Michel Bouvard, pour nous présenter les conclusions du rapport qu'ils ont remis au Premier ministre sur le financement de la liaison ferroviaire Lyon-Turin.
J'ai également grand plaisir à vous présenter les conclusions de cette mission parlementaire que nous avons réalisée au cours du premier semestre, à la demande du président de la République, qui entend poursuivre la réalisation de ce projet majeur, après MM. Mitterrand, Chirac et Sarkozy. Nous avons travaillé avec Michel Bouvard en parfaite intelligence. Je salue aussi le concours de Christian Maisonnier, ingénieur des ponts et chaussées, ici présent.
Notre mission portait sur le financement de la construction de la partie française du tunnel de base transfrontalier de 57 kilomètres qui relie Suse, en Italie, à Saint-Jean-de-Maurienne, en France. Nous avons travaillé en lien avec les élus nationaux et locaux, les ministères, les instances européennes, ainsi que tous les acteurs économiques, en particulier les transporteurs.
Ce projet majeur participe au développement économique, non seulement du sud-est de la France et de l'Italie du Nord, mais aussi de la France, de l'Italie et de l'Europe dans leur ensemble. L'année 2015 a été décisive à cet égard. Au cours d'un sommet franco-italien, en février dernier, le président de la République et le président du Conseil italien se sont engagés définitivement à assurer la réalisation du tunnel de base. En juillet, la Commission européenne s'est engagée pour sa part à prendre en charge 40 % du projet, que l'Italie financera à hauteur de 35 % et la France de 25 %. La répartition des charges est équilibrée car les accès au tunnel sont plus importants du côté français que du côté italien. Le budget de ce tunnel de base est de 8,5 milliards d'euros. Les descenderies, tunnels techniques destinés à vérifier l'état de la roche et donner accès au tunnel de base, ont été déjà été creusées pour un coût de 1,5 milliard d'euros. Le chantier durera 12 ans, de 2018 à 2030.
Ce projet est majeur à l'égard du report modal dans l'arc alpin. Alors qu'aujourd'hui le franchissement des Alpes concerne à 90 % la route et à 10 % le rail, ce projet permettra de parvenir à l'équilibre, aussi bien pour les voyageurs que pour le fret.
Ce projet est aussi majeur d'un point de vue économique. L'Italie est le deuxième partenaire commercial de la France après l'Allemagne. L'axe Lyon-Turin confortera le corridor Séville-Budapest, qui concentre 18 % de la population européenne et réalise 17 % de son PIB. L'Allemagne et l'Europe de l'Est ont attiré les flux et les marchandises. Or la façade méditerranéenne bénéficie d'une démographie dynamique. La croissance économique doit l'accompagner. L'aménagement des corridors Nord-Sud, comme Londres-Milan, et Est-Ouest revêt donc une importance cruciale pour notre pays.
Neuf tunnels de base ferroviaires existent ou sont en cours de réalisation dans l'arc alpin. Les trois principaux sont le Lyon-Turin entre la France et l'Italie, le Brenner entre l'Italie et l'Autriche et le Saint-Gothard en Suisse.
Je l'ai dit, l'UE assurera 40 % du financement du tunnel de la liaison Lyon-Turin, l'Italie 35 % et la France 25 %, pour 2,1 milliards d'euros. Nous proposons un financement mixte, réparti entre crédits publics et privés. Le concours de l'État est nécessaire alors que les collectivités territoriales se sont déjà engagées à participer à la réalisation des accès au tunnel. Le reste proviendrait d'une Eurovignette, perçue dans la région alpine, définie de façon large, afin d'englober le littoral méditerranéen.
Nous proposons que sa mise en oeuvre soit progressive et mesurée pour éviter les détournements de trafic. Alors que la directive européenne Eurovignette nous autorise à augmenter les péages autoroutiers d'accès au tunnel de 25 %, nous proposons une hausse de 10 % dans les Alpes du Nord, car les tarifs y sont déjà élevés, et de 15 % sur l'A8, en accord avec les élus locaux, car celle-ci est engorgée et les tarifs des péages y sont plus faibles. Pas d'augmentation en revanche pour les tunnels alpins du Mont-Blanc et du Fréjus, mais la hausse intervenue ces dernières années pourrait être requalifiée. Ce plan d'ingénierie financière durerait 50 ans et serait porté par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque européenne d'investissement (BEI). Je rappelle que les tunnels du Lötschberg et du Saint-Gothard en Suisse ont été financés grâce à un fonds public spécial, alimenté par une redevance sur les poids lourds, la taxe sur la valeur ajoutée et la taxe sur les hydrocarbures. Pour le tunnel du Brenner, l'Autriche a opté pour une Eurovignette, tandis que l'Italie a mobilisé des crédits budgétaires alimentés par une taxe autoroutière.
Une ligne ferroviaire entre la France et l'Italie à travers les Alpes existe déjà. Elle a été lancée en 1847, soit avant le rattachement de la Savoie à la France, tandis que le tunnel a été construit en 1871. Certains prétendent qu'il suffirait de la moderniser, mais son potentiel est entravé par la haute altitude et par des pentes supérieures à 3 %, qui limitent les charges des trains. Les tunnels de ce type sont abandonnés les uns après les autres dans les Alpes à cause de problèmes de sécurité.
D'aucuns qualifient ce projet de pharaonique. Il s'agit plutôt d'un enjeu majeur pour notre pays, l'Italie et l'Europe. Le seul projet aussi ambitieux a été le tunnel sous la Manche, formidable accélérateur de croissance, en dépit des multiples difficultés rencontrées lors de sa construction. Qui prétendrait encore qu'il fut une erreur ?
Le général de Gaulle disait que « la politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c'est d'être petit ». La liaison Lyon-Turin s'inscrit dans une veine gaullienne !
Oui, avec Michel Destot, nous avons travaillé en harmonie sur ce dossier crucial pour notre pays et l'Europe du sud. Quand on sait qu'un cinquième du fret qui passe par le tunnel sous la Manche est destiné à l'Italie, on mesure les enjeux pour notre façade atlantique et nos ports, dont l'hinterland est très réduit, d'autant que les ports de Gênes et Venise sont saturés.
Le coût financier de ce projet suscite bien des inquiétudes et des fantasmes. Notre rapport concerne le seul tunnel de base : au sein d'un projet qui comporte aussi des voies d'accès, il sera la principale source de gains de temps. Il doit être réalisé en une fois, alors que les voies d'accès pourront être réalisées par la suite. Certains chiffres fantasmagoriques circulent : 30 milliards d'euros, entend-on parfois, montant « arrondi » de 26 milliards, provenant d'un autre arrondi, etc.
Nous évoquons dans notre rapport deux estimations qui présentent un écart de 400 millions d'euros, selon qu'elles incluent ou non la galerie de Saint-Martin-la-Porte. La part à la charge de la France étant de 25 %, l'effet de levier, de un pour quatre, est exceptionnel pour un tel ouvrage. Les Italiens ont accepté de contribuer au financement du tunnel de base à hauteur de 35 % car ils ont moins de voies d'accès à aménager. Toutefois, sur l'ensemble du projet, les participations des deux pays seront équivalentes.
Nous sommes partis du référé du 1er août 2012 de la Cour des comptes que j'invite chacun à lire sur le site de l'institution pour éviter de lui faire dire ce qu'il ne dit pas...La Cour notait que l'état de nos finances publiques ne permettait pas à la France de financer seule cet ouvrage. Celui-ci doit se justifier, ajoutait-elle, par le report modal. Elle soulignait que la participation de l'UE n'était alors pas acquise. Elle appelait enfin à engager une procédure de certification des coûts.
Depuis lors, l'UE a confirmé son engagement, clair et définitif, de financer le tunnel à hauteur de 40 %, s'agissant d'un ouvrage international de franchissement d'un massif transfrontalier, dès la période 2014-2020. Les fonds seront débloqués en fonction de l'avancement des chantiers, une partie ayant déjà été versée. De plus, l'UE autorise la France et l'Italie à mobiliser une ressource nouvelle spécifique, taxe ou contribution, pour financer une partie de l'ouvrage. Il appartient au Parlement de décider la création d'une Eurovignette, ressource qui présentera la particularité d'être entièrement affectée à la réalisation de l'ouvrage, sans abonder le budget général de l'État, même si elle soulagera ses finances.
L'Autriche a déjà mis en place une Eurovignette pour construire le tunnel du Brenner, dont le coût total est similaire à celui du Lyon-Turin. Cette recette lui rapportera 35 millions d'euros par an pendant 64 ans, soit la durée du chantier plus 50 ans. Nous proposons d'appliquer la même règle en France : l'Eurovignette serait perçue pendant les douze ans que dureront le chantier, puis pendant 50 ans. Cette recette, à la différence de l'écotaxe, doit être perçue dans la zone qui bénéficie de l'ouvrage. Nous avons constaté que les flux de transit qui franchissent les massifs alpins sont pénalisés par des conditions de temps aléatoires, et que les axes sont saturés dans la région Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, davantage d'ailleurs dans les agglomérations. L'UE nous autorise à percevoir une taxe sur le périmètre montagneux et sur les voies du massif montagneux, au sens des règlements communautaires. Ainsi, nous avons identifié deux zones de perception : la zone nord couvre les abords des tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. Leurs tarifs ont augmenté ces dernières années, pour financer la réparation du tunnel du Mont-Blanc et la deuxième galerie du tunnel du Fréjus. La commission intergouvernementale franco-italienne arrête le montant des péages. Il serait possible de requalifier une partie des hausses, mais si l'on cherche des ressources, mieux vaut attendre la fin des concessions autoroutières en 2050. Ensuite, nous proposons de relever de 10 % les tarifs poids lourds sur les autoroutes de la partie nord, sachant que le droit européen permet une hausse de 25 %. Nous préférons une hausse modérée, lissée dans le temps, pour la rendre acceptable par les transporteurs et éviter les détournements de trafic vers la Suisse.
Dans le Sud, nous proposons d'augmenter les péages du réseau Escota de 15 %, car ils sont moins élevés. Or le trafic y est en hausse, à cause des fermetures imprévisibles et momentanées des tunnels alpins, pour des raisons de sécurité, dues notamment aux variations de pression constatées dans ces tunnels. La saturation de ce réseau est source de nuisances pour les populations du littoral. C'est pourquoi les élus du littoral sont d'accord pour relever les tarifs.
Nos hypothèses de calcul sont très prudentes et tiennent compte des dédommagements à verser aux sociétés autoroutières. Ainsi, il serait possible de percevoir 17 millions d'euros par an de recettes sur la partie nord, avec un solde net de 11,9 millions d'euros, et 21, 9 millions d'euros sur le réseau Escota, soit un solde net de 19,7 millions d'euros. La requalification de la hausse des péages dans les tunnels nord-alpins rapporterait 8,9 millions d'euros. La recette nette s'élèverait au total à 40,5 millions d'euros par an, ce qui laisse une marge pour financer les voies d'accès. Sous ces hypothèses, il serait possible de lever 1,33 milliard d'euros.
Il pourrait être fait appel à la dette, auprès de la Banque européenne d'investissement par exemple, qui apporte pour ce type d'ouvrages des concours jusqu'à 50 % de la part restant à la charge des États. Les Italiens ont déjà inscrit les crédits nécessaires dans leur loi de programmation des finances publiques. Cette dette doit-elle être prise en compte à l'égard des critères de Maastricht ? La réponse est complexe et dépend de la gouvernance de l'opérateur TELT (Tunnel Euralpin Lyon-Turin). Le problème ne se pose pas dans les mêmes termes en Italie, où le déficit public est inférieur à 3 %.
Ces financements n'excluent pas d'autres recettes complémentaires. Cet ouvrage contribuera à la promotion d'une économie décarbonée, grâce au report modal que les États sont libres de mettre en oeuvre. À la différence du tunnel sous la Manche, un texte régit les conditions de transport dans les tunnels : la convention alpine, que la France a ratifiée, autorise à contingenter les trafics de poids lourds. De même, la politique tarifaire dépend des États. Elle n'est pas contradictoire avec l'Eurovignette car ce type d'ouvrage entraîne un accroissement du trafic et des échanges. De plus, nous comblerons notre retard en matière de fret ferroviaire.
Merci pour votre présentation qui a déjà répondu par avance à plusieurs de mes questions. Dispose-t-on d'une évaluation plus précise des retombées, liées en particulier à l'économie décarbonée ? Quel est l'état des lieux des liaisons ferroviaires entre la France et l'Italie ?
Enfin, la contribution de la France s'élèvera à près de 2,1 milliards d'euros. L'Eurovignette rapportera 1,3 milliard d'euros. L'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) sera-t-elle mise à contribution pour le reste ? Cela paraît peu réaliste, en l'état actuel...
Le système de transport combiné Modalohr, qui permet de charger des camions sur le rail, fonctionne-t-il toujours ? Comme notre rapporteure spéciale, je m'interroge sur la capacité de l'AFITF à participer au financement du projet...
Vous proposez des majorations de péages. N'est-ce pas donner raison a posteriori à ceux qui, parmi nous, ont déploré l'abandon de l'écotaxe ?
Les grands projets suscitent toujours des estimations très diverses. Il en va de même pour le Grand Paris Express... Le tunnel de base coûterait donc 8,5 milliards d'euros. Est-ce le même ordre de grandeur pour le tunnel du Brenner ?
Le coût total, incluant les voies d'accès, s'élève à 24 milliards d'euros. Comment seront-elles financées ? Enfin, quinze ans de travaux pour percer un tunnel, cela me paraît bien long. Les techniques actuelles ne permettent-elles pas d'accélérer ce délai ?
Je suis toujours inquiet quand des estimations sont avancées pour des grands projets en France. Même un chantier aussi classique que celui de la Philharmonie de Paris, a fini par revenir au double du devis initial. La Philharmonie de Hambourg a coûté, il est vrai, quatre fois plus que la première estimation ! Quant au tunnel sous la Manche, il a pris plus d'un an de retard et son coût final a aussi doublé le devis...
Ce projet repose sur des hypothèses très optimistes. La complexité des travaux, les difficultés liées à la géologie et la géomorphologie des sols de montagne sont sous-estimées. On découvrira les obstacles au cours des forages, et le coût ne cessera d'augmenter. Certes, l'Eurovignette est intéressante, mais si l'on en juge par l'expérience, il convient, par prudence, de doubler le prix indiqué dans ces devis dits par les professionnels eux-mêmes « BTP », destinés à remporter les appels d'offres, et sous-estimés en conséquence. Le montage savant que vous proposez résistera-t-il aux retards et aux aléas ? Les calculs sont justes en apparence, mais les hypothèses qui les fondent ne semblent guère fiables.
La question des coûts est importante mais l'essentiel tient tout de même à la dimension environnementale du projet. La pollution de l'air est élevée et dure à supporter pour les populations. Il est temps d'agir. Comme Philippe Dallier, je suis dubitative sur le financement des voies d'accès. L'enjeu est de stimuler le transport ferroviaire.
Je rappelle qu'il est possible de créer une taxe affectée à une dépense précise, à l'image de celle instaurée au XIXe siècle sur les billets de train, pour financer les gares.
Comment les sommes collectées grâce à l'Eurovignette seront-elles réparties entre la France et l'Italie ? Les poids lourds qui emprunteront ce tunnel feront des économies de carburant, ce qui pourrait compenser en partie le coût de la vignette.
Tout a commencé avec la Transalpine, projet porté par une association qui rassemble l'ensemble des élus, des collectivités et des acteurs économiques depuis une vingtaine d'années, pour lutter contre la pollution due au trafic et à l'engorgement des vallées. Les populations souffrent de cette pollution. Qui, aujourd'hui, regrette le tunnel sous la Manche ? Personne !
Ceux qui critiquent ce projet devraient avoir en tête que l'axe Lyon-Turin, à la différence des autres tunnels alpins existants, n'est pas un axe Nord-Sud, mais bien un axe Est-Ouest. Ce nouveau tunnel ne sera donc pas redondant.
Quant au coût total, de 24 milliards d'euros, il inclut la desserte de Chambéry, de Grenoble, d'Annecy et le contournement de Lyon.
Cette infrastructure, qui serait achevée en 2029, sera-t-elle adaptée à l'évolution du trafic, à cette date, même si la croissance, comme le laisse penser Olivier Blanchard, économiste du FMI, n'est pas aussi forte que prévu ?
Le report modal dû au rééquilibrage entre la route et le rail dans les Alpes permettra d'éviter l'émission d'un million de tonnes de gaz à effet de serre par an. Ce n'est pas négligeable ! Cela entraînera aussi des effets sur la pollution et l'engorgement des vallées.
Oui, c'est aussi une incitation à reposer la question de l'écotaxe, qui était pourtant soutenue par une majorité de parlementaires...Il est dommage qu'au moment de décider, l'on recule. Notre fiscalité est bancale. Saisissons cette occasion pour réactiver une dynamique vertueuse. En matière de fret ferroviaire, nous sommes très en retard par rapport à nos voisins.
Nul ne peut affirmer évidemment qu'il n'y aura pas de dépassements budgétaires...
Mais chacun a appris à établir des estimations rigoureuses. La France devra contribuer à hauteur de 2,1 milliards d'euros, soit 200 millions d'euros par an, l'équivalent du budget d'investissement de la métropole grenobloise ou du département de la Savoie... Est-ce insoutenable ? Nos voisins ont réalisé des tunnels comparables sans être aidés...
Les travaux dureront douze ans. Cette durée est due à la complexité du sol...
En effet, il est nécessaire de réaliser de nombreuses études techniques et de creuser des descenderies pour explorer les roches dures qui le composent.
Les transporteurs, à l'image des longs courriers qui effectuent la liaison Londres-Milan, sont moins sensibles au coût qu'au facteur temps. L'incertitude autour de l'ouverture ou de la fermeture des tunnels du Fréjus ou du Mont-Blanc leur est préjudiciable. Ils réclament aussi la possibilité de répercuter tout ou partie de la taxe sur les chargeurs. C'est pourquoi nous préconisons que la taxe apparaisse sur la facture.
Ce projet est à la fois Est-Ouest et Nord-Sud. Notre magnifique façade méditerranéenne est engorgée toute l'année. À Vintimille, les embouteillages de camions ne cessent pas. Tous les élus de la région nous appellent à être encore plus ambitieux pour taxer les poids lourds. De plus, si nous ne perçons pas ce tunnel, nous assisterons à une évasion du trafic Nord-Sud vers d'autres pays. Mieux vaudrait organiser ce corridor, afin de saisir les opportunités de croissance économique et démographique qu'il entraîne.
Il est évident qu'en l'état actuel de ses engagements, l'AFITF n'a pas les ressources pour financer l'ouvrage. D'où la nécessité de recourir d'abord à de la dette, avant de mobiliser des concours budgétaires. Selon nos estimations, il faudra 800 millions d'euros, étalés sur douze ans, avec peu de décaissements au cours des premières années. Toutefois l'AFITF a déjà dépensé, grâce à ses dotations, 250 millions d'euros pour participer au percement des 12 kilomètres de descenderies réalisés. Tout est affaire d'ingénierie financière. Nous ne pouvions être plus précis, faute de disposer de la courbe des décaissements annuels.
Comment envisager que la France ne soit pas capable d'investir 80 millions d'euros par an dans un projet international, indispensable et avec un tel effet de levier ? Il faudrait aussi tenir compte des retombées fiscales pour les collectivités territoriales, estimées à 100 millions d'euros sur la durée du chantier, pour la seule cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) des entreprises travaillant sur le tunnel.
N'oublions pas non plus les créations nettes d'emplois !
L'un des torts des partisans du projet a sans doute été de le justifier avant tout par la croissance du trafic. Celle-ci a été forte dans les massifs alpins jusqu'à la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc en 1999, puis a ralenti, une partie des flux passant désormais par la Suisse ou le sud de la France.
La crise de 2008 a aussi eu un fort impact : entre septembre et octobre 2008, le trafic dans les tunnels alpins s'est effondré de 20 %, et nous n'avons pas, depuis lors, retrouvé les niveaux antérieurs. Le premier objectif est le report modal. Nous devons aussi penser à nous intégrer à la dynamique de la partie sud de l'Europe, dans un axe Est-Ouest, jusqu'aux Balkans. Nous devons profiter du dynamisme de l'Italie du Nord. Les voies de franchissement des Alpes dessinent la carte d'un nouveau Saint-Empire romain germanique. Si nous ne réalisons pas ce tunnel Est-Ouest, nous resterons aux marges de la Mitteleuropa ! Inspirons-nous de la vision de Cavour, qui a lancé en 1857 le tunnel du Mont-Cenis, alors que le royaume de Piémont-Sardaigne était criblé de dettes à cause de la guerre de 1848...
Il n'y avait pas d'agences de notations à l'époque, ni de marchés financiers !
La réalisation des voies d'accès peut être étalée dans le temps. L'enveloppe de 24 milliards d'euros inclut des travaux déjà réalisés comme l'électrification des lignes Gières-Montmélian ou Grenoble-Valence. Les collectivités territoriales de Rhône-Alpes se sont engagées le 19 mars 2002 et le 19 mars 2007 à contribuer à hauteur d'un milliard d'euros. Une partie des voies accès sont déjà fonctionnelles et autofinancées, grâce au transport de voyageurs.
Le système Modalohr est un succès technique. Il participe à l'expérimentation de l'autoroute ferroviaire alpine. Les navettes sont saturées, mais l'impact commercial est limité faute d'un cadencement suffisant et à cause de l'éloignement de la plateforme qui ne permet pas assez de gain de temps. Nous attendons depuis plusieurs années la construction d'une nouvelle plateforme à Grenay, au sud de Lyon, pour accompagner la montée en puissance de la ligne historique et gagner davantage de temps. Les opposants au tunnel prétendent qu'il suffirait de la moderniser encore pour faire passer 20 millions de tonnes de marchandises. Ils ont mal lu le rapport de la Cour des comptes ! Le tunnel du Mont-Cenis a été conçu en 1857. Avec les normes de sécurité actuelles, il est impossible de faire circuler plus de 15 millions à 16 millions de tonnes, au mieux. Pour mémoire, il y a trente ans, à la grande époque, quelque 11 millions de tonnes transitaient par ce tunnel...
Le produit de l'Eurovignette reviendra entièrement à la France. L'Italie est libre de mettre en place une taxe similaire si elle le souhaite. L'accord des deux États est requis pour fixer le tarif des tunnels et instaurer une telle taxe, mais ses modalités relèvent de chaque État. De même, chaque État est libre du mode de financement.
L'Italie a choisi de ne pas taxer les camions qui franchissent le tunnel du Brenner.
En effet. Les Italiens mènent une politique très proactive en faveur du secteur du transport routier, très atomisé dans ce pays, beaucoup plus que chez nous. Certaines voix commencent à s'élever néanmoins pour demander un changement. Peut-être la COP 21 offrira-t-elle l'occasion d'une prise de conscience...
Un mot sur les chiffrages des grands projets. Le coût de la ligne LGV Atlantique s'est élevé à 11,8 milliards d'euros, moins de 1 % de dépassement par rapport aux 11,7 milliards de l'autorisation ministérielle. La ligne Nord a coûté 3,3 milliards, soit 6 % de plus que l'autorisation ministérielle de 3,1 milliards d'euros. Le dépassement a atteint 10 % pour la LGV Est, mais 4 % pour la LGV Méditerranée...
Il ne s'agissait pas de percer un tunnel d'une telle ampleur, avec les incertitudes que cela représente. Songez au tunnel sous la Manche...
J'y viens. Nous avons déjà percé des descenderies. Le chiffrage est précis et prend en compte les aléas géologiques. L'UE a lancé une procédure de certification du coût. Le premier rapport indique que l'estimation est fiable. L'on constate de même que la dérive budgétaire est limitée pour la galerie de sécurité du tunnel du Fréjus. Il existe, il est vrai, des incertitudes géologiques, dues au travail de la montagne, à l'existence de zones de cargneule. Nous avons bénéficié de retours d'expériences. Ainsi, le coût de la galerie de sécurité du tunnel de Fréjus sera conforme aux attentes. D'ailleurs, l'inconnue concerne à 80 % les frais dus au percement de l'ouvrage, et seulement à 20 % les coûts des équipements techniques, qui ne varient guère. En définitive, les risques sont limités, et comme il n'y a pas d'architectes, mais seulement des ingénieurs, je suis confiant...
En attendant, je ne peux que vous inviter à venir visiter le chantier !