Intervention de Harlem Désir

Réunion du 30 septembre 2015 à 14h30
Accord france-russie relatif à des bâtiments de projection et de commandement — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, votre chambre examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l’accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement.

Il s’agit d’un accord important puisqu’il permet de clore définitivement le dossier de la vente de deux bâtiments de projection et de commandement, ou BPC, à la Russie en 2011.

La décision avait en effet été prise dès 2008 de vendre ces deux bâtiments à la Russie, ce qui a abouti au contrat de vente et à l’accord intergouvernemental de 2011 entre la France et la Fédération de Russie.

La décision de vendre de tels bâtiments, destinés, comme leur nom l’indique, à la « projection » de forces, à un pays qui, trois ans auparavant, avait agressé un État voisin relevait d’un pari risqué.

La politique russe vis-à-vis de pays voisins, souvent liés à l’Union européenne par des accords de partenariat ou d’association, les événements en Ukraine qui ont suivi la révolte du Maïdan, l’annexion illégale et non reconnue par la communauté internationale de la Crimée et le plongeon du Donbass dans la guerre civile ont rendu l’exécution de ce contrat impossible.

La France et la Russie ont donc abouti conjointement au constat que les deux bâtiments de projection et de commandement ne pourraient être livrés.

Nous avons donc décidé de négocier les conditions d’un règlement à l’amiable de cette question.

Un accord a été trouvé et signé le 5 août dernier. Il vous est soumis aujourd’hui pour la partie qui requiert une autorisation parlementaire en vertu de la Constitution.

La décision du Gouvernement a été prise après mûre réflexion, en toute indépendance, dans un esprit de responsabilité.

Responsabilité, tout d’abord, au plan international : le conflit ukrainien, au cœur de l’Europe, a créé une situation exceptionnelle qui ne permettait pas de livrer ces matériels.

Nous avons pris notre décision en toute indépendance, ce qui n’implique pas de ne pas tenir compte des circonstances et des inquiétudes, pour certaines légitimes, de nos plus proches partenaires au sein de l’Union européenne.

Avant de juger de l’opportunité de cette décision, il faut donc s’interroger : que serait-il advenu de notre légitimité au sein du format Normandie pour traiter de la résolution ukrainienne après avoir livré un tel matériel ? Quelle aurait été notre crédibilité auprès de certains de nos amis européens à plaider sans relâche pour la défense européenne en ayant ainsi ignoré leurs préoccupations pressantes ?

Responsabilité, aussi, de la France au regard de ses engagements, ce qui nous a conduits à privilégier la négociation avec la Russie.

À cet égard, il n’y a aucune violation par la France de ses engagements, puisque le différend apparu sur cette question a été finalement réglé à l’amiable. Le contrat et l’accord signés en 2011 sont remplacés par de nouveaux textes, négociés et signés avec la Russie. Je note d’ailleurs que celle-ci ne nous fait aucun mauvais procès à ce sujet. La question est close à titre bilatéral.

Responsabilité, enfin, au regard des intérêts financiers de la France, la négociation avec la Russie nous préservant d’une procédure d’arbitrage dont le résultat aurait été hasardeux et certainement plus coûteux. À tout le moins, il nous aurait exposés à une très longue procédure, pendant laquelle les bateaux auraient dû être gardés, stationnés et entretenus, sans possibilité de les vendre. Cette option devait être évitée.

Cet accord nous a permis de récupérer la pleine propriété des bâtiments, et donc de pouvoir les revendre, ce qui était évidemment l’intérêt financier de la France.

Est-ce à dire que nous avons pris une décision contre la Russie, que nous refuserions de la considérer comme un partenaire ? En aucun cas.

Tout d’abord, cette affaire a été menée de bout en bout non pas contre la Russie, mais avec elle. La solution trouvée résulte d’une négociation.

Ensuite, ne pas livrer, dans les circonstances actuelles, de tels bâtiments ne signifie pas que nous renoncions à des relations étroites avec ce pays, par-delà les difficultés qu’il ne faut pas nier.

Prenons le dossier du nucléaire iranien : c’est en bonne intelligence avec la Russie, et d’autres partenaires, que nous l’avons traité.

Le dossier syrien, nous savons que, malgré nos profonds désaccords, qui ont encore été exprimés aux Nations unies, c’est en relation avec Moscou, et d’autres, évidemment, que nous devons le gérer.

La crise ukrainienne, c’est bien sûr avec les autorités ukrainiennes et les autorités russes que nous en parlons, de façon d’ailleurs assez constructive en ce moment, dans le cadre du format dit de Normandie.

Au total, l’accord auquel nous sommes parvenus est un bon accord qui nous permet de sortir dans des conditions satisfaisantes d’une situation compliquée.

Quatre textes ont été négociés et signés.

D’abord, un accord intergouvernemental qui met fin à l’accord de 2011, qui attribue la pleine propriété des deux BPC à la France et qui exclut tout recours entre la France et la Russie sur ce dossier. Cet accord intergouvernemental ne relève pas de l’article 53 de la Constitution et ne nécessite pas formellement d’autorisation parlementaire ; il vous a néanmoins été communiqué parce qu’il constitue un tout avec le texte suivant.

Celui-ci, qui est le deuxième texte, est un accord sous forme d’échange de lettres qui prévoit deux dispositions essentielles qui l’une comme l’autre justifient une autorisation du Parlement : le montant du remboursement dont bénéficie la Russie et l’exclusion de toute indemnisation pour tout préjudice éventuel à l’égard des tiers.

Le troisième texte est un avenant au contrat signé entre DCNS et Rosoboronexport, qui met fin au contrat commercial initial et solde les choses entre les deux entreprises.

Le quatrième texte, est une convention entre l’État et DCNS.

Les travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dont je remercie le président, M. Raffarin, et le rapporteur, M. del Picchia, ont été l’occasion, je crois, d’éclairer la Haute Assemblée sur le contenu exact de ces accords, et notamment leur aspect financier.

Je le répète : notre conviction est que l’accord obtenu est un bon accord pour la France.

Sur le plan de nos relations avec la Russie, c’est un accord amiable qui solde la question et évite tout contentieux futur avec elle sur ce dossier.

Sur le plan financier, il répond à l’objectif que nous nous étions fixé en début de négociation : rembourser la Russie des sommes qu’elle avait engagées au titre de ce contrat ; mais n’accepter aucune forme de pénalité financière. Tel est bien le cas.

Enfin, cet accord nous permet de disposer de la pleine propriété des bateaux, ce qui nous a permis, comme vous le savez, de conclure un accord avec l’Égypte le 22 septembre dernier, actant la revente des deux bateaux pour un montant de 950 millions d’euros.

Cet accord avec l’Égypte confirme le bien-fondé de l’approche retenue par le Gouvernement. Nous nous étions engagés à revendre ces navires, et ce rapidement, pour limiter les coûts de l’opération pour l’État et pour donner un avenir à deux navires de haute technologie que peu de chantiers navals dans le monde sont capables de produire ; c’est fait. On nous a dit que la décision de ne pas livrer à la Russie entacherait notre réputation de fournisseur fiable : c’est, une fois de plus, contredit par les faits.

Dans cette affaire, le Gouvernement a donc géré au mieux une situation qui était mal engagée, en préservant à la fois nos intérêts diplomatiques, industriels et financiers. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous appelle, mesdames, messieurs les sénateurs, à approuver cet accord.

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