Intervention de Jean-Vincent Placé

Réunion du 30 septembre 2015 à 14h30
Accord france-russie relatif à des bâtiments de projection et de commandement — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Vincent PlacéJean-Vincent Placé :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la question de l’exportation de matériel militaire n’est jamais un sujet léger et facile. À des intérêts industriels s’ajoutent en effet des enjeux géopolitiques et surtout éthiques. Le difficile arbitrage entre ces intérêts est souvent source de contradictions. En témoigne la décision de revendre ces navires à l’Égypte, régime guère plus fréquentable que la Russie.

Il nous appartient aujourd’hui de démêler cet enchevêtrement en nous gardant de verser dans l’excès ou la caricature.

Dès l’origine, l’accord ainsi que le contrat commercial afférent étaient contestables. L’attitude de la Russie en Ukraine a rendu inévitable la suspension d’un marché qu’il aurait en réalité été sage de ne jamais conclure – je le dis gentiment à l’adresse de la précédente majorité –, puis l’engagement de négociations en vue d’un règlement amiable.

À plusieurs égards, il est heureux que nous soyons parvenus à cet accord négocié avec la Russie.

Tout d’abord, avoir vidé ce contentieux permettra de maintenir un dialogue de qualité avec elle et d’assurer la position de médiateur qu’occupe, conjointement avec l’Allemagne, la France dans l’épineux dossier ukrainien. En outre, le soutien militaire de plus en plus affiché et concret que la Russie apporte au régime de Bachar al-Assad en fait ipso facto un partenaire incontournable en vue d’un règlement politique de cette crise, mais c’est un autre débat.

Ce règlement amiable nous permet aussi d’éviter le chemin long et incertain du recours à l’arbitrage. Cet accord nous offre en effet d’appréciables garanties juridiques, notamment en termes de propriété intellectuelle. Il ne prévoit ni pénalités ni remboursement de frais afférents à d’autres programmes connexes.

Pour autant, monsieur le secrétaire d’État, des zones d’ombre subsistent quant aux conséquences de cette opération pour les finances publiques.

Le prix exact de revente à l’Égypte n’a pas été communiqué. Il est toutefois certain que celui-ci comprend une moins-value par rapport au contrat initial. Or ce prix déterminera le montant de l’indemnisation de DCNS que devra supporter la COFACE. Et cette indemnisation diminuera d’autant les sommes excédentaires que cet assureur reverse chaque année à l’État.

Reste aussi en suspens la question du démontage des équipements russes, si cela s’avérait finalement nécessaire.

Il ne fait nul doute que l’opération aura un impact sur les finances de l’État. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement fera preuve de transparence à ce sujet et saura associer pleinement le Parlement.

Mais force est de constater que, dès lors qu’est en cause l’exportation de matériel militaire, l’implication du Parlement, comme l’a fort bien dit Daniel Reiner, est justement là où le bât blesse. Ne nous y trompons pas, c’est au seul titre des conséquences de cette cessation sur les finances publiques que nous sommes saisis aujourd’hui, comme le prévoit l’article 53 de la Constitution. Et encore, nous débattons alors que le versement a de toute manière déjà été effectué !

Il faut aussi souligner que nous nous exprimons uniquement sur l’un des deux accords signés ce 5 août, celui qui règle les conséquences financières. Celui qui met un terme à l’accord initial ne nous est même pas soumis. De même, le Parlement n’a aucunement été amené à s’exprimer au sujet de l’accord et du contrat initialement signés par le président Sarkozy et, à ma connaissance, ces documents ne nous ont d’ailleurs pas été communiqués en vue de nos débats aujourd’hui.

Preuve supplémentaire, s’il en était besoin, de cette mise à l’écart du Parlement : l’annonce que ces navires seront revendus à l’Égypte, avant même que la Chambre haute ait eu l’occasion de débattre.

Ce sont là les conséquences néfastes d’une interprétation constante en vertu de laquelle toutes les questions diplomatiques et de défense, dont relève l’exportation de matériel militaire, ressortent du fameux « domaine réservé » de la Présidence de la République.

Quelle que soit l’opinion que nous puissions avoir sur les sujets de fond, il importe de mettre un terme à cet état de fait, certes permis par la Constitution, mais totalement contraire à l’impératif démocratique. Choisir d’exporter des armes, ce n’est pas un simple choix diplomatique ou commercial, c’est un choix qui implique des valeurs, une éthique, et donc évidemment des prises de position politiques.

Or, dans une démocratie, la représentation nationale est par nature le lieu où s’effectuent de tels choix, car c’est là que s’affrontent des visions divergentes du bien commun. Au regard de l’exigence démocratique, un contrôle du Parlement s’impose. Celui-ci pourrait par exemple prendre la forme d’une délégation parlementaire de contrôle des exportations de matériel de guerre, comme l’a proposé le groupe écologiste à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019.

Le caractère lucratif de ces contrats rend malheureusement illusoire le vœu de mettre un terme à ce dangereux commerce. En revanche, la mise en place d’un véritable mécanisme de contrôle parlementaire est parfaitement envisageable, et cela existe d’ailleurs dans bon nombre de démocraties, comme au Royaume-Uni.

La décision de vendre ces navires à l’Égypte souligne l’urgente et impérieuse nécessité d’instaurer un tel contrôle. Les carnets de commandes des industriels français de l’armement sont bien garnis, et leurs clients sont rarement des démocraties libérales.

Monsieur le secrétaire d’État, le commerce des armes n’est pas le doux commerce de Montesquieu ! Nos importantes exportations d’armes vers le Moyen-Orient risquent fort de déstabiliser un peu plus la zone.

Tout porte à croire que le Gouvernement a cédé aux impératifs du court terme en cherchant à se « débarrasser » au plus vite de ces navires en faisant peu de cas du caractère dictatorial et arbitraire du régime de M. al-Sissi.

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