Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 30 septembre 2015 à 14h30
Accord france-russie relatif à des bâtiments de projection et de commandement — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Avant l’embellie égyptienne, il est clair que nous allions vers un naufrage financier qui aurait pu coûter plusieurs centaines de millions d’euros à notre pays.

Certes, aujourd’hui, c’est une nouvelle donne : le chèque égyptien permet de compenser l’indemnisation de DCNS opérée par la COFACE pour le compte de l’État.

Mais il reste quelques incertitudes quant aux pertes induites, que vous serez peut-être en mesure de lever, monsieur le secrétaire d’État. Le montant global du marché des Mistral s’élevait à 1, 2 milliard d’euros. La COFACE va-t-elle régler la marge qui était prévue pour l’entreprise de construction navale ? Notre commission des finances estime que le budget de l’État supportera un manque à gagner compris entre 200 millions et 250 millions d’euros.

Enfin, le contrat avec la Russie avait prévu un accès gratuit à des technologies et savoir-faire, par exemple en matière d’assemblage des coques de navire. Si l’accord du 5 août dernier lui interdit de réexporter cet avantage, il n’en demeure pas moins que cela représente désormais un don gracieux pour l’industrie russe.

Au-delà des enjeux économiques, il est également question, bien entendu, de l’autonomie stratégique de la France. En mai 2014, le Président de la République affirmait, depuis l’Allemagne, que le contrat signé en 2011 avec la Russie s’exécuterait, pour finalement annoncer quelques mois plus tard sa suspension.

Sans méconnaître les dessous de la crise ukrainienne, les sanctions européennes n’imposaient pas l’annulation de ce contrat. C’est donc une décision clairement politique, celle du Président de la République et du Gouvernement, que l’on nous demande aujourd’hui d’approuver a posteriori.

Devons-nous la partager ? Pour le RDSE, cette décision appelle plusieurs remarques.

La première, c’est que l’on peut se demander si elle a été prise en toute indépendance compte tenu des pressions non dissimulées exercées par les États-Unis et l’Allemagne. Tout en respectant nos alliés, avons-nous des leçons à recevoir de ces deux pays, qui défendent souvent très bien leurs propres intérêts quand cela s’avère nécessaire ? S’agissant de l’Allemagne, je rappellerai juste que l’Ukraine constitue un réservoir de main-d’œuvre bon marché qu’elle ne trouve plus au sein de la Mitteleuropa, où les salaires ont grimpé. En 2010, l’Allemagne alignait 1 800 usines en Ukraine, contre 50 pour la France ! Qui donc a le plus à perdre dans la crise ukrainienne ? On peut s’interroger...

Quant aux États-Unis, ils ont repris le dialogue avec la Russie, devenue le centre de toutes les attentions au sommet de l’ONU. La France a donc pris une décision dans un contexte où la Russie était censée être isolée, mais, en réalité, elle ne l’est plus vraiment.

Ensuite, je souhaitais faire deux observations concernant le nouveau client des Mistral qu’est l’Égypte.

D’une part, vendre aux Égyptiens, c’est in fine faire plaisir à la Russie. En effet, les deux pays ont de nombreuses habitudes de coopération militaire depuis Nasser. Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale l’a lui-même indiqué lors de son audition par nos collègues députés.

D’autre part, si l’Égypte constitue actuellement un pôle de stabilité dans la région, on ne peut pas dire que ce pays réponde complètement aux standards démocratiques qui sont les nôtres. Ce contrat n’est donc pas plus exemplaire que le précédent sur le plan éthique, surtout lorsque l’on sait que l’Arabie Saoudite, pointée du doigt sur la question du respect des droits de l’homme, aide financièrement l’Égypte dans la constitution d’une force militaire arabe conjointe.

Tout cela manque un peu de cohérence...

Enfin, mes chers collègues, je terminerai sur la question des relations franco-russes, qui sont bien sûr un enjeu fondamental de ce dossier.

La France et la Russie ont toujours entretenu de bonnes relations. Alors, gardons-nous bien de céder aux sirènes d’une prétendue néo-guerre froide qui n’a pas lieu d’être. Les États-Unis oscillent toujours entre méfiance et rapprochement avec Moscou. De notre côté, agissons en toute indépendance avec un grand pays qui reste pour nous, malgré toutes ses difficultés internes, un partenaire privilégié.

À cet égard, pour conclure, mes chers collègues, je reprendrai les propos que le président François Mitterrand, désormais entré dans l’histoire, avait tenus à Moscou en 1984, pour sa première visite officielle : « Rares ont été les moments au cours des siècles où nous nous sommes affrontés, et lorsque ces affrontements se sont produits, le mouvement naturel de l’Histoire les a aussitôt surmontés, effacés, avant de nous réunir, jusque et y compris dans la fraternité d’armes ».

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