Intervention de Alain Milon

Réunion du 30 septembre 2015 à 21h30
Modernisation de notre système de santé — Article 46 ter

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Mon intervention sera peut-être un peu longue, mais je serai bref lors de l’examen de l’amendement du Gouvernement.

L’article 46 ter, qui résultait de l’adoption à l’Assemblée nationale d’un amendement du professeur Jean-Louis Touraine relatif aux greffons, a été supprimé par la commission des affaires sociales du Sénat.

La législation actuelle n’est en rien responsable du taux de refus du don d’organes constaté, contrairement à ce que prétendent les partisans d’un renforcement du principe du consentement présumé. Il est aisé d’en faire la démonstration.

L’Espagne, qui applique également le principe du consentement présumé, affiche un taux de refus du prélèvement d’organes de 18 %. La Belgique, qui applique le principe de la solidarité présumée, équivalent à celui du consentement présumé, connaît un taux de refus d’environ 20 %.

En France, on constate d’importantes disparités régionales, que la législation ne saurait expliquer. Le taux de refus est de 40 % en Île-de-France, et de seulement 20 % dans l’ouest de notre pays. Pour mémoire, le taux d’opposition au don en France, tel qu’il a été établi lors des enquêtes d’opinion, est de l’ordre de 20 % à 25 %.

En d’autres termes, il est possible, en France comme en Espagne, en Île-de-France comme dans l’ouest de notre pays, avec la législation actuelle, qui prend en compte le témoignage des proches, d’aboutir à un taux de refus effectif conforme au taux de refus attendu. La même loi s’appliquant sur l’ensemble du territoire national, le fait que les refus soient plus fréquents à Paris ou à Marseille qu’ailleurs n’est pas lié à la législation actuelle.

Pourquoi les refus sont-ils aussi nombreux ? L’amendement qui a été présenté à l’Assemblée nationale était censé réduire de façon drastique le taux d’opposition au don d’organes. Mais, en réalité, la mise en œuvre de son dispositif nous aurait détournés d’identifier les motifs réels de nos échecs et de rechercher des pistes d’amélioration.

Quant au recueil, auprès des proches, de la non-opposition, il dépend de deux éléments.

Le premier est la sensibilisation et l’information des Français. Un entretien avec les proches du défunt est notamment facilité lorsque les personnes auxquelles on s’adresse ont été sensibilisées au préalable.

Le second est le professionnalisme des personnels de santé impliqués dans de tels entretiens.

Ce qui fait le succès du système espagnol, c’est l’existence d’une culture du don d’organes, acquise par la population, et d’équipes de coordination particulièrement performantes.

En France, la connaissance affinée des déterminants des refus n’a jamais été prise en compte pour élaborer la communication de l’Agence de la biomédecine. Le déficit de sensibilisation et d’information du public est flagrant : notre organisation n’est pas optimale. Toutes les régions et tous les établissements autorisés à effectuer des prélèvements d’organes ne sont pas aussi performants.

Dans un esprit pragmatique, l’Agence de la biomédecine devrait s’inspirer des méthodes qui font leurs preuves dans certaines régions de France et les étendre aux autres, pour que les mesures prises puissent être fondées, autant que possible, sur des expériences de terrain.

Étrangement, cette démarche n’a jamais été entreprise, alors qu’elle tombe sous le sens. Elle mettrait probablement au jour des vérités qui dérangent : les carences en matière de communication auprès du public, le manque de formation des personnels de santé concernés, les défauts dans l’organisation territoriale, s’agissant notamment des réseaux de prélèvement.

En conclusion, nous sommes responsables du taux élevé de refus.

Parmi ceux qui soutiennent le principe du consentement présumé, certains laissent penser que l’esprit de la loi Caillavet, telle que rédigée en 1976, ferait du don d’organes après la mort un devoir social.

Qu’est-ce qu’un devoir social ? Léon Bourgeois en a donné cette définition en 1896 : « Le devoir social n’est pas une pure obligation de conscience. C’est une obligation fondée en droit, à l’exécution de laquelle on ne peut se dérober. »

Il convient de rappeler les termes de la loi Caillavet de décembre 1976, relative aux prélèvements d’organes : « Des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement. »

Le décret n° 78-501 du 31 mars 1978, pris pour l’application de ce texte, ne fixait pas de limitation aux modalités selon lesquelles nos concitoyens pourraient exprimer un éventuel refus au don et, par là même, faire respecter leur intégrité corporelle après leur mort. La personne qui entend s’opposer à un prélèvement sur son cadavre peut exprimer son refus par tout moyen.

Pour résumer, l’esprit de la loi Caillavet, c’est la présomption de solidarité volontaire, et non celle de solidarité imposée.

Pour autant, peut-on exclure le témoignage des proches ? Si l’accord de ces derniers n’est pas légalement requis, leur acceptation, adhésion, approbation, acquiescement ou aval est nécessaire.

Il est illusoire de croire que le don d’organes puisse relever d’une obligation, contrainte ou injonction.

Comme le relève l’Agence de la biomédecine elle-même dans le bilan de l’application de la loi relative à la bioéthique qu’elle a dressé en octobre 2008, « en pratique, et quel que soit le régime de consentement exprès ou présumé, tous les pays s’assurent également de la non-opposition des familles ».

La commission a effectué, sur ce point, des recherches approfondies. À notre connaissance, exception faite de la Russie, aucun pays européen ne pratique de prélèvements d’organes en cas d’opposition des familles.

Si la non-opposition des proches comme préalable au don d’organes est la règle dans tous les pays démocratiques appliquant le principe du consentement présumé en l’absence d’inscription de la personne décédée sur un éventuel registre des refus, c’est sans doute qu’une application stricte du principe du consentement présumé n’a pas été jugée souhaitable.

À nos yeux, le prélèvement d’organes ne saurait donc être imposé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion