Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a encore une dizaine d’années, on entendait beaucoup dire que les moyens mis en œuvre par les fraudeurs fiscaux étaient tellement complexes, qu’ils protégeaient des intérêts si puissants, qu’ils se développaient dans des lieux tellement opaques que la lutte contre ces pratiques était forcément vaine, voire perdue d’avance. Il est vrai que, rétrospectivement, on s’aperçoit que la tâche était énorme.
L’évasion fiscale n’a rien d’un grand flux que l’on pourrait stopper en actionnant une grande vanne. Au contraire, il existe « des » évasions fiscales ! Elles sont complexes, entremêlées, nébuleuses. Elles sont structurées par une véritable industrie qui prospère en court-circuitant nos richesses nationales au profit d’acteurs privés, mais aussi publics, pour lesquels il s’agit d’un véritable fonds de commerce. Encore aujourd’hui, les chiffres du manque à gagner fiscal donnent le tournis !
Pour lutter contre ce système organisé, il a fallu rassembler une série de qualités, dont une certaine forme de ténacité et de constance, ainsi qu’une méthode articulée sur trois points.
Tout d’abord, il fallait comprendre. La technicité de la matière était telle qu’il était indispensable de travailler à mieux l’appréhender. La Haute Assemblée a d’ailleurs joué son rôle ; je veux rappeler les travaux menés sur ce sujet, depuis 2011, par les commissions d’enquête successives, dont je reconnais ici quelques contributeurs avec lesquels j’ai partagé ces moments d’investigation. Le groupe de travail sur la fiscalité du numérique, qui a récemment rendu ses conclusions, complète cet ensemble documentaire qui a, je l’espère, contribué à éclairer le chemin sur lequel nous nous sommes engagés et la voie sur laquelle il faut poursuivre.
Ensuite, il s’agissait de s’entourer. Puisqu’il est établi qu’aucun État ne peut mener seul un tel combat, il a fallu entamer un immense travail de conviction auprès des États partenaires et former des coalitions. De ce point de vue, la France a été particulièrement volontaire en agissant comme un moteur de la mobilisation internationale. Elle s’est engagée au sein du G5, du G20, de l’OCDE et de l’Union européenne pour le civisme et la transparence en matière fiscale, œuvrant pour que les compromis rejoignent les positions les plus ambitieuses.
En étant objectif, ce processus a été accéléré par trois événements que nous ne maîtrisions pas : l’intolérance grandissante des opinions publiques internationales pour les pratiques fiscales déloyales, relayée par les ONG ; un contexte de raréfaction des ressources publiques ; la pression internationale exercée par les États-Unis, qui sont parvenus à faire émerger l’échange automatique à l’échelle bilatérale via le règlement FATCA – même si cette démarche traduisait un repli assez égoïste sur eux-mêmes.
Enfin, troisième étape, qui nous concerne aujourd’hui : il nous faut concrétiser ces avancées. Les succès sur le plan international doivent être suivis d’effets et être transformés en mesures applicables.
Lors des discussions préalables à la rectification des accords FATCA, il y a un an, j’avais formulé ici le souhait que le Gouvernement poursuive son engagement et veille à ce que les négociations sur la généralisation du principe de l’échange automatique des données aboutissent. Je me réjouis, monsieur le secrétaire d’État, que la France ait été à la hauteur.
Le 29 octobre 2014, cinquante et un États ont signé un accord multilatéral et fédérateur, établi par l’OCDE, visant à mettre en place, dès 2017, un échange automatique mutuel d’informations financières relatives non seulement aux comptes bancaires, mais aussi aux contrats d’assurance vie et aux trusts. Parmi les signataires, dont la liste s’est étendue depuis, on trouve des pays historiquement attachés au secret bancaire comme la Suisse, le Luxembourg et l’Autriche, ou des centres financiers offshore critiqués pour leur opacité, comme les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans, les Bermudes ou Jersey.
Dès 2011, nous avions défendu cet objectif de transparence au travers de l’échange automatique d’informations dans le cadre d’une commission d’enquête. Dès l’automne 2012, nos propositions ont été accueillies avec intérêt par le ministre de l’économie et des finances de l’époque, Pierre Moscovici – qui a poursuivi son engagement pour la justice fiscale dans le cadre de sa fonction de commissaire européen –, puis par Michel Sapin et Christian Eckert.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer également le travail constant et particulièrement éclairant de l’OCDE et de son directeur en matière fiscale, M. Pascal Saint-Amans. Les succès de ces dernières années leur doivent beaucoup ! Sous l’impulsion du G20, l’OCDE a en effet œuvré pour la généralisation du principe d’échange automatique. L’accord de Berlin consacre une nouvelle norme mondiale qui devient un véritable standard international, compte tenu de sa raison d’être intrinsèquement multilatérale et réciproque. Ce standard affiche une crédibilité bien supérieure à celle de la loi FATCA, crédibilité nécessaire pour qu’il fasse autorité, même s’il comporte encore des imperfections.
Avec un peu de recul, nous devons nous réjouir de la vitesse inédite à laquelle s’est opéré ce renversement du rapport de force à l’échelle internationale et de la promptitude à transformer cette dynamique en mesures juridiquement opposables. Ce mouvement de fond éclaire le franc succès de la cellule de régularisation des avoirs détenus à l’étranger mise en place par Bercy : 2 milliards d’euros en 2014, 2, 6 milliards d’euros cette année et 2, 4 milliards d’euros l’année prochaine ! De plus, ces sommes ne représentent que des régularisations. Il faut en effet rappeler que les rapatriés fiscaux redeviennent ensuite des contribuables. La bonne performance récente de l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune, devrait être plus souvent perçue sous cet angle. Ces chiffres doivent, en outre, être appréhendés en comparaison des baisses d’impôts consenties au bénéfice des classes populaires et moyennes ces dernières années : 1, 3 milliard d’euros en 2014, 3, 2 milliards d’euros en 2015 et 2 milliards d’euros en 2016 !
C’est bien là l’essentiel : cette démarche touche en tout premier lieu à la moralisation de l’action publique ! S’il est encore trop tôt pour décréter la fin de l’évasion fiscale et si de nombreux combats restent à mener, il s’agit tout de même d’un immense pas dans la bonne direction. Parmi les combats encore à mener, je pense notamment à celui sur la fiscalité du numérique, qui touche particulièrement la question de la fraude à la TVA, en appelant de mes vœux une forme aussi positive de co-construction de la réponse publique.
Je voterai évidemment le projet de loi, comme l’ensemble du groupe socialiste et républicain. J’appelle à un vote massif en faveur de ce texte, qui valide cette avancée historique et raffermit notre pacte républicain.