Séance en hémicycle du 29 octobre 2015 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance est ouverte à dix heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

M. le président du Sénat a reçu hier un rapport de M. Jacques Mézard au nom de la commission d’enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, créée le 4 mai 2015, à l’initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, en application de l’article 6 bis du règlement.

Ce dépôt a été publié au Journal officiel, édition « Lois et décrets », de ce jour. Cette publication a constitué, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’Instruction générale du Bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.

Ce rapport sera publié sous le n° 126, le mercredi 4 novembre 2015, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.

La commission des lois propose la candidature de M. Mathieu Darnaud pour siéger comme titulaire au sein de cet organisme.

Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part (projet n° 559 [2014-2015], texte de la commission n° 57, rapport n° 56).

Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.

Je vais donc le mettre aux voix.

Est autorisée la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la Géorgie, d'autre part (ensemble trente-quatre annexes et quatre protocoles), signé à Bruxelles le 27 juin 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part.

Le projet de loi est définitivement adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers (projet n° 651 [2014-2015], texte de la commission n° 60, rapport n° 59).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Thierry Braillard

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, qui ne peut être au Sénat ce matin, vous prie de bien vouloir l’excuser et m’a demandé de vous présenter le projet de loi de ratification concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, texte que le Gouvernement considère comme essentiel. C’est donc avec grand plaisir que je suis ici ce matin.

L’accord multilatéral sur l’échange automatique d’informations financières à des fins fiscales est une manifestation majeure au niveau mondial et très concrète des progrès de la transparence fiscale. Il est aussi, dans ce cadre, l’expression de la coopération développée par les États pour répondre aux phénomènes de fraude et d’évasion qui portent atteinte aux recettes publiques et à l’égalité devant l’impôt. Ainsi, il traduit un véritable changement d’époque.

La France, s’appuyant sur le mouvement lancé par les États-Unis avec la « loi FATCA » – Foreign Account Tax Compliance Act – de 2010, s’implique, depuis plusieurs années déjà, dans la promotion d’un mécanisme d’échange automatique d’informations financières à des fins fiscales, multilatéral et réciproque, qui a vocation à s’étendre sur le plan mondial. Elle a d’ailleurs été très active en la matière au sein du G20 et de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE.

En ce sens, notre pays a coopéré avec ses partenaires du G5 : l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Ensemble, nous avons en particulier encouragé l’OCDE à travailler de manière intensive, dans l’objectif d’élaborer un standard technique d’échange automatique d’informations.

En même temps, nous nous sommes engagés dès 2013 à appliquer ce standard sans retard, dès qu’il serait techniquement au point, entraînant derrière nous plusieurs dizaines d’États et de territoires, qui se sont appelés les « précurseurs ».

Dans la droite ligne de ces actions, l’accord multilatéral sur l’échange automatique d’informations, fondé sur le tout nouveau standard de l’OCDE, a été annoncé par M. Michel Sapin et ses homologues allemand, britannique, espagnol et italien lors d’une réunion qui s’est tenue à Paris le 28 avril 2014. Il a ensuite été signé à Berlin le 29 octobre de cette même année par une cinquantaine d’États et territoires. La magie de l’ordre du jour fait que c’était il y a tout juste un an !

Aujourd'hui, cet accord compte soixante et un adhérents au total, dont la Suisse.

De manière simultanée, et en cohérence avec ces avancées mondiales, l’Union européenne s’est aussi accordée sur une directive sur ce sujet lors d’une réunion du Conseil de l’Ecofin qui a eu lieu le 9 décembre dernier.

À ce jour, trente-trois pays, parmi lesquels on peut citer des centres financiers importants tels que Hong Kong et Singapour, sont engagés à échanger automatiquement des informations financières avec les administrations fiscales étrangères, en prévoyant les premières transmissions de données en 2017, comme ce sera le cas pour la France et les États membres de l’Union européenne, ou en 2018.

L’échange automatique prévu, qui est très large puisqu’il porte sur les comptes bancaires et les contrats d’assurance vie des contribuables, ainsi que leur solde ou valeur de rachat et les revenus financiers perçus, permettra à chaque autorité fiscale d’identifier de manière très efficace les risques de fraude fiscale liés à la dissimulation, par ses résidents, d’avoirs à l’étranger. Il se place en amont de l’assistance mutuelle sur demande entre les administrations, qui reste un outil nécessaire pour conduire, pour approfondir et pour confirmer les investigations du contrôle fiscal. D’ailleurs, il a déjà un effet dissuasif très puissant.

À cet effet, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons créé un service de traitement des déclarations rectificatives, qui permet aux contribuables de régulariser leur situation, en acquittant l’intégralité des droits, intérêts de retard et pénalités prévues par la loi. Ainsi, 2 milliards d’euros de recettes ont été recouvrés en 2014, et plus de 2, 6 milliards d’euros sont attendus en 2015.

Par ailleurs, je souligne que, avec nos partenaires, notamment au sein de l’Union européenne, nous avons veillé à fixer toutes les règles pour que les données échangées, dont nous mesurons l’importance pour les contribuables, restent confidentielles. De manière générale, celles-ci devront bénéficier des règles de protection exigées par notre droit.

L’entrée en vigueur de ce dispositif est prévue le 1er janvier 2016, et des travaux sont en cours pour faire en sorte qu’elle se déroule de la manière la plus satisfaisante possible. Cela suppose d’identifier les contraintes des différentes parties prenantes et d’en tenir compte dans la mesure du possible.

Dans cet esprit, les services du ministère des finances échangent régulièrement avec les institutions professionnelles représentatives des établissements financiers sur les diligences que ces derniers devront accomplir pour collecter les informations déclarables et les déclarations qu’ils devront déposer.

À cet égard, l’une des difficultés à résoudre réside dans le fait que l’identification des personnes à déclarer porte non pas uniquement sur les contribuables d’un État, comme c’est le cas avec le « système FATCA » en vigueur aux États-Unis, mais sur les résidents de très nombreux pays, dont le nombre a vocation à s’accroître encore pour couvrir in fine tous les clients non résidents.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, cet accord est crucial dans la mesure où il est de nature à concrétiser les actions conduites par les pouvoirs publics, notamment au niveau international, pour développer des réponses qui soient à la hauteur des enjeux face à la fraude et à l’évasion fiscales.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

, madame la présidente de la commission des finances, grande spécialiste, entre autres sujets, de la FATCA, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

… mes chers collègues, le passage à l’échange automatique d’informations fiscales, priorité politique majeure portée par les pays de l’OCDE et du G20, est la clé de voûte de la lutte contre le secret bancaire, qui permet à des particuliers de dissimuler leurs actifs à l’étranger.

Comme vient de l’expliquer M. le secrétaire d’État, la coopération fiscale entre les États repose aujourd’hui sur l’échange à la demande, c'est-à-dire au cas par cas, ce qui suppose de savoir ce que l’on cherche et de s’adresser à un partenaire de bonne volonté, deux conditions qui sont loin d’être toujours réunies.

Pour que l’échange automatique dépasse le stade du vœu pieu, il a fallu la loi « FATCA », cette initiative unilatérale et, à vrai dire, quelque peu cavalière des États-Unis, adoptée en 2010. N’ayant plus guère le choix, les pays européens, puis les pays du G20, se sont mobilisés, et ont confié à l’OCDE le soin d’élaborer une « norme commune de déclaration » multilatérale.

C’est cette norme que reprend le présent accord multilatéral, que quatre-vingt-quatorze États se sont engagés à signer à Berlin le 29 octobre 2014, voilà tout juste un an aujourd'hui, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État.

Le champ de la norme commune de déclaration est très large et couvre un grand nombre d’informations, de comptes déclarables et d’institutions financières. Ces dernières doivent mettre en œuvre une série de « diligences raisonnables », afin d’identifier les comptes de non-résidents.

Les données seront collectées à partir du 1er janvier 2016, et les premiers échanges d’informations entre les États auront lieu avant le 30 septembre 2017.

Le passage à l’échange automatique constitue un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Il a d’ores et déjà produit des effets tangibles. La seule perspective du recul du secret bancaire a conduit de nombreux contribuables disposant d’actifs dissimulés à se manifester auprès du service de traitement des déclarations rectificatives, le STDR.

Cette épée de Damoclès devrait permettre à l’État de collecter près de 2, 7 milliards d’euros de droits et pénalités en 2015.

L’accord multilatéral de l’OCDE souffre toutefois d’une faiblesse importante par rapport à la loi FATCA : il ne présente pas de caractère contraignant. Il procède, en effet, d’une approche multilatérale et volontaire, qui fait reposer sur les grands États, parmi lesquels la France, la responsabilité de tout faire pour convaincre les autres de les suivre. Faute d’une telle mobilisation internationale, certaines banques pourraient tout simplement proposer à leurs clients de déplacer leurs comptes dans des juridictions non signataires, où le secret bancaire demeurerait intact.

L’autre faiblesse du dispositif tient aux incompatibilités entre le standard OCDE et la loi FATCA.

La première différence entre ces dispositifs, une différence majeure, réside dans la non-réciprocité du second : à ce jour, les États-Unis n’ont encore transmis aucune information à la France, et, de toute façon, l’accord ne prévoit pas la communication du solde des comptes. Peut-être M. le secrétaire d’État pourra-t-il nous indiquer si des avancées sont envisageables, au-delà des déclarations d’intentions. Que les États-Unis n’aient pas signé l’accord multilatéral doit-il nous inquiéter à cet égard ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

La deuxième différence résulte du champ d’application de la loi FATCA. Celle-ci, en effet, définit les contribuables américains en fonction non seulement de la résidence, mais aussi de la nationalité et d’autres critères.

La troisième différence provient des seuils et des définitions, qui ne sont pas toujours identiques.

À notre demande, la direction de la législation fiscale a élaboré un comparatif détaillé des normes FATCA et OCDE, annexé au rapport de la commission des finances.

L’avancée qu’a représentée la signature de l’accord multilatéral a ouvert la période, tout aussi importante, de sa mise en œuvre technique. Dans cette perspective, les établissements financiers et la direction générale des finances publiques ont mis en place une infrastructure informatique fondée sur le système préalablement conçu pour l’application de la loi FATCA.

À cet égard, je souhaite interpeller le Gouvernement sur quatre sujets.

Premièrement, il paraît nécessaire d’adapter notre droit interne. En effet, alors que l’identification des comptes déclarables suppose que les banques procèdent à un balayage complet de leurs comptes, destiné à déceler les indices de non-résidence, il semble que l’article 1649 AC du code général des impôts ne permette pas, à ce jour, de procéder à un tel balayage complet. Des ajustements pourraient-ils intervenir dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 ou du projet de loi de finances rectificative pour 2015 ? M. Sapin devrait, à mon avis, y réfléchir sérieusement.

Deuxièmement, il serait souhaitable de prévoir une période transitoire pédagogique d’un an ou deux, afin de permettre aux établissements financiers de perfectionner ce nouveau système. On ne peut exclure, en effet, que quelques erreurs ou omissions soient commises dans les premiers temps ; pendant la période transitoire, celles-ci ne seraient pas sanctionnées, pourvu qu’elles soient involontaires et promptement corrigées. Le Gouvernement est-il ouvert à une telle éventualité ? Je signale que le gouvernement des États-Unis, après avoir fixé un délai impératif dans la loi FATCA, a dû admettre qu’un allongement était nécessaire.

Troisièmement, l’amende prévue par notre droit interne, de 200 euros par compte, semble bien faible.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

N’y a-t-il pas là une incitation pour les banques à oublier, pour ainsi dire, de déclarer les comptes les plus importants ? Payer 200 euros pour en dissimuler 10 millions pourrait être tentant pour certains établissements...

Quatrièmement, la commission des finances s’interroge sur la non-publication, parfois depuis plusieurs années, de textes importants. Je pense en particulier à la liste annuelle des États et territoires non coopératifs, qui n’a pas été mise à jour depuis 2014, et aux annexes budgétaires relatives à la coopération fiscale et aux contrôles fiscaux des entreprises multinationales. Est-ce parce que de grands changements se préparent ?

Ces quatre remarques étant faites, il faut revenir à l’essentiel : l’accord multilatéral signé par la France le 29 octobre 2014 marque une avancée majeure, en ce qu’il vise à faire de l’échange automatique le nouveau standard mondial, multilatéral et pleinement réciproque.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

M. Éric Doligé, rapporteur. C’est pourquoi j’invite le Sénat à adopter sans modification le projet de loi autorisant son approbation !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la signature de l’accord multilatéral sur l’échange automatique d’informations financières est la concrétisation d’une inflexion politique majeure au niveau international, qui paraissait inenvisageable il y a quelques années encore.

Après la crise financière de 2007 et 2008, dont nous continuons de subir les conséquences, les principaux États de la planète ont enfin résolu de s’attaquer aux fléaux de l’évasion et de l’optimisation fiscales ; on se souvient notamment des engagements pris à l’issue du premier G20, à Londres, en 2009.

Toujours est-il que, face aux insuffisances de la gouvernance mondiale, c’est l’initiative unilatérale des États-Unis d’adopter en 2010 la loi FATCA – une initiative plutôt brutale, disons-le – qui a véritablement mis à l’ordre du jour la levée générale du secret bancaire par le biais de l’échange automatique de données. Depuis lors, la France a conclu un accord bilatéral avec les États-Unis afin de garantir une forme de réciprocité dans nos relations avec l’administration fiscale américaine.

L’accord dont l’approbation nous est proposée, signé voilà un an jour pour jour par une cinquantaine de pays, vise à mettre en place l’échange automatique de données financières sur une base multilatérale, égalitaire et réciproque. Avec les autres grands pays européens, la France joue un rôle de leader dans ce processus. L’enjeu, mondial, est également national, puisque l’évasion fiscale entraîne chaque année une perte de 80 à 100 milliards d’euros pour l’État français. C’est plus que le déficit public !

La lutte contre la fraude fiscale aux niveaux national et européen commence à porter ses fruits, mais le combat doit être poursuivi car il reste un long chemin à parcourir pour réaliser une véritable harmonisation fiscale.

Si nous accueillons favorablement cet accord, je tiens néanmoins à signaler certaines faiblesses qu’il présente, car elles doivent nous inciter à la vigilance.

D’abord, ses stipulations ne sont pas contraignantes, de sorte que son efficacité dépendra de son portage politique par quelques grands pays. Ensuite, l’échange automatique n’est pas exempt de difficultés techniques ; sa mise en œuvre effective reposera largement sur les capacités juridiques et administratives de tel ou tel pays ou territoire. Enfin, alors qu’il s’agit d’échanger des données à caractère personnel, la recherche de la justice fiscale ne doit pas se faire contre les libertés individuelles, auxquelles nous sommes tous attachés, mais avec le souci de les préserver : veillons donc à contrôler l’usage qui pourra en être fait par des administrations étrangères.

Reste que nous saluons cet accord multilatéral et espérons qu’il pourra être rapidement mis en œuvre. L’ensemble des membres du RDSE voteront le projet de loi autorisant son approbation !

Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre la fraude fiscale constitue pour notre pays, pour l’Europe et, plus largement, pour le monde une véritable priorité politique.

De fait, de nombreuses études soulignent chaque année le manque à gagner considérable résultant de la fraude fiscale. Rien que pour notre pays, les différentes formes d’évasion et de fraude fiscales représenteraient environ 60 milliards d’euros par an ! L’état actuel de nos finances publiques rend cette situation encore plus insupportable. De là l’urgente nécessité d’agir.

Voilà longtemps que notre assemblée a pris conscience de l’importance de ces enjeux. En juillet 2012, une première commission d’enquête, après avoir travaillé sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, a conclu à l’impérieuse nécessité de faire cesser la fraude fiscale. Une seconde commission d’enquête, formée en 2013, a étudié le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux ; elle s’est intéressée aux mécanismes des évasions fiscales, afin de mieux connaître les fraudes pour mieux les combattre. Le Sénat a constamment alerté l’opinion publique et l’exécutif sur la nécessité d’agir vite et fort.

Il a toutefois fallu attendre l’exemple des États-Unis, qui ont doté leur administration fiscale de moyens inédits par l’adoption en 2010 de la loi FATCA, pour voir les choses évoluer en Europe. Malgré le temps perdu, la France peut se féliciter de sa forte mobilisation pour faire aboutir un processus auquel plusieurs de nos partenaires européens étaient hostiles.

Conscient de l’importance d’un accord international dans ce domaine, l’exécutif a signé à Berlin, le 29 octobre 2014, un accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers. Cet accord, signé sous l’égide de l’OCDE, comporte une avancée majeure : alors que, jusqu’à présent, la coopération fiscale entre États reposait sur l’échange d’informations à la demande entre les différentes administrations fiscales, il prévoit l’automatisation des échanges d’informations.

Ambitieux par le caractère des informations dont il prévoit la transmission, cet accord l’est également par l’étendue des comptes qu’il rend déclarables et par les types d’institutions financières qu’il soumet à l’obligation déclarative. Il devrait donc marquer une réelle avancée dans la lutte contre la fraude fiscale. Dans une certaine mesure, il a même déjà porté ses fruits, la perspective d’un recul du secret bancaire ayant poussé certains de nos contribuables à régulariser leur situation.

Le texte de l’accord présente néanmoins certaines faiblesses, comme l’a souligné M. le rapporteur, dont nous tenons à saluer le travail. Ainsi, contrairement à son équivalent américain, l’accord multilatéral de l’OCDE n’est pas contraignant. Nous sommes encore loin de la loi américaine qui contraint tous les établissements financiers du monde à transmettre à l’Internal Revenue Service, l’IRS, l’ensemble des informations dont ils disposent sur les comptes des contribuables américains, sous peine d’être exclus du marché américain ! Nous devons donc rester vigilants et mobilisés, afin que la plupart des États de la planète rejoignent le dispositif d’échange automatique des données.

De même, l’accord présente la faiblesse d’être incompatible avec la loi américaine. De fait, les normes et les méthodes de la loi FATCA et celles de l’accord de l’OCDE sont malheureusement très différentes. L’échange automatique devrait tendre à long terme vers un standard unique, multilatéral et réciproque : ce n’est pas le chemin que nous empruntons avec cet accord.

En dépit de ces imperfections, l’accord ouvre la voie à un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales des particuliers à l’échelle internationale. Les sénateurs du groupe UDI-UC sont donc favorables à son approbation !

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise des marchés financiers de 2008, provoquée par l’incidence systémique de l’interaction des décisions bancaires, a étalé sous les yeux de l’opinion publique les errements dans lesquels se fourvoyaient de plus en plus gravement la majeure partie des places boursières, ainsi que les limites de la croissance ininterrompue de l’industrie financière.

Chacun se souvient que cette situation a nécessité d’importants efforts de redressement de la part des États. Ceux dont le système bancaire était le plus lourdement atteint ont même dû intervenir de manière massive, et parfois peu prudente au regard des capacités de leur économie. Les exemples du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne et de la Grèce sont là pour nous montrer ce à quoi nous étions parvenus.

Le moment de vérité de 2008 s’est prolongé par un intérêt renouvelé pour les questions fiscales, alors que la meilleure connaissance de l’activité des établissements financiers avivait l’attention prêtée à ces problèmes. Évasion, fraude et optimisation fiscales, paradis fiscaux et autres ports francs ont dès lors fait irruption dans le débat public, conduisant l’OCDE à recommander une politique de développement des conventions fiscales internationales et les États à définir de nouvelles règles de fonctionnement des marchés.

Le Sénat, sur l’initiative de notre groupe, qui a provoqué la formation de deux commissions d’enquête particulièrement riches d’enseignements, a apporté sa contribution à l’amélioration de la connaissance des activités financières et de la transparence de celles-ci. Ce travail a débouché sur des textes législatifs d’une importance relative, qui sont comme autant de pas, même timides, dans la bonne direction. Souvenons-nous, mes chers collègues, que les pertes pour le budget de la France représentent de 60 à 80 milliards d’euros par an !

Sans pousser trop loin la controverse, il faut bien constater que la loi de séparation et de régulation des activités bancaires n’a pas eu les effets escomptés. Quant aux textes visant à combattre la délinquance financière, ils commencent à peine à présenter quelque efficacité. C’est dans cette filiation, si l’on peut dire, que nous plaçons le présent projet de loi, qui vise à autoriser l’approbation de l’accord sur l’échange automatique d’informations fiscales entre administrations compétentes des États souverains, destiné à assurer une plus grande transparence de la situation des particuliers disposant de revenus d’origines internationales diverses.

Il faut dire que l’initiative des États-Unis, avec la loi FATCA, a également contribué à bousculer les établissements bancaires, même si on peut regretter sa non-réciprocité.

L’accord qui nous est soumis ne peut évidemment que recevoir notre assentiment. Sans être l’arme fatale qui permettra de régler une bonne fois pour toutes les travers de l’évasion et de l’optimisation fiscales, il constitue une étape nécessaire – fût-elle timide – sur la bonne voie.

La même démarche à l’endroit des entreprises à vocation transnationale plus ou moins affirmée représenterait sans doute une avancée majeure autrement plus pertinente et plus « parlante » que celle définie par le présent texte. Toutefois, il ne faut pas bouder une honnête satisfaction : nous voterons évidemment ce texte.

Le poids d’une opinion publique toujours sensible à l’égalité fiscale et hostile à tous ceux qui tentent de s’y soustraire nous est utile pour faire avancer ce sujet. Au demeurant, le rapport de notre collègue Éric Doligé nous informe sur l’activité du service de traitement des déclarations rectificatives où viennent s’amender les fraudeurs – passifs et actifs – qui sont désireux de se mettre en règle avec notre diligente administration fiscale. Ces fraudeurs y trouvent d’ailleurs un intérêt puisque, en régularisant leur situation, ils encourent des pénalités allégées.

Même si nous pouvons regretter que la mansuétude de l’administration s’exerce encore à l’endroit de ceux qui ont fraudé le fisc, nous voterons en faveur de ce texte, qui fait partie de ces avancées que notre collègue Éric Bocquet, qui n’a pas pu être présent ce matin, appelait de ses vœux dans les rapports qu’il a élaborés au titre des commissions d’enquête sénatoriales sur l’évasion des capitaux.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a encore une dizaine d’années, on entendait beaucoup dire que les moyens mis en œuvre par les fraudeurs fiscaux étaient tellement complexes, qu’ils protégeaient des intérêts si puissants, qu’ils se développaient dans des lieux tellement opaques que la lutte contre ces pratiques était forcément vaine, voire perdue d’avance. Il est vrai que, rétrospectivement, on s’aperçoit que la tâche était énorme.

L’évasion fiscale n’a rien d’un grand flux que l’on pourrait stopper en actionnant une grande vanne. Au contraire, il existe « des » évasions fiscales ! Elles sont complexes, entremêlées, nébuleuses. Elles sont structurées par une véritable industrie qui prospère en court-circuitant nos richesses nationales au profit d’acteurs privés, mais aussi publics, pour lesquels il s’agit d’un véritable fonds de commerce. Encore aujourd’hui, les chiffres du manque à gagner fiscal donnent le tournis !

Pour lutter contre ce système organisé, il a fallu rassembler une série de qualités, dont une certaine forme de ténacité et de constance, ainsi qu’une méthode articulée sur trois points.

Tout d’abord, il fallait comprendre. La technicité de la matière était telle qu’il était indispensable de travailler à mieux l’appréhender. La Haute Assemblée a d’ailleurs joué son rôle ; je veux rappeler les travaux menés sur ce sujet, depuis 2011, par les commissions d’enquête successives, dont je reconnais ici quelques contributeurs avec lesquels j’ai partagé ces moments d’investigation. Le groupe de travail sur la fiscalité du numérique, qui a récemment rendu ses conclusions, complète cet ensemble documentaire qui a, je l’espère, contribué à éclairer le chemin sur lequel nous nous sommes engagés et la voie sur laquelle il faut poursuivre.

Ensuite, il s’agissait de s’entourer. Puisqu’il est établi qu’aucun État ne peut mener seul un tel combat, il a fallu entamer un immense travail de conviction auprès des États partenaires et former des coalitions. De ce point de vue, la France a été particulièrement volontaire en agissant comme un moteur de la mobilisation internationale. Elle s’est engagée au sein du G5, du G20, de l’OCDE et de l’Union européenne pour le civisme et la transparence en matière fiscale, œuvrant pour que les compromis rejoignent les positions les plus ambitieuses.

En étant objectif, ce processus a été accéléré par trois événements que nous ne maîtrisions pas : l’intolérance grandissante des opinions publiques internationales pour les pratiques fiscales déloyales, relayée par les ONG ; un contexte de raréfaction des ressources publiques ; la pression internationale exercée par les États-Unis, qui sont parvenus à faire émerger l’échange automatique à l’échelle bilatérale via le règlement FATCA – même si cette démarche traduisait un repli assez égoïste sur eux-mêmes.

Enfin, troisième étape, qui nous concerne aujourd’hui : il nous faut concrétiser ces avancées. Les succès sur le plan international doivent être suivis d’effets et être transformés en mesures applicables.

Lors des discussions préalables à la rectification des accords FATCA, il y a un an, j’avais formulé ici le souhait que le Gouvernement poursuive son engagement et veille à ce que les négociations sur la généralisation du principe de l’échange automatique des données aboutissent. Je me réjouis, monsieur le secrétaire d’État, que la France ait été à la hauteur.

Le 29 octobre 2014, cinquante et un États ont signé un accord multilatéral et fédérateur, établi par l’OCDE, visant à mettre en place, dès 2017, un échange automatique mutuel d’informations financières relatives non seulement aux comptes bancaires, mais aussi aux contrats d’assurance vie et aux trusts. Parmi les signataires, dont la liste s’est étendue depuis, on trouve des pays historiquement attachés au secret bancaire comme la Suisse, le Luxembourg et l’Autriche, ou des centres financiers offshore critiqués pour leur opacité, comme les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans, les Bermudes ou Jersey.

Dès 2011, nous avions défendu cet objectif de transparence au travers de l’échange automatique d’informations dans le cadre d’une commission d’enquête. Dès l’automne 2012, nos propositions ont été accueillies avec intérêt par le ministre de l’économie et des finances de l’époque, Pierre Moscovici – qui a poursuivi son engagement pour la justice fiscale dans le cadre de sa fonction de commissaire européen –, puis par Michel Sapin et Christian Eckert.

Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer également le travail constant et particulièrement éclairant de l’OCDE et de son directeur en matière fiscale, M. Pascal Saint-Amans. Les succès de ces dernières années leur doivent beaucoup ! Sous l’impulsion du G20, l’OCDE a en effet œuvré pour la généralisation du principe d’échange automatique. L’accord de Berlin consacre une nouvelle norme mondiale qui devient un véritable standard international, compte tenu de sa raison d’être intrinsèquement multilatérale et réciproque. Ce standard affiche une crédibilité bien supérieure à celle de la loi FATCA, crédibilité nécessaire pour qu’il fasse autorité, même s’il comporte encore des imperfections.

Avec un peu de recul, nous devons nous réjouir de la vitesse inédite à laquelle s’est opéré ce renversement du rapport de force à l’échelle internationale et de la promptitude à transformer cette dynamique en mesures juridiquement opposables. Ce mouvement de fond éclaire le franc succès de la cellule de régularisation des avoirs détenus à l’étranger mise en place par Bercy : 2 milliards d’euros en 2014, 2, 6 milliards d’euros cette année et 2, 4 milliards d’euros l’année prochaine ! De plus, ces sommes ne représentent que des régularisations. Il faut en effet rappeler que les rapatriés fiscaux redeviennent ensuite des contribuables. La bonne performance récente de l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune, devrait être plus souvent perçue sous cet angle. Ces chiffres doivent, en outre, être appréhendés en comparaison des baisses d’impôts consenties au bénéfice des classes populaires et moyennes ces dernières années : 1, 3 milliard d’euros en 2014, 3, 2 milliards d’euros en 2015 et 2 milliards d’euros en 2016 !

C’est bien là l’essentiel : cette démarche touche en tout premier lieu à la moralisation de l’action publique ! S’il est encore trop tôt pour décréter la fin de l’évasion fiscale et si de nombreux combats restent à mener, il s’agit tout de même d’un immense pas dans la bonne direction. Parmi les combats encore à mener, je pense notamment à celui sur la fiscalité du numérique, qui touche particulièrement la question de la fraude à la TVA, en appelant de mes vœux une forme aussi positive de co-construction de la réponse publique.

Je voterai évidemment le projet de loi, comme l’ensemble du groupe socialiste et républicain. J’appelle à un vote massif en faveur de ce texte, qui valide cette avancée historique et raffermit notre pacte républicain.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme j’aurais aimé ne pas avoir à bouder mon plaisir ! Parce qu’avec cet accord sur l’échange automatique d’informations fiscales, c’est en effet une vieille revendication, notamment des écologistes, qui est enfin satisfaite.

Dans le réseau des pays signataires de l’accord, les banques n’auront désormais plus le droit de vendre leur complicité aux contribuables qui cherchent à escamoter des avoirs à l’étranger. Avec ce texte, obligation leur est faite de déclarer tout ou presque aux administrations compétentes. Énoncé ainsi, cela paraît si simple, si évident. Et pourtant, quel parcours du combattant pour en arriver à cette mesure de bon sens et de justice ! Le plus probable, et le plus triste sans doute, c’est que rien n’aurait été fait si les États-Unis et leur fameuse loi FATCA n’avaient pas unilatéralement imposé cette transparence.

Si on veut bien être lucide, ce que cet épisode dit de l’Europe est proprement terrifiant. La concurrence entre États membres y est si forte, la prégnance des intérêts privés si puissante, que même la lutte contre le secret bancaire n’aura pas réussi à cristalliser une conscience collective. L’intérêt général européen aura finalement été défendu par une bravade américaine ! Si l’on croit encore au projet européen – c’est mon cas –, ne serait-il pas temps d’avoir un sursaut d’orgueil ?

Nous discutons actuellement d’un sujet du même ordre ; je veux parler de la transparence fiscale des entreprises, pays par pays, qui permettrait de se faire une idée du rapport entre leur activité, leur profit et leur impôt dans chaque pays où elles sont implantées. Au niveau français, nous l’avons obtenu pour les banques grâce à des amendements adoptés dans le cadre du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Je me souviens d’ailleurs que le ministre des finances de l’époque, M. Moscovici, s’était montré défavorable à nos amendements en commission, arguant que la transparence fiscale attentait à la compétitivité de nos banques. Heureusement, il s’était ravisé en séance plénière.

Plus récemment, les eurodéputés écologistes ont réussi à amender la directive relative aux droits des actionnaires en étendant la transparence à tous les grands groupes et en y intégrant la question des rescrits fiscaux. À nouveau, il est malheureusement permis de penser que ce succès totalement inattendu est largement dû à un facteur extérieur aux institutions européennes – je pense naturellement au fameux scandale LuxLeaks. D’ailleurs, la Commission européenne a depuis lors entrepris une longue démarche d’obstruction tendant à supprimer ou, du moins, à édulcorer les dispositions voulues par le Parlement européen.

Monsieur le secrétaire d’État, pourrions-nous compter sur l’engagement public de la France en faveur d’une application de la transparence fiscale à tous les grands groupes ? Ne pourrions-nous pas aller jusqu’à donner l’exemple, comme avec les banques, sans considérer que l’opacité participe de la compétitivité des entreprises ?

Évidemment, mes chers collègues, les écologistes voteront en faveur de ce texte, heureux de constater que celui-ci voit enfin le jour, mais en restant lucides sur sa genèse.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi nous invite à approuver un accord multilatéral conclu le 29 octobre 2014. Cet accord constitue un pas décisif dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Il est l’aboutissement d’un long processus de négociation, qui a commencé non pas simplement il y a deux ou trois ans, mais il y a au moins cinq ou six ans.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour donner – je l’espère – notre accord unanime à un projet attendu. En effet, celui-ci va permettre de rendre automatiques les échanges de renseignements financiers à visée fiscale entre les États. Ces États devront toutefois faire en sorte que les établissements financiers et bancaires de leur ressort fassent leur travail, ce qui demandera sûrement encore quelques approfondissements.

L’OCDE met en place un nouveau modèle de déclaration, dit de « norme mondiale ». Or certains d’entre nous savent ici, pour avoir rapporté des conventions fiscales fondées sur la réciprocité, qu’il est ensuite difficile de les appliquer, souvent en raison de problèmes d’interprétation. C’est pourquoi cette norme mondiale est un progrès incontestable.

Jusqu’à présent, le Parlement était régulièrement saisi de projets de loi autorisant l’approbation d’avenants à des conventions bilatérales, mais cela ne donnait que des résultats relativement mineurs. L’échange d’informations se faisait notamment en fonction de soupçons a priori, sous la forme – déjà ! – d’un modèle de déclaration de l’OCDE.

L’absence d’automaticité des échanges qui prévalait hier, souvent liée à la réticence d’États, nombreux, et d’un certain nombre de banques affiliées à ces États, dont l’anonymat bancaire constituait parfois l’essentiel du fonds de commerce, semble aujourd'hui appartenir à un autre monde. C’est très bien ainsi !

Certes, le coût de l’évasion fiscale a été évalué à plusieurs reprises, notamment dans le cadre de rapports sénatoriaux d’un très grand sérieux – je pense à deux rapports d’enquête sur les problèmes fiscaux et, plus particulièrement, sur l’évasion fiscale, qui me semblent avoir contribué à la sensibilisation sur ces thématiques. Mais, en réalité, c’est la loi américaine de 2010, dite « FATCA », qui a profondément changé la donne, en faisant évoluer le rapport de force. En effet, la force de frappe des États-Unis en matière fiscale donne, et donnera à l’avenir, toute son efficacité au dispositif, notamment vis-à-vis des grands établissements financiers bancaires.

À cet égard, rappelez-vous l’épisode de la société UBS, mes chers collègues. Un dialogue sérieux s’est installé avec cette banque, peu encline à mettre en œuvre la réciprocité des échanges, lorsqu’elle s’est vue menacée d’une très lourde amende. Elle s’est alors rendu compte que même ses biens américains pourraient être saisis et, d’un seul coup, elle a fait preuve d’un zèle tout à fait nouveau en matière de communication d’informations. À la suite de cela, comment voulez-vous que la Suisse refuse de mettre en place avec ses voisins, dont nous sommes, une réciprocité qu’elle a accepté d’établir avec les États-Unis ? La situation était intenable, d’où les progrès extraordinaires auxquels nous avons assisté.

Je signalerai aussi le petit incident lié aux accords Rubik. On se plaint souvent de notre incapacité à construire une Europe fiscale, et c’est effectivement un problème. Il se trouve que l’Allemagne avait négocié, avec la Suisse, un accord par lequel elle bénéficiait, au regard du nombre des comptes bancaires suisses de ses ressortissants, d’une sorte d’abondement financier avoisinant 2 milliards d’euros par an. C’eût été vraiment un mauvais coup pour l’Europe fiscale !

Depuis les problèmes rencontrés par UBS aux États-Unis, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, dans laquelle tous les établissements financiers à travers le monde sont tenus de transmettre au gouvernement américain toutes les informations en leur possession sur les comptes à l’étranger des ressortissants américains, sous peine d’une retenue à la source dissuasive de 30 % sur leurs flux financiers. Cette évolution a poussé plusieurs pays européens – et pas seulement la Suisse –, puis les pays du G20 à réfléchir à l’échange automatique des informations fiscales et à se mobiliser en sa faveur.

L’accord multilatéral du 29 octobre 2014 met en œuvre cette nouvelle norme mondiale. La France a incontestablement fait son travail, monsieur le secrétaire d’État, et d’autres pays nous ont rejoints en Europe. On peut donc espérer du dispositif qu’il soit, à brève échéance, d’une réelle efficacité, puisque quatre-vingt-quatorze États se sont engagés à signer l’accord multilatéral et soixante et un l’ont déjà signé, en vue d’une application dès 2016.

Pour opérer cet échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, les établissements bancaires devront mettre en œuvre une série de « diligences raisonnables » – l’expression est un peu vague, et il faudra certainement s’attacher à être plus concret à l’avenir, mais c’est un premier pas – afin d’identifier les comptes des non-résidents. Ils devront commencer à collecter les renseignements financiers à partir du 1er janvier 2016, avec, naturellement, une prolongation dans l’année 2017.

Selon la nouvelle norme commune, les renseignements qui devront être transmis comprennent l’identité du contribuable – si elle est connue -, son numéro fiscal, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers que ce compte produit. Ce standard mondial est d’après moi important, car il devrait faciliter une réelle transparence, utile à une interprétation incontestable des éléments transmis.

Conformément à la position de notre rapporteur Éric Doligé, dont nous tenons à saluer le travail opiniâtre et sérieux sur le sujet, le groupe Les Républicains votera le projet de loi. À mon avis, l’adoption de ce texte ouvrira une nouvelle ère, car ces dispositions sont à l’échelle du défi que pose la mondialisation. Celle-ci devra accepter, voire subir des évolutions en matière de régulation bancaire et fiscale. Nous connaissons tous les réserves du monde anglo-saxon dans ce domaine. Nous avons ici le premier acte fort, à l’échelle planétaire, marquant un début de mise en place d’une régulation tout à fait souhaitable.

Ce projet de loi va aussi au-delà d’un simple accord politique multilatéral : aujourd'hui, qu’un citoyen puisse, sous toutes les latitudes, payer ses justes impôts, n’est-ce pas marquer le début d’un attachement à la citoyenneté, fût-elle celle d’un citoyen du monde ? Il faut donc attendre de cet accord, technique, des conséquences sur certains problèmes liés à la mondialisation fiscale et économique. Nous avons là un premier point d’appui sérieux !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Thierry Braillard

Je tiens à répondre brièvement aux questions qui ont été soulevées et, surtout, à exprimer toute ma satisfaction d’entendre les orateurs apporter leur soutien unanime à ce projet de loi. Déjà, lorsque je suis venu représenter le Gouvernement devant cette assemblée il y a quelques jours, le texte en discussion avait été adopté à l’unanimité.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

M. Georges Labazée. Il faut venir plus souvent !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Thierry Braillard , secrétaire d'État

Ne boudons pas notre plaisir ! Je ne peux que vous en remercier, mesdames, messieurs les sénateurs.

Pourquoi les États-Unis n’ont-ils pas signé l’accord multilatéral ? Il faut savoir qu’ils ont déjà négocié des accords d’échange automatique d’informations avec tous leurs partenaires, sur la base de la loi dite « FATCA » de 2010. Le standard développé par l’OCDE est très largement inspiré de celui qui est prévu dans cette loi américaine, si bien que, pour les banques, ces deux standards sont parfaitement compatibles. J’ajoute, même si c’est à une échelle plus limitée, que les établissements financiers français ont également procédé, cette année, à leur première déclaration dans le cadre de l’échange automatique d’informations, au titre de l’accord FATCA, avec les États-Unis. Les modalités appliquées dans ce cadre sont très proches de celles du présent accord.

Pourquoi n’avoir prévu aucune période transitoire ? Les banques commenceront leurs travaux en 2016 et la directive européenne, qui sera transposée au 31 décembre 2015, sera aussi applicable en 2016. Nous avons donc considéré qu’il ne fallait pas perdre de temps et que l’on pourrait toujours rectifier ou atténuer certains points par la suite. Si nous avons choisi d’appliquer l’accord sans délai, dès 2016, c’est pour montrer toute la détermination politique qu’exige ce dossier.

Par ailleurs, le rapporteur a jugé les amendes trop faibles. Qu’en est-il ?

Comme vous le savez, les sanctions prévues par le dispositif de l’échange automatique d’informations répondent à une nécessité : elles visent à garantir la transmission des informations requises et leur qualité. Elles ne semblent pas d’un niveau disproportionné puisqu’elles se rapprochent de celles qui sont déjà appliquées pour les autres obligations de tiers déclarants des établissements financiers.

Ces sanctions sont de deux ordres.

L’article 1736 du code général des impôts prévoit une amende de 200 euros par information omise ou erronée. Point important à signaler, cette amende, qui vise donc à assurer de manière générale la sécurisation du flux des données transmises, ne s’applique pas si les anomalies proviennent d’un refus du client. Rappelons tout de même que l’amende de 200 euros concerne, non pas des dizaines, des centaines, mais des millions d’informations ! En cas d’erreurs, l’amende sera bien de 200 euros par erreur, et non pour la totalité d’entre elles ! La sanction est donc totalement proportionnée.

Il existe par ailleurs une sanction de 150 euros en cas de retard de déclaration, au titre de la règle générale définie à l’article 1729 B du même code.

Tous les États membres de l’Union européenne sont soumis à la nouvelle directive européenne sur l’échange automatique d’informations, et ce texte requiert explicitement des sanctions appropriées pour remédier au cas de non-respect des dispositions.

Enfin, j’en termine avec la question concernant la liste annuelle des États non coopératifs.

Les services de Michel Sapin viennent de m’indiquer que nous n’avions absolument pas abandonné l’idée d’une telle liste. Au contraire, celle-ci sera publiée dans les prochains jours ou dans les prochaines semaines. Le Gouvernement entend bien garder le même rythme sur ce sujet !

Pour conclure, j’aimerais dire que les gains attendus, comme l’a indiqué M. Chiron, se chiffrent en milliards d’euros. Je rappelle que le Gouvernement a choisi de réduire, l’an dernier, cette année et l’année prochaine, les impôts de millions de foyers français. Il me semble toujours souhaitable, sur un plan politique, de bien montrer le lien entre l’argent qui peut être gagné grâce à un dispositif tel que celui que nous examinons et l’argent qui peut ensuite être redistribué.

Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Est autorisée l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers (ensemble six annexes), signé à Berlin le 29 octobre 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Mme la présidente. Mes chers collègues, je constate que le projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents.

Applaudissements sur de nombreuses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (proposition n° 12, texte de la commission n° 104, rapport n° 103, avis n° 106).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au début de ce mois d’octobre, l’Assemblée nationale a de nouveau adopté, en deuxième lecture, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Donner à nos concitoyens de nouveaux droits, c’est une exigence, parce que les progrès de la science et de la médecine ont changé notre relation à la mort. Les situations de fin de vie deviennent plus longues et plus complexes. Des situations individuelles particulièrement difficiles et médiatisées interpellent régulièrement l’opinion.

Les attentes des Français ont évolué. La mission confiée au professeur Sicard, les débats régionaux et la conférence citoyenne organisés par le Comité consultatif national d’éthique ont permis à la société, à nos concitoyens, de s’exprimer le plus directement possible. Patients, professionnels de santé, représentants des grandes familles de pensée ou religieuses : chacun a pu faire valoir son point de vue, ses attentes, ses espoirs.

Quels ont été les enseignements de ces consultations ? D’abord, les soins palliatifs ne sont pas accessibles à tous, du moins pas dans les mêmes conditions ; ensuite, nos concitoyens ne connaissent pas suffisamment leurs droits ; enfin, une nouvelle étape est nécessaire pour mieux accompagner les personnes qui souffrent en fin de vie.

Le Président de la République a souhaité que le consensus le plus large possible soit trouvé pour avancer dans cette direction à travers une étape législative nouvelle. C’est le sens de la mission conduite par les députés Alain Claeys et Jean Leonetti et qui a abouti à l’élaboration du texte que vous examinez de nouveau aujourd’hui.

Cet examen intervient dans un contexte particulier : si l’Assemblée nationale s’est prononcée – par deux fois et à une très large majorité – en faveur de ce texte, votre assemblée l’a, pour sa part, rejeté à une très large majorité en première lecture. Pourquoi ? Parce que plusieurs de ses mesures fortes avaient été supprimées lors de son examen en séance publique. Le texte qui avait été soumis à votre vote final, amputé de ses ambitions d’origines, ne répondait plus aux attentes des sénateurs de la majorité gouvernementale, la majorité sénatoriale s’étant quant à elle divisée.

L’enseignement que nous pouvons en tirer, c’est que le texte tel qu’il a été rédigé correspondait bien à un point d’équilibre. Il n’y a aujourd’hui de majorité ni pour aller plus loin ni pour considérer qu’il faut en rester au droit actuel. La question qui est aujourd’hui posée est de savoir si le texte adopté par l’Assemblée nationale répond aux attentes de nos concitoyens et constitue une avancée réelle en ce sens. C’est là ma conviction, parce que ce texte contient des dispositions qui vont nous permettre de franchir une étape décisive.

Première avancée : la proposition de loi renforce l’accès aux soins palliatifs, aujourd’hui insuffisant.

C’est un fait : les Français ne sont pas égaux face à la mort. Les deux tiers d’entre eux qui meurent d’une maladie auraient besoin de soins palliatifs. Les unités de soins palliatifs se sont développées dans notre pays, le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans. Pourtant, une trop grande partie de nos concitoyens n’y ont pas accès ou en bénéficient trop tardivement. Derrière cette réalité se cache par ailleurs une grande injustice sociale et territoriale, qui n’est ni acceptable ni justifiable.

Le Président de la République a donc annoncé un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie. J’ai réuni le 24 juin dernier les membres de son comité de pilotage. Ce plan, qui s’adressera tant aux professionnels de santé qu’aux patients eux-mêmes, comportera quatre priorités : mieux informer les patients et leur permettre d’être au cœur des décisions qui les concernent ; accroître les compétences des différents acteurs, en confortant la formation des professionnels, en soutenant la recherche et en diffusant mieux les connaissances sur les soins palliatifs ; développer les prises en charge de proximité, notamment au domicile et dans les établissements sociaux ou médico-sociaux ; réduire les inégalités d’accès aux soins palliatifs.

Je présenterai très prochainement aux acteurs des soins palliatifs le détail de ce plan dans le cadre d’un déplacement auprès d’une structure particulièrement impliquée dans la prise en charge des soins palliatifs à domicile. Je précise à cet égard que, lorsque nous parlons de soins palliatifs, nous évoquons spontanément les établissements de santé. Or nous devons penser aussi à leur mise en œuvre à domicile et au sein des maisons de retraite.

Sans attendre la déclinaison de ce plan, j’ai souhaité que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 réserve une enveloppe de 40 millions d’euros supplémentaires pour renforcer le développement des soins palliatifs. Concrètement, dès 2016, au moins trente équipes mobiles et six unités de soins palliatifs seront créées grâce à ces fonds.

Cette proposition de loi consacre à toute personne malade un droit universel à accéder aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Les agences régionales de santé auront la charge de veiller à sa bonne application.

Cette mesure, cette perspective, cette démarche en faveur des soins palliatifs nous rassemble tous, vous rassemble sur toutes les travées, et elle répond à une attente forte de nos concitoyens. Il s’agit donc d’un point important de l’équilibre de cette proposition de loi.

Deuxième grande avancée : la possibilité donnée à nos concitoyens de faire valoir leurs droits.

Les Français ne sont pas suffisamment informés. Près de la moitié d’entre eux ignore que le patient peut demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. Seuls 2, 5 % – je dis bien 2, 5 % ! – de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées, alors même que l’existence de celles-ci pourrait, dans bien des cas, répondre à l’incertitude.

Cette réalité, pour frappante qu’elle soit, ne peut être un prétexte à l’inaction ou à la résignation. Elle nous invite, au contraire, à chercher des solutions nouvelles pour permettre à nos concitoyens d’exercer leur droit.

C’est la raison pour laquelle ce texte prévoit de renforcer l’information sur les directives anticipées. Un modèle type de directive anticipée sera élaboré sous l’égide de la Haute Autorité de santé. Un registre national automatisé sera créé, qui permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit et donnera aux médecins une visibilité immédiate sur ces directives. Je ne m’étendrai pas sur ce point : nous avons eu l’occasion d’en débattre en première lecture, et nous y reviendrons sans doute au cours de cette discussion. La rédaction de directives anticipées, ainsi que la proposition d’un modèle type, est tout sauf simple et exigera une réflexion très compliquée, en vue de faciliter la décision de nos concitoyens.

Pour inciter nos concitoyens à s’emparer de ce droit, de leur droit, encore faut-il les convaincre de son effectivité. Là encore, le texte que vous examinez permettra d’avancer. Les directives anticipées sont ainsi rendues contraignantes pour les professionnels de santé, et leur durée de validité est supprimée. C’est une avancée majeure, parce que ces directives ne constituent aujourd’hui que l’un des éléments de la décision du médecin. Désormais, c’est la volonté du patient qui sera déterminante pour définir l’issue de sa vie. Rester maître de sa vie jusqu’au moment où on la quitte, voilà l’enjeu de dignité auquel s’attache la proposition de loi !

Enfin, ce texte prévoit de franchir une étape supplémentaire en direction de l’autonomie des Français.

Depuis 2005, date de l’adoption définitive de la loi Leonetti, la société a évolué et, avec elle, nos attentes et notre rapport à la fin de vie. L’encadrement de l’arrêt des traitements a constitué un progrès indéniable pour la dignité des malades, mais il reste insuffisant. Les patients et leurs familles nous le disent : ils ont le sentiment de ne pas être suffisamment entendus, parce que, en l’état actuel du droit, c’est au seul médecin que revient la décision d’interrompre ou de ne pas débuter les traitements. Dans le même temps, nombre de professionnels m’ont dit, sur le terrain, être trop souvent désemparés face à des situations qui les laissent dans la solitude de leur seule conscience.

Là aussi, les Français attendent que nous franchissions une étape nouvelle, en démédicalisant la fin de vie. C’est ce qu’ont proposé les auteurs de ce texte, en précisant les modalités d’interruption des traitements, en clarifiant la notion d’« obstination déraisonnable » et en instaurant un droit à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme.

La présente proposition de loi, lors de son examen par votre commission des affaires sociales, s’est éloignée des équilibres qui avaient été trouvés sur ces dispositions. La rédaction de l’article 2, telle qu’elle résulte des derniers travaux de votre commission, est en recul non seulement par rapport à la position de l’Assemblée nationale, mais aussi par rapport à la loi Leonetti de 2005 telle qu’elle a été interprétée par le Conseil d’État.

La définition de l’obstination déraisonnable se trouve ainsi restreinte à deux critères, au lieu de trois : la disproportion des traitements et le maintien artificiel de la vie. Le troisième critère, celui de l’« inutilité » est quant à lui supprimé. Cette nouvelle rédaction constitue une régression des droits des patients par rapport à la loi Leonetti de 2005. Concrètement, cela signifie que des patients en fin de vie continueraient de recevoir des traitements que les médecins eux-mêmes considéreraient comme inutiles.

La nouvelle rédaction de l’article 2 indique par ailleurs, contrairement au choix de votre commission en première lecture, que l’hydratation artificielle est un soin qui peut être maintenu jusqu’à la fin de la vie. Cette nouvelle rédaction, contraire à l’esprit même de la proposition de loi, qui est de placer la volonté du patient au cœur de la décision, conduirait à maintenir en vie des patients que l’on cesserait d’alimenter mais que l’on continuerait d’hydrater, et par là même à prolonger leurs souffrances.

Pour ces raisons, je vous proposerai un amendement visant à conserver les acquis de la loi Leonetti de 2005 sur la définition de l’obstination déraisonnable, à rétablir les avancées de ce texte sur la volonté du patient et à rappeler expressément que l’hydratation et l’alimentation artificielles sont des traitements susceptibles, comme tout autre traitement, d’être arrêtés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il vous revient aujourd’hui d’examiner un texte important, un texte attendu, un texte de progrès pour les patients, un texte d’humanité, qui constitue un point d’équilibre. Il s’agit d’offrir aux Français le droit et les moyens de mourir aussi dignement qu’ils auront vécu. J’espère que nous parviendrons à nous retrouver, aujourd’hui ou dans la suite de la procédure parlementaire, pour répondre à cet enjeu.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Dériot

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 6 octobre dernier, l’Assemblée nationale a adopté en deuxième lecture la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Le texte examiné par la commission des affaires sociales était quasiment identique à celui adopté par les députés en première lecture. Le corapporteur Jean Leonetti a justifié le rétablissement du texte de l’Assemblée nationale, en indiquant qu’un dialogue de fond devait être mené entre nos deux chambres.

En séance publique, l’Assemblée nationale a néanmoins adopté sept amendements. Les dispositions les plus substantielles reprennent une mesure proposée par notre commission, à savoir la cosignature, par la personne de confiance, de la décision par laquelle elle est désignée.

Nos collègues députés ont également prévu la possibilité de désigner une personne de confiance suppléante dans l’hypothèse où la personne de confiance titulaire « serait dans l’incapacité d’exprimer la volonté du patient ».

Enfin, l’Assemblée nationale a souhaité, comme notre commission, que chacun soit libre de la forme donnée à ses directives anticipées, sans avoir à se conformer à un modèle impératif.

En deuxième lecture, notre commission a fait le choix de reprendre l’important travail de précision et d’encadrement qu’elle avait effectué en première lecture, tout en tenant compte des préoccupations légitimes exprimées en séance publique sur toutes les travées de cet hémicycle. Elle n’a donc pas rétabli purement et simplement son texte, mais y a intégré un grand nombre d’amendements que nous avions adoptés en séance publique.

Concrètement, la commission des affaires sociales a fixé un cadre garantissant que la mise en place d’une sédation profonde et continue ne constitue en aucun cas un acte d’euthanasie. §Cette sédation profonde et continue ne pourra concerner que les personnes malades qui sont déjà en fin de vie et dont la souffrance est réfractaire à tout autre traitement. À mon sens, c’est là un point essentiel.

De même, notre commission a accepté de rendre opposables les directives anticipées, à condition qu’elles soient le moyen, non seulement de demander un arrêt des traitements, mais aussi de s’opposer à un tel arrêt.

En revanche, la commission a jugé important de reprendre l’amendement, rédigé en séance publique, tendant à préciser que l’hydratation est un soin pouvant être poursuivi jusqu’au décès.

Mes chers collègues, comme en première lecture, nous cherchons à atteindre le consensus le plus large possible sur un sujet qui ne relève absolument pas des oppositions de partis.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Dériot

À nos yeux, le Sénat a un rôle important à jouer, afin que le texte qui s’appliquera demain soit de la meilleure qualité possible et qu’il préserve réellement un équilibre entre les droits du patient et les devoirs des soignants. Si nous n’y parvenons pas – je me permets d’insister sur ce point –, c’est nécessairement le texte de l’Assemblée nationale qui s’appliquera, tel qu’il a été voté par les députés.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Dériot

M. Gérard Dériot, corapporteur. Or, face à cette question, qui constitue un véritable sujet de société, la Haute Assemblée doit jouer pleinement son rôle. Il est donc indispensable que nous puissions aboutir à un texte réunissant la grande majorité d’entre nous.

Applaudissementssur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Gérard Dériot vous a indiqué l’esprit dans lequel la commission des affaires sociales a travaillé. C’est dans cet esprit que le texte qui vous est soumis intègre à la rédaction élaborée en première lecture par la commission des affaires sociales l’ensemble des amendements de la commission des lois adoptés en séance publique. Je ne citerai que quelques-unes de ces dispositions : la possibilité pour une personne malade en fin de vie de s’opposer à l’arrêt des traitements de maintien en vie, tout en demandant une sédation profonde et continue ; la possibilité réaffirmée de modifier, à tout moment, ses directives anticipées et de les révoquer par tous moyens ; le rappel régulier adressé à l’auteur de directives anticipées sur le fait qu’elles existent ; enfin, la précision selon laquelle le témoignage de la personne de confiance prévaut sur tout autre.

J’en viens aux autres amendements repris par la commission.

À l’article 1er, le présent texte réaffirme le droit d’accéder aux soins curatifs et palliatifs sur l’ensemble du territoire. Cette disposition répond à la préoccupation d’une large majorité de nos collègues.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Mme la ministre vient de le rappeler : on meurt mal en France. Aussi, ce point nous a paru essentiel.

À l’article 2, relatif à l’obstination déraisonnable, outre l’important amendement ayant pour objet l’hydratation, que Gérard Dériot a déjà mentionné, le texte élaboré par la commission lève l’interrogation émise par notre collègue Gilbert Barbier quant à la notion d’inutilité des traitements prescrits. Cette référence a été supprimée.

Mes chers collègues, permettez-moi d’insister sur un point : l’article 2, tel qu’il a été rédigé par la commission, permet de mieux garantir les droits des patients lorsque l’équipe soignante considère que la poursuite des traitements pourrait relever de l’obstination déraisonnable. En effet, la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale ne précisait pas que le consentement du patient devait être recherché avant toute décision d’arrêt des traitements, au titre du refus de l’acharnement thérapeutique. L’arrêt des traitements pouvait donc être automatique.

À l’article 3, conformément à un amendement adopté sur l’initiative du groupe CRC, disparaît la mention selon laquelle la procédure collégiale chargée de s’assurer du respect de la loi est engagée sur l’initiative du médecin. Cette modification permet de dissiper toute ambiguïté quant à un éventuel pouvoir exorbitant d’opposition du médecin à la réunion du collège des soignants. Dans un souci de clarification rédactionnelle, il est également précisé que le patient a bien la possibilité de choisir le lieu où il souhaite que la sédation soit réalisée : à son domicile, au sein d’un établissement de santé ou encore dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, un EHPAD. Mourir chez soi, n’est-ce pas le souhait de la majorité d’entre nous ?

Enfin, à l’article 14, plusieurs groupes, dont le groupe écologiste, ayant souhaité un suivi de l’accès aux soins palliatifs, le texte qui vous est soumis maintient le principe d’un rapport annuel prévu par l’Assemblée nationale. Il précise cependant le contenu de ce document. Il s’agit de garantir que le suivi de la politique de développement des soins palliatifs inclut bel et bien les établissements de santé, les EHPAD et, bien entendu, le domicile.

Face au besoin criant dont nous avons tous fait le constat, nous attendons avec impatience l’annonce du nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs et surtout les mesures concrètes qui permettront sa mise en œuvre.

Mes chers collègues, je ne le répéterai jamais assez : cette proposition de loi est faite pour ceux qui vont mourir, non pour ceux qui veulent mourir. Ce constat balaie définitivement, me semble-t-il, les risques d’une dérive euthanasique.

M. Gilbert Barbier manifeste son scepticisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Au-delà des justes préoccupations éthiques et juridiques, le présent texte entend aller au plus proche de la vraie vie. Sa seule ambition est de permettre à nos concitoyens de vivre leurs derniers instants sans douleur et sans angoisse.

Albert Camus a décrit la mort heureuse, la tête dans les étoiles. Dans les faits, ce n’est, hélas ! pas ainsi que les choses se passent. Puisse cette proposition de loi apporter l’humanité nécessaire à celui qui va mourir et toute la sérénité possible à son entourage comme au personnel soignant.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention en qualité de rapporteur pour avis de la commission des lois sera brève. En effet, le travail de la commission des affaires sociales, conduit par son président et ses deux corapporteurs, a été…

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

… particulièrement éclairé et consensuel.

J’ai assisté à ces débats, humanistes profonds et sereins, face à des questions bioéthiques aussi majeures, et je tiens sincèrement à témoigner de la qualité du travail accompli.

La commission des affaires sociales présente à la Haute Assemblée un texte qui a su intégrer les préoccupations exprimées par la commission des lois. Cette rédaction constitue le socle de l’accord qu’il convient de forger sur ce sujet.

J’aurai à défendre, au nom de la commission des lois, trois amendements, qui portent sur deux points. Je le dis avec vigueur et sincérité, ces amendements ne tendent nullement à atténuer l’efficacité du texte qu’a élaboré la commission des affaires sociales et qui traduit la force de ses convictions. Bien au contraire, les précisions que vous proposera la commission des lois renforceront la protection assurée via ces dispositions.

Ces précisions puisent leur légitimité et leur opportunité dans l’attachement de la commission des lois et du Sénat tout entier à ce que soient supprimés les automatismes décisionnels. En effet, ces derniers sont contraires au principe selon lequel il convient de préserver la liberté d’appréciation du médecin et, surtout, la volonté du malade.

Ainsi, la commission des lois a réaffirmé sa volonté de voir apporter une modification rédactionnelle à l’alinéa 4 de l’article 3. Sur ce point, la rédaction initiale de l’Assemblée nationale faisait obligation au médecin de recourir préventivement à une sédation profonde et continue, afin d’éviter toute souffrance au patient. La rédaction adoptée par la commission des affaires sociales a très opportunément rompu cette automaticité. Toutefois, l’amendement que je vous présenterai vise, dans la mesure du possible, à rendre cette disposition plus claire en ajoutant la précision suivante : le médecin ne peut mettre en œuvre cette sédation préventive que s’il estime que le patient risque d’être exposé à une souffrance réfractaire à tout autre traitement. En l’occurrence, il s’agit de s’appuyer sur l’appréciation médicale et d’éviter une nouvelle fois les systématismes.

Enfin, à travers ses amendements, la commission des lois évoquera la portée des directives anticipées. Quelque texte que ce soit ne doit jamais laisser subsister la moindre réserve quant à la volonté du malade.

L’Assemblée nationale l’a dit, et elle ne l’a pas dit si mal : si ces directives anticipées sont manifestement inappropriées, il est légitime que le médecin ne les applique pas. Sur ce point, nous proposerons un texte différant légèrement de celui qu’ont adopté nos collègues députés. Quand se fait jour une contestation sérieuse, un élément allant, au regard de la question médicale, plus loin que la simple appréciation des directives anticipées, le médecin doit conserver la possibilité de ne pas donner suite à ces dernières.

Mes chers collègues, telles sont les dispositions, de portée très limitée, proposées par la commission des lois. Je ne les ai présentées que schématiquement et les détaillerai davantage dans la suite de la discussion. J’insiste à mon tour sur cette nécessité, qu’a rappelée Gérard Dériot et qui sera respectée – je suis parfaitement confiant à cet égard –, que le devoir des soignants et le droit des malades soient impérativement préservés.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois réunis pour débattre d’un texte relatif à la fin de vie, ou du moins, et plus précisément, d’une proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

J’ai eu, ici même et à maintes reprises, l’occasion de m’expliquer et d’exposer ma position sur cette question. Reconnaissons-le, ce sujet reste polémique. Cela étant, nous devons avant tout respecter la dignité du patient et trouver des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations qui restent exceptionnelles et parfois dramatiques.

Rares sont les thèmes qui cristallisent les passions, les débats ou encore les antagonismes, tant il est clair qu’ils ne relèvent pas seulement de la raison. La fin de vie en est incontestablement un, puisqu’elle touche à l’essence même de nos interrogations existentielles.

La proposition de loi dont nous allons débattre n’est certes pas le premier des textes consacrés à cette question. Nous, législateur, en avons déjà voté plusieurs depuis une quinzaine d’années. Permettez-moi d’en rappeler les principaux.

En 1999, une première loi visait « à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs ».

En 2002, a été votée la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Le patient, y compris celui en fin de vie, s’est vu reconnaître des droits et une autonomie qu’il n’avait pas jusqu’alors. Il est devenu maître de sa santé.

Enfin, en 2005, la loi dite « Leonetti » a considérablement renforcé l’accès aux soins palliatifs, en consacrant la possibilité d’une limitation ou d’un arrêt des traitements. Ce texte a en outre créé les directives anticipées, toutefois non contraignantes pour le corps médical.

Confrontés à la réalité sans cesse changeante de notre système de santé, au vieillissement de la population, ainsi qu’à l’exigence de plus en plus forte de notre société en matière de démocratie en santé, ces différents textes législatifs ont probablement besoin d’être complétés, au vu, notamment, du développement de pratiques alternatives profondément inégalitaires et dangereuses.

L’ambition de la proposition de loi peut paraître réelle, car le débat pose publiquement les problèmes rencontrés en fin de vie, surtout depuis que les progrès techniques de la médecine permettent de maintenir en vie des personnes qui, autrefois, seraient décédées.

Ces interventions ne créent pas toujours les conditions de vie souhaitées par les patients et leurs proches, et la peur des fins de vie prolongées et dénuées de toute autonomie conduit à un questionnement sur les limites éventuelles des interventions.

Cette ambition n’est donc pas seulement médicale, en instituant la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; elle n’est pas uniquement démocratique et humaniste, en permettant à tout un chacun de rédiger des directives anticipées, qui s’imposent cette fois aux professionnels de santé ; elle est aussi philosophique.

Cette proposition de loi veut changer la fin de vie. Elle a pour credo de permettre au malade de connaître une fin de vie digne et apaisée. Notre travail de terrain, mes chers collègues, montre qu’une loi ne change pas du jour au lendemain des attitudes et des habitudes bien ancrées. Les observations recueillies et les entretiens menés avec les professionnels ont confirmé la difficulté qu’éprouvent les médecins à arrêter un traitement et à affronter l’idée de ne plus pouvoir guérir un patient ou éviter sa mort. Ils sont nombreux à ressentir ces situations comme un échec.

Alors que la majorité des médecins souhaite le soutien des équipes mobiles de soins palliatifs quand ces questions surviennent, plusieurs d’entre eux témoignent des problèmes qu’ils rencontrent quand il faut intégrer une équipe extérieure dans leur travail.

De même, les médecins se montrent encore très préoccupés par la souffrance physique et psychologique d’un patient qui se trouve en fin de vie.

Les entretiens menés avec eux suggèrent que la perception, par les médecins, de cette souffrance comme insupportable relève de leur propre malaise face à la mort et à l’inefficacité de leurs thérapeutiques. Cependant, nous avons souvent constaté que leur souhait de soulager la douleur du patient est inhibé par la crainte d’employer des doses antalgiques trop fortes, qui pourraient produire comme effet secondaire une dépression respiratoire, souvent considérée comme une euthanasie.

Dans d’autres cas, le désir de soulager est parfois si fort que certains médecins, qui restent très minoritaires, se disent même favorables parfois, sous certaines conditions, à une euthanasie afin d’atteindre ce but.

Je rappelle que le droit fondamental au respect de la dignité est censé protéger la liberté de l’individu contre l’intervention indue de l’État.

Dans la continuité d’un parcours de santé qui s’étendra sur tous les lieux de vie et à tous les âges, la fin de vie ne doit pas être délaissée au profit des autres étapes de l’existence. Elle doit répondre aux mêmes exigences, tant sur le plan de l’accompagnement médical que sur celui du droit des usagers, voire à d’autres encore, puisque les souffrances liées à la fin de vie se révèlent souvent intolérables pour le malade et, par voie de conséquence, pour ses proches. En aucun cas, elle ne doit être ce royaume où, une fois la frontière passée, les rôles se trouvent subitement inversés, où l’on décide pour les usagers et où des soins sont prodigués en l’absence de tout consentement.

À défaut de « bien mourir », sera-t-il un jour possible de ne plus « mal mourir » ? C’est en tout cas, me semble-t-il, l’ambition de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Cette conception du « bien mourir » semble donc s’imposer dans les normes d’un acte de soin abolissant toute exigence, sinon l’instauration du cérémonial apaisé d’un dispositif sédatif.

Il est désormais évident que, à défaut de créer de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, cette nouvelle législation de la « mort sous sédation », dont nous allons débattre, ajoutera à nos vulnérabilités des souffrances, des indignités et des deuils insurmontables. Ainsi, comme le soulignait le professeur Hirsch, « se refondent aujourd’hui […] les valeurs compassionnelles de notre démocratie. Une démocratie ainsi elle-même sédatée ». Permettez-moi de reprendre à mon compte ces derniers mots.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Puisque nous allons débattre, n’oublions pas que l’enjeu principal semble être la question de l’autonomie du malade à choisir les conditions dans lesquelles il souhaite mourir.

Bien que l’on puisse éventuellement modifier les circonstances et conditions susceptibles de pousser un malade à demander sa mort, il y aura toujours des patients qui réclameront une euthanasie ou un suicide assisté, en raison de convictions purement individuelles. La mort induite d’un individu peut-elle être acceptable, ou non ? Même si l’on répond à tous les autres éléments importants dans la prise en charge des situations de fin de vie, le problème moral né de cette question persiste. Ainsi, on peut faire diminuer l’apparition des demandes d’euthanasie par une prise en charge tenant compte des besoins individuels des malades, mais on ne pourra jamais éliminer toutes les demandes d’euthanasie ou de suicide assisté.

Est-ce qu’accorder le droit de mourir ainsi est une avancée dans le respect de l’autonomie du malade ? C’est une question morale à laquelle une société ne peut échapper, mais qu’une meilleure connaissance du contexte des fins de vie peut éclairer.

Pour conclure mon propos, je dirai qu’il me semble que la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les malades et les personnes en fin de vie, telle que réécrite par la commission des affaires sociales, qui, monsieur le rapporteur pour avis, a intégré plusieurs amendements de la commission des lois, réussit le tour de force d’être à la fois une avancée et le fruit d’un consensus. Je me félicite de la plupart des orientations de ce texte de loi, qui vont dans le sens d’une plus grande autonomisation de l’individu, même si celle-ci reste encore à parfaire.

Avant de laisser place au débat, je citerai une nouvelle fois le professeur Emmanuel Hirsch, pour qui « il n’est plus l’heure de se soucier de l’état d’esprit que révèle l’urgence législative visant “à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité” ».

La moindre infraction au consensus présent est considérée avec suspicion et réprouvée, surtout par les dépositaires de la sagesse publique : ils se sont prononcés à ce propos de manière définitive.

De sondages en concertations publiques, de consultations en rapports et en avis, de concessions en renoncements, notre société apaisée est prête aux avancées préconisées.

La sédation profonde et continue est avancée comme une évolution majeure en matière de droit de la personne malade ou en fin de vie. Les problèmes liés à la fin de vie ne concernent pourtant pas uniquement les patients. On constate, de même, un malaise chez les professionnels confrontés aux fins de vie et aux questions touchant aux bonnes pratiques. Ces problèmes avaient notamment été mis en évidence à l’occasion de différentes affaires, dont celle de Vincent Humbert en 2003 fut la plus marquante et, probablement, la plus médiatisée.

Dans cette atmosphère favorable au respect de l’autonomie du malade, mais opposée à tout acte qui provoquerait sa mort, l’approche des soins palliatifs a pu se développer assez facilement. Elle participe au renforcement des droits de l’usager, tout en permettant à chacun de bénéficier d’une fin de vie aussi digne que possible.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture un texte dont le sujet, difficile, concerne chacun de nous. Nous y avons été ou nous y serons un jour confrontés, pour nous-mêmes ou pour nos proches. Aussi la discussion se nourrit-elle naturellement de nos convictions, de nos peurs, de nos émotions, mais aussi de nos valeurs.

Je veux saluer avec une grande sincérité l’excellent travail, empreint de rigueur et d’humanité, des rapporteurs et du président de la commission des affaires sociales, dans ce contexte éminemment difficile, en faveur de la recherche consensuelle du bien commun, comme l’a dit notre collègue député Jean Leonetti.

Pour certains d’entre nous, ce texte va trop loin, pour d’autres, il est insuffisant. Ce texte, issu des travaux de la commission des affaires sociales, n’est pas destiné – faut-il le rappeler ici ? – à ceux qui veulent mourir, mais à ceux qui vont mourir, aux patients atteints d’une maladie incurable, soumis à des souffrances réfractaires à tout traitement, au stade ultime de leur vie et dont le pronostic vital est engagé à brève échéance.

Si la loi Leonetti de 2005 a représenté une avancée significative en améliorant la prise en compte de la volonté du patient et en prônant le développement de soins palliatifs ainsi que le rejet de l’acharnement thérapeutique, force est de constater qu’elle est méconnue ou insuffisamment appliquée.

La prise en charge de l’accompagnement des malades en fin de vie souffre aujourd’hui d’inacceptables insuffisances.

La première concerne la double inégalité d’accès aux soins palliatifs : l’inégalité liée à l’indécente insuffisance de places aujourd’hui – seuls 20 % des patients peuvent y accéder – et l’inégalité territoriale – 70 % des lits palliatifs sont concentrés dans cinq régions. Aussi convient-il de saluer l’annonce de l’inscription d’un crédit de 40 millions d’euros supplémentaires dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et du plan triennal que vous devez présenter prochainement, madame la ministre, et que nous attendons avec impatience. Celui-ci devra s’attacher au développement des soins palliatifs non seulement à l’hôpital, mais aussi dans les EHPAD et surtout à domicile. Le Sénat sera très vigilant et très exigeant quant au respect de votre engagement. L’indignité ne peut se contenter d’annonces !

La seconde insuffisance se trouve dans le déficit criant de formation aux soins palliatifs des professionnels de santé. Ce texte propose de la corriger. La médecine doit en effet être conçue et enseignée dans sa double finalité curative et palliative.

La proposition de loi des députés Claeys et Leonetti améliore la loi de 2005 par deux dispositions mesurées, non seulement respectueuses du point de vue du patient, mais également protectrices pour l’équipe médicale. Elle inclut en effet l’opposabilité des directives anticipées, facilitant ainsi la décision du médecin et rassurant le patient et sa famille quant à la prise en compte de leur volonté. Elle prévoit également le droit à la sédation profonde et continue, uniquement dans des cas très précisément définis, limitant ainsi le risque de décision arbitraire.

Mes chers collègues, la fin de vie dérange dans une société qui a chassé la mort du réel et qui condamne l’échec. Elle soulève des questions philosophiques, morales, éthiques et religieuses. Celles-ci sont légitimes d’un point de vue personnel. Ici, toutefois, nous légiférons au nom de la République.

Notre société peut-elle condamner ceux qui ont atteint la fin de leur chemin de vie à mourir dans la souffrance et l’angoisse, souvent dans une grande solitude, abandonnés par une science confrontée à son impuissance et à ses limites ? Est-ce ainsi que les hommes doivent nécessairement mourir ?

Le texte qui nous est proposé par la commission des affaires sociales du Sénat est ciselé, ses mots sont pesés, exempts de toutes les scories qui pourraient provoquer les consciences. Il est acte d’humanité et geste de fraternité, portant la promesse de la société de ne pas abandonner les siens à l’heure ultime. Je crois sincèrement, en mon âme et conscience, qu’il honore le Sénat. C’est avec le sentiment d’un devoir de fraternité accompli que la grande majorité du groupe UDI-UC le votera.

Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons à nouveau le sujet de la fin de vie. Sujet difficile s’il en est, car, au-delà des positionnements politiques, il traite de l’intime. Nous ne pouvons nous empêcher de penser à notre vie, ou encore à celle de nos proches, et à la manière dont nous souhaitons qu’elle se termine. Difficile aussi, car la mort, si elle est partie intégrante de notre existence, n’est pas un sujet dont nous avons l’habitude de parler. Pourtant, parce qu’il nous touche toutes et tous, ce sujet nécessite d’être porté devant le Parlement.

La proposition de loi présentée par MM. Claeys et Leonetti était fortement attendue. Attendue d’abord par les malades en fin de vie, qui souhaitent que leur volonté soit prise en compte. Attendue ensuite par le corps médical, dont les membres sont amenés à accompagner les personnes en fin de vie sans toujours disposer des outils juridiques adéquats. Attendue enfin par l’ensemble des citoyennes et des citoyens, soucieux de garantir à leurs proches une fin de vie apaisée et sans douleur.

La proposition de loi qui nous avait été présentée en première lecture était, je l’avais dit, en deçà de ces nombreuses attentes. En premier lieu, parce que la mise en œuvre des droits en matière de fin de vie ne peut être dissociée des moyens qui doivent être alloués aux soins palliatifs. Or ce volet financier était de fait absent de la proposition de loi. En second lieu, parce que la « mesure phare » du texte, la sédation profonde et continue jusqu’au décès, reste limitée dans sa portée : elle ne concerne qu’un nombre restreint de patients, ceux qui sont atteints d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme.

Malgré la faible ambition de ce texte, une partie de la droite sénatoriale s’était mobilisée lors de son examen en première lecture pour le vider entièrement de sa substance. Cela nous avait conduits à rejeter la proposition de loi, si bien que l’Assemblée nationale a examiné en seconde lecture le texte qu’elle avait adopté en première lecture.

Ce qui s’est passé en séance publique au Sénat est d’autant plus regrettable que des modifications utiles avaient été introduites, notamment en matière de soins palliatifs. Le Sénat avait ainsi exigé un développement des soins palliatifs susceptible de couvrir l’ensemble du territoire, y compris en dehors de l’hôpital. Il avait également introduit une obligation de formation aux soins palliatifs pour le personnel des EHPAD. Le Sénat avait en outre adopté notre amendement visant à ce que le médecin ne puisse pas s’opposer à la mise en œuvre de la procédure collégiale.

Ce travail a fort heureusement été repris par les rapporteurs ; ils ont fait une synthèse des différentes positions, si bien que le texte désormais soumis à notre vote est équilibré. Il retient les principales avancées de la proposition de loi : le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès dans des cas définis ; le droit de s’opposer à un acharnement thérapeutique ; la clarification du format et de la portée des directives anticipées ; la définition du statut de la personne de confiance ; l’accès à une formation initiale et continue aux soins palliatifs pour le personnel médical et médico-social. Sur ce dernier point, je rappelle que le groupe communiste républicain et citoyen a déposé un amendement dans le cadre du projet de loi de santé ayant le même objet.

Si nous souscrivons à l’intérêt de ces dispositions, nous souhaitons renforcer le caractère contraignant des directives anticipées, qui doivent de notre point de vue s’imposer au médecin. De plus, nous souhaitons permettre au patient de désigner une personne de confiance suppléante. Enfin, avec plusieurs de mes collègues, j’aimerais approfondir le droit des personnes à mourir dans la dignité. En effet, comme je l’ai déjà indiqué, s’il est équilibré, ce texte à une portée limitée : il permet, quand la mort est inéluctable et à très court terme, de voir sa souffrance apaisée par une sédation profonde et continue accompagnée d’un arrêt des traitements, dont la nutrition. Il s’agit de « laisser mourir », parfois de faim.

Pourquoi ne pas permettre, quand le patient le demande, la mise en œuvre d’une assistance médicalisée à mourir ? Cela permettrait d’apporter une solution à de nombreuses personnes qui estiment que leur maladie ou leur état de dépendance est incompatible avec l’idée qu’elles se font de la dignité. Ces personnes estiment qu’elles devraient avoir le droit de choisir de mourir dans l’apaisement et sans douleur.

À toutes ces personnes, la présente proposition de loi n’apporte pas de réponse. Ainsi du tristement célèbre cas de Vincent Lambert, qui n’est toujours pas résolu et qui n’est pas visé par ce texte.

Animés par la volonté de créer un meilleur vivre ensemble, nous ne pouvons ignorer la question du « bien mourir ». Le combat pour une vie digne ne peut être dissocié de celui pour une fin de vie digne. Cela d’autant moins que, dans ces moments douloureux de fin de vie, le sentiment de perte de dignité est particulièrement important. Il est lié à l’idée que chacune et chacun a de sa propre image, de sa dégradation du fait de la maladie, de son incapacité à remplir les actes les plus simples de la vie quotidienne.

Cette perception est propre à chaque individu. Elle dépend des croyances, du vécu, mais aussi de la personnalité ou des relations familiales et sociales de chacun. Dans ce contexte, il est difficile de prévoir une loi qui laisse suffisamment de libertés tout en offrant suffisamment de garanties pour que nos concitoyennes et nos concitoyens bénéficient d’une fin de vie correspondant à leur propre définition de la dignité.

Cet objectif ambitieux ne semble que partiellement atteint par cette proposition de loi. Je le regrette, mais le souci de synthèse qui a animé ses auteurs, ainsi que nos trois rapporteurs, est réel. Le texte dont nous allons débattre a ainsi le mérite de clarifier certaines situations et de créer de nouveaux droits, qui, malgré leur portée limitée, doivent être affirmés.

Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc ce texte, sous réserve qu’il corresponde aux résultats des travaux de notre commission et qu’il ne soit pas dénaturé en séance publique.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

M. Georges Labazée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quelques heures, le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement était adopté dans cet hémicycle à la quasi-unanimité. Rassurez-vous, je n’y vois pas là une suite logique de nos débats.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Après avoir consacré la liberté de choix de la personne âgée, renforcé les droits des usagers en établissements, développé l’offre d’habitat intermédiaire ou regroupé et souligné l’importance de la représentation des personnes âgées, je suis fier que nous soyons prêts aujourd’hui à confirmer des droits essentiels pour les personnes en fin de vie : le droit de ne pas souffrir grâce à la sédation profonde et continue jusqu’à la fin, le droit de voir sa volonté respectée grâce à la possibilité d’écrire et de réviser à tout moment des directives anticipées qui s’imposeront à tous.

Nous voici donc réunis pour examiner un texte qui a fait vivre à notre hémicycle des heures difficiles. Il faut dire qu’il s’agit d’un sujet qui nous touche tous. Nous avons tous un parent ou un ami proche dont nous avons partagé ces dernières heures si importantes à plus d’un titre ; importantes, parce que leur souvenir s’imprime dans nos mémoires ; importantes, parce qu’elles nous aident parfois à faire notre deuil ; importantes, surtout, parce qu’elles illustrent la volonté du vivant, c’est en tout cas ma conviction.

Qu’il est difficile lorsqu’on travaille sur ces sujets de se détacher de nos propres expériences ! Qu’il est cruel de revivre ces souffrances lorsque nous débattons ! Qu’il est terrible de devoir parfois réduire nos souvenirs à la vision de corps en souffrance !

Mes chers collègues, nous nous sommes brutalement affrontés sur ce sujet en première lecture, mais il n’est pas question de « refaire le match ». Les mots que j’ai le plus entendus ces derniers jours – dialogue, équilibre, consensus – montrent la volonté d’apaisement qui a animé nos travaux, ce que je salue.

Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous remercie. Votre souci d’apporter de la sérénité à nos débats a permis de rendre au Sénat son rôle de législateur. Sans votre travail, le texte finalement adopté aurait pu être issu des seuls travaux de l’Assemblée nationale, ce qui aurait été un comble quand on sait le rôle important des sénateurs sur ce sujet ces quinze dernières années.

Madame la ministre, je vous remercie également. Vos paroles rappelant le souhait du Président de la République d’aboutir à un « consensus le plus large possible pour proposer une étape législative nouvelle » ont été entendues.

Enfin, je remercie nos trois rapporteurs. Leur travail important de précision et d’encadrement suffira cette fois, je l’espère, à apaiser les craintes, à défaut de toutes les souffrances. Il est de notre devoir de faire en sorte que l’ombre ne s’étende pas plus ! Je suis en effet persuadé que le verdict intervenu cette semaine dans le cadre du procès d’un médecin de mon territoire, le docteur Bonnemaison, aurait été différent si le texte de loi dont nous débattons avait été adopté définitivement.

Cela étant, preuve que nous pouvons tous évoluer, un grand nombre de sénateurs socialistes ont, après de nombreuses discussions, décidé de considérer l’hydratation comme un soin, alors que, en première lecture, nous avions choisi de suivre le Conseil d’État, qui considérait l’hydratation comme un traitement, au même titre que la nutrition. C’est non seulement la qualité de nos échanges qui a permis une telle évolution de notre raisonnement, mais également nos douloureuses expériences personnelles. Je note quand même, madame la ministre, que l’amendement n° 28 que le Gouvernement a déposé hier suscite des interrogations. Nous espérons que vous pourrez dissiper nos craintes…

Je ne reviendrai pas sur le contenu du texte, ni sur les apports issus des travaux de notre commission – les orateurs qui m’ont précédé l’ont déjà fait. Retenons toutefois que les apports issus de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale sont loin d’être négligeables. Je pense par exemple à la possibilité de désigner une personne de confiance suppléante, au cas où la personne de confiance titulaire se trouverait dans l’incapacité d’exprimer la volonté du patient qui l’a désignée.

Le groupe socialiste votera cette proposition de loi si elle demeure conforme au texte de notre commission – je rejoins sur ce point notre collègue Annie David. Par cohérence et souci d’équilibre, nous tenons en effet à ce que l’architecture soit maintenue. Reste que je peux m’empêcher d’appeler de mes vœux les plus sincères une étape supplémentaire. Pour beaucoup d’entre nous, il est nécessaire qu’un autre texte soit prochainement inscrit à l’ordre du jour de nos assemblées.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste et de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie la commission des affaires sociales, son président, les rapporteurs, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission des lois, qui, grâce à un travail serein, apaisé, de qualité, ont certainement contribué à rattraper l’image quelque peu écornée que le Sénat a pu donner lors de la dernière discussion du présent texte en séance publique.

Lundi 2 novembre se tiendra la huitième Journée mondiale pour le droit de mourir dans la dignité. Notre débat pourrait être l’occasion d’adresser aujourd’hui un message d’espoir et un signal fort aux personnes qui vivent ou ont vécu des situations douloureuses et des drames de fin de vie.

Ces situations sont nombreuses. Ainsi, Jean Mercier, originaire du Maine-et-Loire, a été condamné hier à une peine d’un an de prison avec sursis pour non-assistance à personne en danger. Il s’agissait en fait d’une assistance au suicide apportée à son épouse, qui, après trente ans de souffrance, n’en pouvait plus de vivre.

Bien que nous n’ayons pas pour rôle de commenter les décisions de justice, force est de constater la nécessité d’une évolution législative sur la fin de vie. Comme 96 % des Françaises et des Français, nous soutenons une telle évolution.

Pourtant, malgré l’excellent travail qui a été effectué par la commission et l’ensemble de nos collègues, de trop nombreux cas ne sont toujours pas couverts par notre législation. Il y a un pas, difficile, que nous n’arrivons pas à faire… Comme cela a été souligné, le texte est fait pour ceux qui vont mourir, pas pour ceux qui voudraient partir.

Je ne prétends pas que la loi doit régler tous les cas. Mais, sur une question aussi sensible, il faudrait sans doute qu’elle réponde mieux à une attente forte de la population, celle de pouvoir partir au moment de son choix.

Le Sénat a la responsabilité de prendre en compte ou, du moins, d’entendre ces attentes.

Cela étant, je pense que ce texte comporte un certain nombre d’améliorations. Mais, à nos yeux, il ne va pas encore assez loin.

Vous vous en souvenez, mes chers collègues, dans un premier temps, dépassant les clivages habituels, des sénatrices et des sénateurs de tous les groupes politiques du Sénat sauf un avaient voulu soutenir ensemble le choix de pouvoir bénéficier d’une aide active à mourir. C’est ce pas que la présente proposition de loi ne permet pas de faire.

Nous proposons de reconnaître la volonté du patient de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir dans des conditions strictes. Associée à l’analgésie et à l’arrêt des traitements, la « sédation profonde et continue jusqu’au décès », telle qu’elle a été définie, ne saurait être la seule réponse à toutes les situations. C’est pourtant ce que le texte prévoit.

Avec le recours possible à une sédation profonde et continue, la proposition de loi contient tout de même une avancée : le fait d’être endormi. Cette réelle vision de la dignité est positive. Mais elle ne suffit pas à tous ! De plus, cette solution n’est pas réellement le fait du patient. C’est l’équipe soignante – et le caractère collégial est important – qui en décidera.

Vous l’aurez compris, même si nous saluons la qualité du travail effectué comme des débats, ainsi que la méthode, nous considérons que ce texte ne va pas suffisamment loin. Peut-être l’engagement n° 21 du candidat François Hollande, dont nous attendions beaucoup, était-il formulé de manière trop ambiguë. Peut-être l’attente de certains était-elle trop grande.

Quoi qu’il en soit, nous respectons évidemment les convictions de toutes celles et de tous ceux qui ont une position différente sur le sujet.

La loi de 2005 a très largement montré ses limites. La présente proposition de loi est censée y remédier, avec une volonté de remettre le patient au centre de la décision. Mais ce texte déçoit encore ceux et celles pour qui le droit à la mort fait partie des droits individuels humains. Selon nous, chacun doit pouvoir choisir sa mort sans être riche ou obligé, comme certains, de partir en Suisse !

Nous savons que l’objectif actuel est de trouver un équilibre, ce qui est difficile. Mais nous souhaitons qu’il soit possible d’aller plus loin dans un avenir proche. Tel est le sens d’un amendement que nous avons déposé.

Si cette proposition de loi reste comme elle est à ce stade, le groupe écologiste s’abstiendra, en saluant la qualité de nos débats, mais en soulignant qu’il aimerait aller plus loin. Plus tard, peut-être…

Néanmoins, je me félicite que le Sénat humaniste offre aujourd'hui une image plus positive que lors de nos derniers débats sur ce sujet !

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Micouleau

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Dix ans après la promulgation de la loi de Jean Leonetti, texte qui a permis de répondre à une grande part des situations de fin de vie, un constat s’impose : les soins palliatifs auxquels les patients devraient pouvoir prétendre sont loin d’être accessibles à tous, et les inégalités géographiques restent importantes.

Pourtant, les Français ont besoin d’un accès effectif aux soins palliatifs. Trop de personnes se trouvent encore aujourd’hui dans une situation d’extrême détresse face à la maladie et à la souffrance. En tant que législateurs, nous avons une responsabilité : créer les conditions favorables à un accompagnement tout au bout de la vie.

Ces disparités marquées de l’offre de soins palliatifs ont été révélées par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2015, intitulé Les soins palliatifs, une prise en charge toujours très incomplète.

À cela s’ajoute une disparité pour ce qui concerne le taux d’équipement en lits des unités de soins palliatifs. Il est inquiétant de constater que seul un patient ayant besoin de soins palliatifs sur deux en bénéficie. Entre 2007 et 2012, notre pays est passé de 90 à 122 unités de soins palliatifs, le nombre de lits de ces unités progressant de 942 à 1301 en 2012. Mais il est urgent d’aller plus loin. En réalité, nous aurions besoin de 5 000 nouveaux lits et d’un doublement des équipes mobiles, en lien notamment avec les équipes d’hospitalisation à domicile.

Par ailleurs, force est de constater la quasi-inexistence de soins palliatifs dans les établissements médico-sociaux, en particulier dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD.

Dans son rapport de 2013 consacré à la fin de vie des personnes âgées, l’Observatoire national de la fin de vie relevait que 85 % des EHPAD ne disposaient pas d’infirmière de nuit, d’où une multiplication des hospitalisations en urgence.

Sur les plus de 17 000 patients qui sont décédés en 2012 aux urgences, 52 % étaient âgés de soixante-quinze à quatre-vingt-neuf ans et 22 % avaient quatre-vingt-dix ans ou plus. Pourtant, 60 % de ces patients ont été hospitalisés pour une pathologie qui aurait nécessité des soins palliatifs.

En outre, il serait nécessaire de renforcer la formation des médecins et des soignants aux soins palliatifs, notamment aux traitements contre la douleur. Cette formation, qui doit être initiale et continue, est indispensable.

La douleur peut désormais être soulagée en France. Et de nombreux services sont formés à ces pratiques. Mais il faut continuer à développer celles-ci en faisant prévaloir la prescription de sédations conformes à des recommandations de bonnes pratiques.

Il existe également un manque de formation à l’écoute et à l’accompagnement des patients. Pourtant, l’échange avec les familles peut apporter un soulagement réel, psychique et bien souvent aussi physique. Je crois que les Français demandent aujourd’hui à être soulagés et accompagnés.

Aussi, madame la ministre, nous espérons que le plan triennal visant à promouvoir la culture palliative que vous avez récemment annoncé aura une traduction concrète dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, texte dont nous allons prochainement discuter.

Enfin, je tiens à saluer le travail accompli lors de la réunion de la commission des affaires sociales ; c’est ce qui nous permet d’examiner aujourd’hui le présent texte !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Barbier

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 25 janvier 2011, au cours d’une longue nuit, nous avons débattu d’un texte sur la fin de vie assez voisin de celui que nous examinons aujourd’hui. De cette séance, je garde un souvenir douloureux en me remémorant les interventions de Guy Fischer et Jean-Louis Lorrain – animés de convictions, certes, contraires –, deux collègues que le même mal devait emporter quelque temps plus tard.

Était-il nécessaire de rouvrir ce dossier, qui suscitera toujours des positions antagonistes très marquées, mais aussi respectables – et nous devons les respecter ! – les unes que les autres ? Chacun de nous peut et doit avoir ses propres convictions, fondées sur son vécu, ses croyances ou son approche philosophique. Les uns souhaitent un droit à la liberté de l’individu, exigeant de la société qu’elle lui fournisse les moyens de l’exercer ; c’est l’un des enjeux de ce texte. Les autres s’appuient sur les valeurs de la société, le devoir de ne point nuire et d’assurer la protection des personnes les plus fragiles ou en situation de faiblesse.

La commission des affaires sociales souligne d’ailleurs l’ambiguïté du titre de la proposition de loi et propose de supprimer les mots : « en faveur des malades ». C’est heureux ! En revanche, elle ne précise pas ce qu’est le « court terme ». Qui va le définir ? Que faire du patient qui considère que sa souffrance physique ou morale le conduit à vouloir en finir ?

Mais, au-delà de cette ambiguïté, chacun a bien compris que nous sommes de fait face à deux courants de pensée difficilement conciliables. On peut travailler le sens des mots ou trouver des périphrases ambiguës dont l’interprétation plongera les équipes soignantes et les patients dans le doute, sinon dans l’angoisse. En effet, certains patients hésiteront peut-être à faire part de leur souffrance, de peur de voir un protocole terminal mis en place à leur insu. Entre le souhait de tout individu normalement constitué d’éviter toute souffrance à cet instant de la vie et le risque d’une fin provoquée, l’inquiétude naîtra.

La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, ou SFAP, par la voix de son président, Charles Joussellin, rappelle l’avis de son comité scientifique, qui approuve le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, dans sa réserve sur la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. En revanche, sur le caractère contraignant des directives anticipées, il ne soutient pas l’évolution d’une loi vers un droit à la sédation du patient en fin de vie. M. Charles Joussellin le rappelle : « Pour faire société, les individus s’inscrivent dans un ensemble de valeurs et de croyances qui permettent à l’humanisation de s’instituer autour de lois dont la première est l’interdiction de tuer. » Fallait-il de nouveau légiférer ?

Ces derniers jours, la discussion en commission a conduit à une prise de position qui ne manque pas de m’interpeller. Au nom d’un compromis, ai-je à renoncer à mes convictions profondes et au serment que j’ai prononcé en son temps ? Comment accepter une périphrase dont le sens profond est évident pour tous : la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » ?

J’ai relu Marie de Hennezel, Axel Kahn, Jean-Luc Romero, Louis Puybasset, Léon Schwartzenberg, Jankélévitch, monseigneur d’Ornellas et d’autres. J’ai lu les derniers écrits de Damien Le Guay dans son appel à ce que ce texte soit amendé pour qu’il n’apparaisse pas comme une nouvelle étape vers l’euthanasie. En 2006, Anne Richard taxait l’euthanasie de « combat d’arrière-garde », tant la loi de 2005 semblait donner ce droit à ne pas souffrir dans l’ultime combat du malade contre la mort.

J’ai parcouru le compte rendu des débats à l’Assemblée nationale, notamment la longue discussion de cet amendement déposé par 137 députés qui a finalement été rejeté. Madame la ministre, j’ai lu votre analyse considérant que cette loi était une avancée, mais aussi une étape. Une étape vers quoi ? Il apparaît dans vos propos que, la société française n’étant pas tout à fait mûre, il ne faut pas aller plus loin pour l’instant…

Pour certains, il fallait avant tout lever cette emprise insupportable de l’équipe soignante et du médecin sur la personne. Pourtant, la loi en vigueur, dans son esprit et dans sa lettre, répond à l’immense majorité, pour ne pas dire à la totalité des cas douloureux de fin de vie ; il suffirait de l’appliquer. C’est ce que souligne le professeur Puybasset. D’ailleurs, Axel Kahn le confirme : « Si la loi Leonetti était bien connue et bien appliquée, l’euthanasie transgressive n’aurait pas lieu d’être pratiquée. »

Ce texte voté en l’état suscitera plusieurs interrogations. Dans un essai récent, le professeur Laurent Degos les pose d’une manière assez directe, et je reprends ses termes : « Le Président de la République a souhaité en janvier dernier “une assistance médicalisée pour terminer sa vie en dignité”. Que signifie “assistance médicalisée” de la mort » ? Il soulève aussi d’autres interrogations. La sédation profonde est-elle une euthanasie passive ou un soulagement du patient ? À partir de quand l’acharnement thérapeutique devient-il une obstination déraisonnable ? Est-ce par compassion que l’on va donner la mort ? Quelle vision a-t-on du professionnel de santé qui soigne et qui apporte par ailleurs la mort ? Les termes sont crus ; ils nous interpellent. Mais ce sont bien ces questions auxquelles nous devons nous répondre aujourd'hui !

Monsieur le président de la commission des affaires sociales, Emmanuel Hirsch, que vous avez cité, évoque une « obstination politique déraisonnable ». Je me permets de reprendre les propos que vous avez tenus voilà quatre ans : « L’évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les valeurs communes qui sont au fondement d’une société et soutiennent ses institutions. […] J’estime, en conclusion, qu’il n’est pas opportun de voter une nouvelle loi ».

Vous comprendrez que je ne voterai pas ce texte. Je remercie le président du RDSE de m’avoir permis de m’exprimer, sachant que les collègues de mon groupe, vous vous en doutez, sont loin d’acquiescer à ma position.

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie qui revient aujourd'hui au Sénat en deuxième lecture a donné lieu à de véritables débats de conscience. Autant de signes qui révèlent les difficultés et les limites qu’il y a à légiférer sur un sujet aussi sensible que la fin de vie.

Pour ma part, je me réjouis que de tels débats se soient déroulés, même s’ils ont été difficiles. Il est à l’honneur de notre assemblée et de chacun d’entre nous d’exprimer des convictions, surtout lorsqu’elles touchent à l’intime.

Je m’interrogeais déjà dans cette enceinte, lors de la première lecture, sur l’opportunité, voire sur la nécessité, de revenir sur la loi Leonetti. Je ne m’appesantirai pas sur ce point, car Gilbert Barbier vient de rappeler que l’urgence ne se situait effectivement pas là. C’est pourquoi d’autres collègues et moi-même nous sommes attachés alors à faire entendre la voix de ceux qui redoutent une judiciarisation de la mort. Les amendements que nous avions déposés – certains d’entre eux, et je vous en remercie, ont été adoptés – ne visaient pas d’autre objectif.

La navette parlementaire a eu le mérite de faire ressortir des consensus comme des points d’achoppement et de permettre, à la lumière de débats au cours desquels les consciences se sont exprimées, de tendre vers une rédaction plus nuancée, équilibrée et consensuelle du texte.

La rédaction que nous propose aujourd'hui la commission reprend ainsi certaines dispositions adoptées précédemment en séance, et je m’en réjouis. Il ne s’agit toutefois pas d’un rétablissement pur et simple du texte adopté en première lecture, la commission ayant souhaité « atteindre le plus large consensus possible, étant donné la diversité des positions qui se sont exprimées au Sénat. »

Je partage cet avis et tiens à rendre hommage aux rapporteurs et à nos collègues membres de la commission des affaires sociales pour leur travail afin d’aboutir à un texte le plus largement acceptable par tous. Je le dis clairement : le Sénat doit parvenir à un texte, nous sommes résolus à ce qu’il y arrive !

J’ai entendu les appels lancés en faveur du dialogue, mes chers collègues. Je viens de l’indiquer, nous sommes parfaitement disposés à trouver un accord. Je m’étonne néanmoins : les mêmes qui appellent au consensus affirment souhaiter revenir sans délai sur ce texte, au risque peut-être d’en briser l’équilibre ! Le consensus appelle la confiance, l’engagement et la durée. Il ne doit s’agir en aucun cas d’un marché de dupes sur l’instant pour parvenir à un texte.

La première vertu du débat aura été de poser la question des moyens qui sont affectés aux soins palliatifs. Nous avons été nombreux en première lecture à rappeler notre attachement à la mise en place de ces soins sur l’ensemble du territoire, dispositif qui était au cœur de la loi Leonetti. Cette exigence, nous la retrouvons dans le texte issu des travaux de la commission.

Je note que le Gouvernement vient d’annoncer l’octroi d’une enveloppe de 40 millions d’euros supplémentaires pour le développement des soins palliatifs. Si nos débats en première lecture n’avaient eu que ce mérite, ce serait toujours cela d’engrangé ! Il faut continuer dans cette voie.

De plus, un progrès du texte résultant des travaux de la commission concerne la formation, la suppression de la notion de traitements inutiles, la suppression de la prolongation inutile de la vie, l’hydratation considérée de nouveau comme un soin et qui peut être maintenue jusqu’au décès, les directives anticipées qui ne « s’imposent » plus au médecin, mais « sont respectées », et la personne de confiance qui exprime non plus un avis, mais un témoignage.

Toutefois, mes chers collègues, une interrogation demeure à l’article 3, voire une divergence. Nous sommes là au cœur du dispositif.

En première lecture, une majorité d’entre nous avait considéré qu’il ne fallait pas faire de la sédation une pratique irréversible et avait supprimé la mention « et continue jusqu’au décès » en adoptant un amendement en ce sens. Un grand nombre de collègues ont vu dans cette modification une dénaturation de la proposition de loi et ont voté en définitive contre le texte pour cette raison.

Je rappelle que ce qui nous choquait n’était pas tant la sédation en soi, pratique existante et déjà encadrée par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, que son caractère impératif inscrit dans le marbre de la loi, et sans alternative. À mon sens, une latitude doit être laissée aux soignants et aux proches. J’ai donc déposé avec plusieurs de mes collègues un amendement visant à ce que la sédation soit une possibilité et non une prescription. Ce serait un précédent que d’inscrire une prescription médicale dans un texte de loi. Évitons la judiciarisation de la fin de vie, et plus encore de la médecine.

Pour conclure, je constate que les vicissitudes de la présente proposition de loi révèlent l’ampleur et les difficultés de la tâche qui nous incombe : donner un cadre législatif acceptable et satisfaisant aux pratiques médicales de la fin de vie ! C’est tout l’intérêt de la navette, qui a permis de faire apparaître et de retenir les précisions et les nuances rendant possible l’application de cette proposition de loi au nombre infini de cas de fin de vie.

Mes chers collègues, nous devons bien mesurer et peser les conséquences des mots et des virgules retenus. Les membres de mon groupe détermineront leur vote final à l’issue de la commission mixte paritaire. Nous espérons vivement que celle-ci reprendra l’intégralité des avancées figurant dans le texte de la commission des affaires sociales.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une fois encore, le sujet de la fin de vie est débattu à la Haute Assemblée. Je risque donc de nouveau d’avoir le sentiment de me répéter, car ma position est restée inchangée sur ce point depuis mon arrivée au Sénat en 2001.

Au cours de cette période, j’ai déposé ou signé plusieurs propositions de loi qui relevaient toutes du même esprit et de la même intention. Nous avions réussi à proposer un texte signé par des sénatrices et sénateurs appartenant à tous les groupes politiques de cette assemblée, comme l’a rappelé Mme Bouchoux tout à l’heure.

Je le répète, ma conviction repose sur cette question posée par Balzac dans La Comédie humaine : « Les souffrances les plus vives ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié ? » Le reste n’est que développement et déclinaisons de cette idée.

Comme nous l’avons constaté tout au long des débats, écrire la loi sur les façons de mourir, sur les souffrances de la fin de vie et sur l’aide qui peut être apportée dans ces situations est un exercice très délicat pour le législateur. Nous devons le faire en portant toute notre attention sur l’individu, sa dignité, sa liberté et le respect de ses valeurs. Autant que possible, je considère que notre rôle doit être de lui laisser le droit de décider pour lui-même.

Le professeur Jean-Claude Ameisen a posé récemment une très bonne question : « En fin de vie, entre soulager la douleur ou raccourcir le temps qu’il reste à vivre, qu’est-ce qui est essentiel ? » La réponse devrait être simple : c’est au malade de choisir ce qui est fondamental pour lui, et à personne d’autre.

Il n’est question que d’un droit ; un droit contre la souffrance ; le droit de refuser certaines souffrances. Il est question d’une liberté aussi, d’une toute dernière liberté ! Que l’on en use ou non, la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir lorsque des conditions strictes sont réunies constituerait une liberté en soi, qui suffirait souvent à apaiser certains malades et ne s’imposerait à personne.

Les opinions sur ce sujet ne reproduisent pas les clivages que l’on retrouve habituellement dans notre assemblée, car elles se forment sur des convictions intimes, qui peuvent être religieuses, philosophiques ou qui rappellent parfois le vécu de ceux qui ont accompagné une personne souffrante en fin de vie.

Je ne vous étonnerai donc pas en exprimant le regret de ce que je perçois comme un décalage avec la volonté de l’opinion publique. J’espérais que cette proposition de loi permettrait aux personnes qui le souhaitent de bénéficier d’une aide pour mourir, qui aurait été réalisée par un acte délibéré. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé avec un certain nombre de mes collègues à l’article 3.

Le droit à une assistance active pour mourir n’est pas un choix entre la vie et la mort ; c’est un choix entre deux façons de mourir. J’ai osé un temps espérer une loi qui irait plus loin, avec des avancées plus franches. Mais je sais aussi que les véritables changements se font souvent par petits pas. Finalement, cette proposition de loi prend le bon chemin. C’est ce que j’ai compris de votre intervention à l’Assemblée nationale, madame la ministre, lorsque vous avez déclaré que le débat restera ouvert et qu’une étape supplémentaire pourra à l’avenir paraître nécessaire au Parlement. Je l’espère bien. Mais quand ? Et avec quelle majorité ?

Plusieurs dispositions du texte présentent à mes yeux de véritables avancées, qui doivent être reconnues.

L’article 3 de la proposition de loi prévoit la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, afin d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement la vie. Cette sédation est associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie.

La sédation terminale est une assistance médicalisée pour mourir que je qualifierais de « passive ». Nous savons qu’elle est en réalité déjà bien souvent pratiquée. L’inscrire dans la loi permettra non seulement de clarifier le droit, mais aussi d’uniformiser les pratiques sur le territoire. Cela protège donc tant les médecins qui pratiquent cette sédation, que les patients dans leur droit à y avoir accès.

L’opposabilité des directives anticipées est prévue par l’article 8. Là aussi, il s’agit d’une avancée non négligeable. À mesure que l’on élargira ce qui pourra être inscrit dans les directives anticipées, le sens de cette disposition grandira. Donner un caractère contraignant aux directives anticipées, c’est reconnaître l’autonomie de la volonté des malades, ce qui est une très bonne chose.

L’article 9 crée, quant à lui, un réel statut de la personne de confiance. Il la reconnaît comme véritable interlocuteur dont le « témoignage prévaut sur tout autre » et lui donne sa place dans tout dispositif d’hospitalisation, ou lorsque la personne serait hors d’état d’exprimer sa volonté. C’est une avancée considérable. Cet article me semble essentiel tant on voit à quel point ces situations difficiles peuvent déchirer les familles. La désignation d’une seule personne de confiance qui sera l’unique personne référente et d’un éventuel suppléant choisis par la personne malade est une disposition de nature à préserver la liberté et les choix du malade. Je ne peux donc que l’approuver.

Enfin, je souhaite insister sur un dernier point, dont nous aurons à débattre cet après-midi : la question de l’hydratation artificielle qui avait déjà fait débat en première lecture et sur laquelle nous avons trouvé un point d’accord. Cette hydratation doit-elle être considérée comme un traitement qui peut donc être interrompu au même titre que l’alimentation artificielle ou comme un soin ? La commission des affaires sociales a estimé que, au regard de la souffrance que peut entraîner la déshydratation, celle-ci constitue un soin qui peut être – j’insiste sur cette nuance – maintenu jusqu’au décès. Cette rédaction me semble adaptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Elle protège les malades. Cette formulation, après de longs débats, pourrait faire l’objet d’un consensus dans cet hémicycle.

Telles sont, mes chers collègues, les avancées présentées par le texte qui nous est soumis aujourd'hui et que je tenais à souligner, bien que je sois convaincu que la société était aujourd’hui prête à aller plus loin. Voilà pourquoi j’ai déposé avec certains autres collègues un amendement à l’article 3.

Permettez-moi d’ajouter quelques mots pour remercier le président de la commission de son écoute permanente et amicale, ainsi que les rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable, afin de parvenir à un accord. Le texte examiné hier en commission pourrait, au final, recueillir mon assentiment, même si je ne désespère pas de convaincre la Haute Assemblée lors de l’examen de l’article 3. Enfin, je remercie chaleureusement Georges Labazée de la qualité constante, amicale et fidèle de nos échanges.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine

Je dirai seulement quelques mots, car nous avons déjà eu de riches échanges lors de la première lecture au sujet des ambitions de cette proposition de loi. Nous avons entendu les inquiétudes des uns, réaffirmées à cette tribune par certains orateurs, et les regrets des autres, qui auraient souhaité que le texte aille plus loin.

Nous avons perçu au travers des interventions qui se sont succédé la volonté exprimée par tous de chercher à répondre, dans le respect des convictions de chacun, aux préoccupations de notre société.

Je commencerai par remercier l’ensemble des orateurs du ton adopté lors de cette discussion générale et de leur recherche d’un compromis, d’un point d’équilibre, d’un consensus peut-être impossible.

Je remercie également, bien entendu, les rapporteurs, le président et les membres de la commission des affaires sociales, ainsi que tous les orateurs de la tonalité apaisée de leurs propos, même s’ils n’ont pour autant rien caché de leurs inquiétudes, de leurs attentes et de leurs regrets.

De même, le travail réalisé par le Gouvernement a précisément été de chercher, par-delà les convictions des uns et des autres, un point d’équilibre permettant de mieux prendre en compte les attentes de notre société. En effet, les différents orateurs l’ont dit, nous avons tous été confrontés – ou nous le serons un jour, pour nous-mêmes ou pour nos proches – aux interrogations que soulève ce texte.

Il arrive, et c’est heureux, que la mort survienne dans des conditions telles que ces questions nous soient épargnées. Mais il arrive aussi, de plus en plus souvent, que nous soyons conduits à nous interroger sur la prolongation des traitements.

Ces traitements méritent, toujours, d’être prolongés. Pour autant, doivent-ils forcément l’être ? Au regard de ce que chacun d’entre nous conçoit et attend de la vie en ses derniers moments, cette question doit être posée.

Encore une fois, nous devons respecter les convictions de tous, quels que soient leurs fondements. Mais je tiens à dire aussi, de la manière la plus forte qui soit, que la proposition de loi que le Gouvernement vous propose d’adopter, mesdames, messieurs les sénateurs, est un texte de liberté, et en aucun cas de contrainte pour qui que ce soit.

M. le rapporteur pour avis de la commission des lois s’est inquiété d’une possible automaticité. Or il n’y en a pas et il ne peut pas y en avoir ! Je tiens à le dire ; j’aurais pourtant pu concevoir, vous le savez, que le texte aille plus loin. Lorsqu’il s’agit du choix de la vie ou de la mort, il ne peut pas y avoir d’automaticité. Ce serait une perspective absolument insupportable ! Voilà pourquoi cette proposition de loi est, je le répète, un texte de liberté.

Vous avez rappelé, monsieur Barbier, tout en défendant vos convictions, que j’avais présenté ce texte comme une possible étape. « Une étape vers quoi ? », m’avez-vous demandé.

Quant à M. Godefroy, il a indiqué qu’il se résoudrait à accepter ce texte précisément parce que j’avais expliqué qu’il s’agissait d’une étape. Il s’est également interrogé sur le rythme auquel pourrait avancer la législation en la matière.

Ma réponse est simple : ce texte est une étape vers ce que souhaiteront les parlementaires !

Aujourd’hui, un point d’équilibre a été trouvé entre ceux qui auraient voulu aller plus loin et ceux qui auraient préféré que l’on ne modifie rien.

À ceux qui auraient souhaité aller au-delà, je réponds qu’il leur appartiendra de poursuivre ce débat au sein de la seule enceinte habilitée à se prononcer sur cette question, c’est-à-dire le Parlement, et de continuer à défendre cette attente, cet espoir et cette volonté.

À ceux qui, au contraire, veulent en rester là, je dis que de toute façon la société n’est pas prête à aller plus loin, sauf à susciter sur ces questions des débats sans doute vifs.

Certains, à l’Assemblée nationale, ont exprimé le souhait d’aller plus avant. Adopter leurs préconisations aurait probablement provoqué des réactions encore plus vives que celles que nous avons entendues dans cet hémicycle en première lecture.

Je respecte tout à fait ce que le Parlement décide à un moment donné. S’il n’y a pas dans les prochaines années d’autre travail législatif sur le sujet, c’est parce que les parlementaires auront jugé que c’est mieux ainsi. Il ne m’appartient pas de déterminer à l’avance ce qui sera fait à l’avenir ! Mais, à l’évidence, la porte reste ouverte ; elle l’est en tout cas pour certains d’entre vous et pour une partie de nos concitoyens.

Voilà ce que je voulais dire à ce stade de notre débat. Des questions importantes ont été posées, et je ne les laisse pas de côté.

J’ai déjà évoqué le malaise du Gouvernement s’agissant de l’article 2 tel qu’il est issu des travaux de la commission. Nous reviendrons, notamment, sur la question de l’hydratation. Sans doute y a-t-il moins de distance que ce que l’on croit pour ce qui concerne le critère de l’inutilité qui n’a pas le même sens aux articles 2 et 3. Peut-être y a-t-il là un éclaircissement à apporter ; nous le ferons.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose de débattre de ces questions essentielles à l’occasion de l’examen des articles. Je m’en tiendrai, pour l’instant, aux remerciements et au rappel des objectifs poursuivis par le Gouvernement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

La commission des lois a présenté une candidature pour la désignation d’un membre titulaire au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, je proclame M. Mathieu Darnaud comme membre titulaire de cet organisme extraparlementaire.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.