Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi nous invite à approuver un accord multilatéral conclu le 29 octobre 2014. Cet accord constitue un pas décisif dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Il est l’aboutissement d’un long processus de négociation, qui a commencé non pas simplement il y a deux ou trois ans, mais il y a au moins cinq ou six ans.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour donner – je l’espère – notre accord unanime à un projet attendu. En effet, celui-ci va permettre de rendre automatiques les échanges de renseignements financiers à visée fiscale entre les États. Ces États devront toutefois faire en sorte que les établissements financiers et bancaires de leur ressort fassent leur travail, ce qui demandera sûrement encore quelques approfondissements.
L’OCDE met en place un nouveau modèle de déclaration, dit de « norme mondiale ». Or certains d’entre nous savent ici, pour avoir rapporté des conventions fiscales fondées sur la réciprocité, qu’il est ensuite difficile de les appliquer, souvent en raison de problèmes d’interprétation. C’est pourquoi cette norme mondiale est un progrès incontestable.
Jusqu’à présent, le Parlement était régulièrement saisi de projets de loi autorisant l’approbation d’avenants à des conventions bilatérales, mais cela ne donnait que des résultats relativement mineurs. L’échange d’informations se faisait notamment en fonction de soupçons a priori, sous la forme – déjà ! – d’un modèle de déclaration de l’OCDE.
L’absence d’automaticité des échanges qui prévalait hier, souvent liée à la réticence d’États, nombreux, et d’un certain nombre de banques affiliées à ces États, dont l’anonymat bancaire constituait parfois l’essentiel du fonds de commerce, semble aujourd'hui appartenir à un autre monde. C’est très bien ainsi !
Certes, le coût de l’évasion fiscale a été évalué à plusieurs reprises, notamment dans le cadre de rapports sénatoriaux d’un très grand sérieux – je pense à deux rapports d’enquête sur les problèmes fiscaux et, plus particulièrement, sur l’évasion fiscale, qui me semblent avoir contribué à la sensibilisation sur ces thématiques. Mais, en réalité, c’est la loi américaine de 2010, dite « FATCA », qui a profondément changé la donne, en faisant évoluer le rapport de force. En effet, la force de frappe des États-Unis en matière fiscale donne, et donnera à l’avenir, toute son efficacité au dispositif, notamment vis-à-vis des grands établissements financiers bancaires.
À cet égard, rappelez-vous l’épisode de la société UBS, mes chers collègues. Un dialogue sérieux s’est installé avec cette banque, peu encline à mettre en œuvre la réciprocité des échanges, lorsqu’elle s’est vue menacée d’une très lourde amende. Elle s’est alors rendu compte que même ses biens américains pourraient être saisis et, d’un seul coup, elle a fait preuve d’un zèle tout à fait nouveau en matière de communication d’informations. À la suite de cela, comment voulez-vous que la Suisse refuse de mettre en place avec ses voisins, dont nous sommes, une réciprocité qu’elle a accepté d’établir avec les États-Unis ? La situation était intenable, d’où les progrès extraordinaires auxquels nous avons assisté.
Je signalerai aussi le petit incident lié aux accords Rubik. On se plaint souvent de notre incapacité à construire une Europe fiscale, et c’est effectivement un problème. Il se trouve que l’Allemagne avait négocié, avec la Suisse, un accord par lequel elle bénéficiait, au regard du nombre des comptes bancaires suisses de ses ressortissants, d’une sorte d’abondement financier avoisinant 2 milliards d’euros par an. C’eût été vraiment un mauvais coup pour l’Europe fiscale !
Depuis les problèmes rencontrés par UBS aux États-Unis, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, dans laquelle tous les établissements financiers à travers le monde sont tenus de transmettre au gouvernement américain toutes les informations en leur possession sur les comptes à l’étranger des ressortissants américains, sous peine d’une retenue à la source dissuasive de 30 % sur leurs flux financiers. Cette évolution a poussé plusieurs pays européens – et pas seulement la Suisse –, puis les pays du G20 à réfléchir à l’échange automatique des informations fiscales et à se mobiliser en sa faveur.
L’accord multilatéral du 29 octobre 2014 met en œuvre cette nouvelle norme mondiale. La France a incontestablement fait son travail, monsieur le secrétaire d’État, et d’autres pays nous ont rejoints en Europe. On peut donc espérer du dispositif qu’il soit, à brève échéance, d’une réelle efficacité, puisque quatre-vingt-quatorze États se sont engagés à signer l’accord multilatéral et soixante et un l’ont déjà signé, en vue d’une application dès 2016.
Pour opérer cet échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, les établissements bancaires devront mettre en œuvre une série de « diligences raisonnables » – l’expression est un peu vague, et il faudra certainement s’attacher à être plus concret à l’avenir, mais c’est un premier pas – afin d’identifier les comptes des non-résidents. Ils devront commencer à collecter les renseignements financiers à partir du 1er janvier 2016, avec, naturellement, une prolongation dans l’année 2017.
Selon la nouvelle norme commune, les renseignements qui devront être transmis comprennent l’identité du contribuable – si elle est connue -, son numéro fiscal, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers que ce compte produit. Ce standard mondial est d’après moi important, car il devrait faciliter une réelle transparence, utile à une interprétation incontestable des éléments transmis.
Conformément à la position de notre rapporteur Éric Doligé, dont nous tenons à saluer le travail opiniâtre et sérieux sur le sujet, le groupe Les Républicains votera le projet de loi. À mon avis, l’adoption de ce texte ouvrira une nouvelle ère, car ces dispositions sont à l’échelle du défi que pose la mondialisation. Celle-ci devra accepter, voire subir des évolutions en matière de régulation bancaire et fiscale. Nous connaissons tous les réserves du monde anglo-saxon dans ce domaine. Nous avons ici le premier acte fort, à l’échelle planétaire, marquant un début de mise en place d’une régulation tout à fait souhaitable.
Ce projet de loi va aussi au-delà d’un simple accord politique multilatéral : aujourd'hui, qu’un citoyen puisse, sous toutes les latitudes, payer ses justes impôts, n’est-ce pas marquer le début d’un attachement à la citoyenneté, fût-elle celle d’un citoyen du monde ? Il faut donc attendre de cet accord, technique, des conséquences sur certains problèmes liés à la mondialisation fiscale et économique. Nous avons là un premier point d’appui sérieux !