Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au début de ce mois d’octobre, l’Assemblée nationale a de nouveau adopté, en deuxième lecture, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Donner à nos concitoyens de nouveaux droits, c’est une exigence, parce que les progrès de la science et de la médecine ont changé notre relation à la mort. Les situations de fin de vie deviennent plus longues et plus complexes. Des situations individuelles particulièrement difficiles et médiatisées interpellent régulièrement l’opinion.
Les attentes des Français ont évolué. La mission confiée au professeur Sicard, les débats régionaux et la conférence citoyenne organisés par le Comité consultatif national d’éthique ont permis à la société, à nos concitoyens, de s’exprimer le plus directement possible. Patients, professionnels de santé, représentants des grandes familles de pensée ou religieuses : chacun a pu faire valoir son point de vue, ses attentes, ses espoirs.
Quels ont été les enseignements de ces consultations ? D’abord, les soins palliatifs ne sont pas accessibles à tous, du moins pas dans les mêmes conditions ; ensuite, nos concitoyens ne connaissent pas suffisamment leurs droits ; enfin, une nouvelle étape est nécessaire pour mieux accompagner les personnes qui souffrent en fin de vie.
Le Président de la République a souhaité que le consensus le plus large possible soit trouvé pour avancer dans cette direction à travers une étape législative nouvelle. C’est le sens de la mission conduite par les députés Alain Claeys et Jean Leonetti et qui a abouti à l’élaboration du texte que vous examinez de nouveau aujourd’hui.
Cet examen intervient dans un contexte particulier : si l’Assemblée nationale s’est prononcée – par deux fois et à une très large majorité – en faveur de ce texte, votre assemblée l’a, pour sa part, rejeté à une très large majorité en première lecture. Pourquoi ? Parce que plusieurs de ses mesures fortes avaient été supprimées lors de son examen en séance publique. Le texte qui avait été soumis à votre vote final, amputé de ses ambitions d’origines, ne répondait plus aux attentes des sénateurs de la majorité gouvernementale, la majorité sénatoriale s’étant quant à elle divisée.
L’enseignement que nous pouvons en tirer, c’est que le texte tel qu’il a été rédigé correspondait bien à un point d’équilibre. Il n’y a aujourd’hui de majorité ni pour aller plus loin ni pour considérer qu’il faut en rester au droit actuel. La question qui est aujourd’hui posée est de savoir si le texte adopté par l’Assemblée nationale répond aux attentes de nos concitoyens et constitue une avancée réelle en ce sens. C’est là ma conviction, parce que ce texte contient des dispositions qui vont nous permettre de franchir une étape décisive.
Première avancée : la proposition de loi renforce l’accès aux soins palliatifs, aujourd’hui insuffisant.
C’est un fait : les Français ne sont pas égaux face à la mort. Les deux tiers d’entre eux qui meurent d’une maladie auraient besoin de soins palliatifs. Les unités de soins palliatifs se sont développées dans notre pays, le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans. Pourtant, une trop grande partie de nos concitoyens n’y ont pas accès ou en bénéficient trop tardivement. Derrière cette réalité se cache par ailleurs une grande injustice sociale et territoriale, qui n’est ni acceptable ni justifiable.
Le Président de la République a donc annoncé un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie. J’ai réuni le 24 juin dernier les membres de son comité de pilotage. Ce plan, qui s’adressera tant aux professionnels de santé qu’aux patients eux-mêmes, comportera quatre priorités : mieux informer les patients et leur permettre d’être au cœur des décisions qui les concernent ; accroître les compétences des différents acteurs, en confortant la formation des professionnels, en soutenant la recherche et en diffusant mieux les connaissances sur les soins palliatifs ; développer les prises en charge de proximité, notamment au domicile et dans les établissements sociaux ou médico-sociaux ; réduire les inégalités d’accès aux soins palliatifs.
Je présenterai très prochainement aux acteurs des soins palliatifs le détail de ce plan dans le cadre d’un déplacement auprès d’une structure particulièrement impliquée dans la prise en charge des soins palliatifs à domicile. Je précise à cet égard que, lorsque nous parlons de soins palliatifs, nous évoquons spontanément les établissements de santé. Or nous devons penser aussi à leur mise en œuvre à domicile et au sein des maisons de retraite.
Sans attendre la déclinaison de ce plan, j’ai souhaité que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 réserve une enveloppe de 40 millions d’euros supplémentaires pour renforcer le développement des soins palliatifs. Concrètement, dès 2016, au moins trente équipes mobiles et six unités de soins palliatifs seront créées grâce à ces fonds.
Cette proposition de loi consacre à toute personne malade un droit universel à accéder aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Les agences régionales de santé auront la charge de veiller à sa bonne application.
Cette mesure, cette perspective, cette démarche en faveur des soins palliatifs nous rassemble tous, vous rassemble sur toutes les travées, et elle répond à une attente forte de nos concitoyens. Il s’agit donc d’un point important de l’équilibre de cette proposition de loi.
Deuxième grande avancée : la possibilité donnée à nos concitoyens de faire valoir leurs droits.
Les Français ne sont pas suffisamment informés. Près de la moitié d’entre eux ignore que le patient peut demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. Seuls 2, 5 % – je dis bien 2, 5 % ! – de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées, alors même que l’existence de celles-ci pourrait, dans bien des cas, répondre à l’incertitude.
Cette réalité, pour frappante qu’elle soit, ne peut être un prétexte à l’inaction ou à la résignation. Elle nous invite, au contraire, à chercher des solutions nouvelles pour permettre à nos concitoyens d’exercer leur droit.
C’est la raison pour laquelle ce texte prévoit de renforcer l’information sur les directives anticipées. Un modèle type de directive anticipée sera élaboré sous l’égide de la Haute Autorité de santé. Un registre national automatisé sera créé, qui permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit et donnera aux médecins une visibilité immédiate sur ces directives. Je ne m’étendrai pas sur ce point : nous avons eu l’occasion d’en débattre en première lecture, et nous y reviendrons sans doute au cours de cette discussion. La rédaction de directives anticipées, ainsi que la proposition d’un modèle type, est tout sauf simple et exigera une réflexion très compliquée, en vue de faciliter la décision de nos concitoyens.
Pour inciter nos concitoyens à s’emparer de ce droit, de leur droit, encore faut-il les convaincre de son effectivité. Là encore, le texte que vous examinez permettra d’avancer. Les directives anticipées sont ainsi rendues contraignantes pour les professionnels de santé, et leur durée de validité est supprimée. C’est une avancée majeure, parce que ces directives ne constituent aujourd’hui que l’un des éléments de la décision du médecin. Désormais, c’est la volonté du patient qui sera déterminante pour définir l’issue de sa vie. Rester maître de sa vie jusqu’au moment où on la quitte, voilà l’enjeu de dignité auquel s’attache la proposition de loi !
Enfin, ce texte prévoit de franchir une étape supplémentaire en direction de l’autonomie des Français.
Depuis 2005, date de l’adoption définitive de la loi Leonetti, la société a évolué et, avec elle, nos attentes et notre rapport à la fin de vie. L’encadrement de l’arrêt des traitements a constitué un progrès indéniable pour la dignité des malades, mais il reste insuffisant. Les patients et leurs familles nous le disent : ils ont le sentiment de ne pas être suffisamment entendus, parce que, en l’état actuel du droit, c’est au seul médecin que revient la décision d’interrompre ou de ne pas débuter les traitements. Dans le même temps, nombre de professionnels m’ont dit, sur le terrain, être trop souvent désemparés face à des situations qui les laissent dans la solitude de leur seule conscience.
Là aussi, les Français attendent que nous franchissions une étape nouvelle, en démédicalisant la fin de vie. C’est ce qu’ont proposé les auteurs de ce texte, en précisant les modalités d’interruption des traitements, en clarifiant la notion d’« obstination déraisonnable » et en instaurant un droit à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme.
La présente proposition de loi, lors de son examen par votre commission des affaires sociales, s’est éloignée des équilibres qui avaient été trouvés sur ces dispositions. La rédaction de l’article 2, telle qu’elle résulte des derniers travaux de votre commission, est en recul non seulement par rapport à la position de l’Assemblée nationale, mais aussi par rapport à la loi Leonetti de 2005 telle qu’elle a été interprétée par le Conseil d’État.
La définition de l’obstination déraisonnable se trouve ainsi restreinte à deux critères, au lieu de trois : la disproportion des traitements et le maintien artificiel de la vie. Le troisième critère, celui de l’« inutilité » est quant à lui supprimé. Cette nouvelle rédaction constitue une régression des droits des patients par rapport à la loi Leonetti de 2005. Concrètement, cela signifie que des patients en fin de vie continueraient de recevoir des traitements que les médecins eux-mêmes considéreraient comme inutiles.
La nouvelle rédaction de l’article 2 indique par ailleurs, contrairement au choix de votre commission en première lecture, que l’hydratation artificielle est un soin qui peut être maintenu jusqu’à la fin de la vie. Cette nouvelle rédaction, contraire à l’esprit même de la proposition de loi, qui est de placer la volonté du patient au cœur de la décision, conduirait à maintenir en vie des patients que l’on cesserait d’alimenter mais que l’on continuerait d’hydrater, et par là même à prolonger leurs souffrances.
Pour ces raisons, je vous proposerai un amendement visant à conserver les acquis de la loi Leonetti de 2005 sur la définition de l’obstination déraisonnable, à rétablir les avancées de ce texte sur la volonté du patient et à rappeler expressément que l’hydratation et l’alimentation artificielles sont des traitements susceptibles, comme tout autre traitement, d’être arrêtés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il vous revient aujourd’hui d’examiner un texte important, un texte attendu, un texte de progrès pour les patients, un texte d’humanité, qui constitue un point d’équilibre. Il s’agit d’offrir aux Français le droit et les moyens de mourir aussi dignement qu’ils auront vécu. J’espère que nous parviendrons à nous retrouver, aujourd’hui ou dans la suite de la procédure parlementaire, pour répondre à cet enjeu.