Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois réunis pour débattre d’un texte relatif à la fin de vie, ou du moins, et plus précisément, d’une proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
J’ai eu, ici même et à maintes reprises, l’occasion de m’expliquer et d’exposer ma position sur cette question. Reconnaissons-le, ce sujet reste polémique. Cela étant, nous devons avant tout respecter la dignité du patient et trouver des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations qui restent exceptionnelles et parfois dramatiques.
Rares sont les thèmes qui cristallisent les passions, les débats ou encore les antagonismes, tant il est clair qu’ils ne relèvent pas seulement de la raison. La fin de vie en est incontestablement un, puisqu’elle touche à l’essence même de nos interrogations existentielles.
La proposition de loi dont nous allons débattre n’est certes pas le premier des textes consacrés à cette question. Nous, législateur, en avons déjà voté plusieurs depuis une quinzaine d’années. Permettez-moi d’en rappeler les principaux.
En 1999, une première loi visait « à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs ».
En 2002, a été votée la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Le patient, y compris celui en fin de vie, s’est vu reconnaître des droits et une autonomie qu’il n’avait pas jusqu’alors. Il est devenu maître de sa santé.
Enfin, en 2005, la loi dite « Leonetti » a considérablement renforcé l’accès aux soins palliatifs, en consacrant la possibilité d’une limitation ou d’un arrêt des traitements. Ce texte a en outre créé les directives anticipées, toutefois non contraignantes pour le corps médical.
Confrontés à la réalité sans cesse changeante de notre système de santé, au vieillissement de la population, ainsi qu’à l’exigence de plus en plus forte de notre société en matière de démocratie en santé, ces différents textes législatifs ont probablement besoin d’être complétés, au vu, notamment, du développement de pratiques alternatives profondément inégalitaires et dangereuses.
L’ambition de la proposition de loi peut paraître réelle, car le débat pose publiquement les problèmes rencontrés en fin de vie, surtout depuis que les progrès techniques de la médecine permettent de maintenir en vie des personnes qui, autrefois, seraient décédées.
Ces interventions ne créent pas toujours les conditions de vie souhaitées par les patients et leurs proches, et la peur des fins de vie prolongées et dénuées de toute autonomie conduit à un questionnement sur les limites éventuelles des interventions.
Cette ambition n’est donc pas seulement médicale, en instituant la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; elle n’est pas uniquement démocratique et humaniste, en permettant à tout un chacun de rédiger des directives anticipées, qui s’imposent cette fois aux professionnels de santé ; elle est aussi philosophique.
Cette proposition de loi veut changer la fin de vie. Elle a pour credo de permettre au malade de connaître une fin de vie digne et apaisée. Notre travail de terrain, mes chers collègues, montre qu’une loi ne change pas du jour au lendemain des attitudes et des habitudes bien ancrées. Les observations recueillies et les entretiens menés avec les professionnels ont confirmé la difficulté qu’éprouvent les médecins à arrêter un traitement et à affronter l’idée de ne plus pouvoir guérir un patient ou éviter sa mort. Ils sont nombreux à ressentir ces situations comme un échec.
Alors que la majorité des médecins souhaite le soutien des équipes mobiles de soins palliatifs quand ces questions surviennent, plusieurs d’entre eux témoignent des problèmes qu’ils rencontrent quand il faut intégrer une équipe extérieure dans leur travail.
De même, les médecins se montrent encore très préoccupés par la souffrance physique et psychologique d’un patient qui se trouve en fin de vie.
Les entretiens menés avec eux suggèrent que la perception, par les médecins, de cette souffrance comme insupportable relève de leur propre malaise face à la mort et à l’inefficacité de leurs thérapeutiques. Cependant, nous avons souvent constaté que leur souhait de soulager la douleur du patient est inhibé par la crainte d’employer des doses antalgiques trop fortes, qui pourraient produire comme effet secondaire une dépression respiratoire, souvent considérée comme une euthanasie.
Dans d’autres cas, le désir de soulager est parfois si fort que certains médecins, qui restent très minoritaires, se disent même favorables parfois, sous certaines conditions, à une euthanasie afin d’atteindre ce but.
Je rappelle que le droit fondamental au respect de la dignité est censé protéger la liberté de l’individu contre l’intervention indue de l’État.
Dans la continuité d’un parcours de santé qui s’étendra sur tous les lieux de vie et à tous les âges, la fin de vie ne doit pas être délaissée au profit des autres étapes de l’existence. Elle doit répondre aux mêmes exigences, tant sur le plan de l’accompagnement médical que sur celui du droit des usagers, voire à d’autres encore, puisque les souffrances liées à la fin de vie se révèlent souvent intolérables pour le malade et, par voie de conséquence, pour ses proches. En aucun cas, elle ne doit être ce royaume où, une fois la frontière passée, les rôles se trouvent subitement inversés, où l’on décide pour les usagers et où des soins sont prodigués en l’absence de tout consentement.
À défaut de « bien mourir », sera-t-il un jour possible de ne plus « mal mourir » ? C’est en tout cas, me semble-t-il, l’ambition de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Cette conception du « bien mourir » semble donc s’imposer dans les normes d’un acte de soin abolissant toute exigence, sinon l’instauration du cérémonial apaisé d’un dispositif sédatif.
Il est désormais évident que, à défaut de créer de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, cette nouvelle législation de la « mort sous sédation », dont nous allons débattre, ajoutera à nos vulnérabilités des souffrances, des indignités et des deuils insurmontables. Ainsi, comme le soulignait le professeur Hirsch, « se refondent aujourd’hui […] les valeurs compassionnelles de notre démocratie. Une démocratie ainsi elle-même sédatée ». Permettez-moi de reprendre à mon compte ces derniers mots.