Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 25 janvier 2011, au cours d’une longue nuit, nous avons débattu d’un texte sur la fin de vie assez voisin de celui que nous examinons aujourd’hui. De cette séance, je garde un souvenir douloureux en me remémorant les interventions de Guy Fischer et Jean-Louis Lorrain – animés de convictions, certes, contraires –, deux collègues que le même mal devait emporter quelque temps plus tard.
Était-il nécessaire de rouvrir ce dossier, qui suscitera toujours des positions antagonistes très marquées, mais aussi respectables – et nous devons les respecter ! – les unes que les autres ? Chacun de nous peut et doit avoir ses propres convictions, fondées sur son vécu, ses croyances ou son approche philosophique. Les uns souhaitent un droit à la liberté de l’individu, exigeant de la société qu’elle lui fournisse les moyens de l’exercer ; c’est l’un des enjeux de ce texte. Les autres s’appuient sur les valeurs de la société, le devoir de ne point nuire et d’assurer la protection des personnes les plus fragiles ou en situation de faiblesse.
La commission des affaires sociales souligne d’ailleurs l’ambiguïté du titre de la proposition de loi et propose de supprimer les mots : « en faveur des malades ». C’est heureux ! En revanche, elle ne précise pas ce qu’est le « court terme ». Qui va le définir ? Que faire du patient qui considère que sa souffrance physique ou morale le conduit à vouloir en finir ?
Mais, au-delà de cette ambiguïté, chacun a bien compris que nous sommes de fait face à deux courants de pensée difficilement conciliables. On peut travailler le sens des mots ou trouver des périphrases ambiguës dont l’interprétation plongera les équipes soignantes et les patients dans le doute, sinon dans l’angoisse. En effet, certains patients hésiteront peut-être à faire part de leur souffrance, de peur de voir un protocole terminal mis en place à leur insu. Entre le souhait de tout individu normalement constitué d’éviter toute souffrance à cet instant de la vie et le risque d’une fin provoquée, l’inquiétude naîtra.
La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, ou SFAP, par la voix de son président, Charles Joussellin, rappelle l’avis de son comité scientifique, qui approuve le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, dans sa réserve sur la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. En revanche, sur le caractère contraignant des directives anticipées, il ne soutient pas l’évolution d’une loi vers un droit à la sédation du patient en fin de vie. M. Charles Joussellin le rappelle : « Pour faire société, les individus s’inscrivent dans un ensemble de valeurs et de croyances qui permettent à l’humanisation de s’instituer autour de lois dont la première est l’interdiction de tuer. » Fallait-il de nouveau légiférer ?
Ces derniers jours, la discussion en commission a conduit à une prise de position qui ne manque pas de m’interpeller. Au nom d’un compromis, ai-je à renoncer à mes convictions profondes et au serment que j’ai prononcé en son temps ? Comment accepter une périphrase dont le sens profond est évident pour tous : la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » ?
J’ai relu Marie de Hennezel, Axel Kahn, Jean-Luc Romero, Louis Puybasset, Léon Schwartzenberg, Jankélévitch, monseigneur d’Ornellas et d’autres. J’ai lu les derniers écrits de Damien Le Guay dans son appel à ce que ce texte soit amendé pour qu’il n’apparaisse pas comme une nouvelle étape vers l’euthanasie. En 2006, Anne Richard taxait l’euthanasie de « combat d’arrière-garde », tant la loi de 2005 semblait donner ce droit à ne pas souffrir dans l’ultime combat du malade contre la mort.
J’ai parcouru le compte rendu des débats à l’Assemblée nationale, notamment la longue discussion de cet amendement déposé par 137 députés qui a finalement été rejeté. Madame la ministre, j’ai lu votre analyse considérant que cette loi était une avancée, mais aussi une étape. Une étape vers quoi ? Il apparaît dans vos propos que, la société française n’étant pas tout à fait mûre, il ne faut pas aller plus loin pour l’instant…
Pour certains, il fallait avant tout lever cette emprise insupportable de l’équipe soignante et du médecin sur la personne. Pourtant, la loi en vigueur, dans son esprit et dans sa lettre, répond à l’immense majorité, pour ne pas dire à la totalité des cas douloureux de fin de vie ; il suffirait de l’appliquer. C’est ce que souligne le professeur Puybasset. D’ailleurs, Axel Kahn le confirme : « Si la loi Leonetti était bien connue et bien appliquée, l’euthanasie transgressive n’aurait pas lieu d’être pratiquée. »
Ce texte voté en l’état suscitera plusieurs interrogations. Dans un essai récent, le professeur Laurent Degos les pose d’une manière assez directe, et je reprends ses termes : « Le Président de la République a souhaité en janvier dernier “une assistance médicalisée pour terminer sa vie en dignité”. Que signifie “assistance médicalisée” de la mort » ? Il soulève aussi d’autres interrogations. La sédation profonde est-elle une euthanasie passive ou un soulagement du patient ? À partir de quand l’acharnement thérapeutique devient-il une obstination déraisonnable ? Est-ce par compassion que l’on va donner la mort ? Quelle vision a-t-on du professionnel de santé qui soigne et qui apporte par ailleurs la mort ? Les termes sont crus ; ils nous interpellent. Mais ce sont bien ces questions auxquelles nous devons nous répondre aujourd'hui !
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, Emmanuel Hirsch, que vous avez cité, évoque une « obstination politique déraisonnable ». Je me permets de reprendre les propos que vous avez tenus voilà quatre ans : « L’évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les valeurs communes qui sont au fondement d’une société et soutiennent ses institutions. […] J’estime, en conclusion, qu’il n’est pas opportun de voter une nouvelle loi ».
Vous comprendrez que je ne voterai pas ce texte. Je remercie le président du RDSE de m’avoir permis de m’exprimer, sachant que les collègues de mon groupe, vous vous en doutez, sont loin d’acquiescer à ma position.