Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, tout ayant déjà été longuement dit sur l’action de groupe et à l’organisation judiciaire dans le cadre de l’examen de ce projet de loi et de ce projet de loi organique, je m’exprimerai aujourd’hui en qualité de rapporteur des projets de loi ratifiant les ordonnances du 12 mars 2014 et du 26 septembre 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.
Le droit des entreprises en difficulté est une matière austère et technique, mais fondamentale pour notre économie.
Un droit des entreprises en difficulté efficace, ce sont des entreprises et des emplois sauvés.
Je souhaite ici, devant vous tous, rendre hommage à notre ancien collègue Jean Jacques Hyest.
Il a été l’auteur de plusieurs rapports sur le sujet et rapporteur de plusieurs textes au Sénat depuis le début des années deux mille, en particulier la loi du 26 juillet 2005, qui a créé la procédure de sauvegarde à côté du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire.
Notre ancien collègue a aussi été, plus récemment, à l’origine de la création de la sauvegarde financière accélérée, la SFA, en 2010.
Jean-Jacques Hyest avait commencé les travaux en qualité de rapporteur sur ces projets de loi de ratification des deux ordonnances de 2014 et, après sa nomination au Conseil constitutionnel, il m’est revenu l’honneur de lui succéder, avec modestie et humilité. Ce sont donc la plupart de ses conclusions et de ses propositions que j’ai préconisées à la commission des lois.
Je ne m’étendrai pas sur les évolutions récentes de cette branche du droit des entreprises et sur ses grands principes, que les ordonnances ne remettent pas en cause.
Je soulignerai toutefois qu’alors que, dans ce domaine, il y avait autrefois une grande loi par décennie, nous constatons une accélération des réformes depuis 2005, sans doute en raison du contexte de crise économique.
Qu’apportent ces deux ordonnances ?
Elles se situent dans le prolongement des réformes précédentes, depuis la grande réforme conduite par Robert Badinter en 1984 et 1985, qui avait posé de nouveaux et bons principes.
Ainsi, ces ordonnances visent à rendre les procédures de prévention plus attractives pour les entreprises, notamment la conciliation, pour inciter bien sûr les entreprises à solliciter le tribunal le plus tôt possible en cas de difficulté économique, de préférence aux procédures curatives que sont les procédures collectives : sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires.
Ces ordonnances développent les ponts entre prévention et procédures collectives, dans la continuité de la sauvegarde financière accélérée.
Elles améliorent le fonctionnement des procédures judiciaires, comme toute réforme, pour la sauvegarde, le redressement et la liquidation.
Elles rééquilibrent les procédures en faveur des créanciers, en les incitant à trouver un accord avec le débiteur en conciliation et en leur ouvrant la possibilité de présenter un plan alternatif en sauvegarde ou en redressement judiciaire.
Elles renforcent le rôle du parquet, garant de l’ordre public économique, pour contrôler le bon déroulement des procédures et les droits de toutes les personnes intéressées.
Enfin, elles tendent à mieux garantir l’impartialité du tribunal et tirent les conséquences de certaines questions prioritaires de constitutionnalité dans ce domaine.
Deux nouvelles procédures sont créées : la sauvegarde accélérée, qui systématise les principes de la SFA, et le rétablissement professionnel, procédure simplifiée destinée aux petits entrepreneurs sans salarié ni actif, sans tous les effets de la liquidation judiciaire, pour permettre plus facilement le « rebond » en cas de difficulté économique.
Les ordonnances apportent également de nombreuses modifications ponctuelles, pour préciser, clarifier ou corriger certaines dispositions.
D’un point de vue statistique, sur 69 000 procédures ouvertes en 2013 au titre du livre VI du code de commerce, on compte 2 500 mandats ad hoc et conciliations, 1 500 sauvegardes, 16 000 redressements judiciaires et presque 40 000 liquidations judiciaires.
La réalité de ces procédures, c’est donc d’abord la liquidation.
Pour autant, le volume d’emplois n’est pas réparti de la même manière et de nombreux emplois sont sauvés grâce à ces procédures, en particulier en prévention et en sauvegarde.
La plupart des liquidations sont sans salarié, ce qui justifie la nouvelle procédure de rétablissement professionnel, encore très peu utilisée, sans doute en raison d’incompréhensions sur ses conditions d’ouverture. C’est d’ailleurs l’objet d’un des amendements que j’ai présentés et que la commission des lois a adoptés et intégrés dans le texte qu’elle soumet aujourd'hui à l’examen du Sénat.
Ces dernières années, le droit des entreprises en difficulté tend de plus en plus à devenir une « boîte à outils », pour gérer au cas par cas des dossiers de grandes entreprises. Je ne suis pas sûr que cette évolution soit toujours souhaitable, même s’il faut évidemment concilier approche économique et approche juridique en la matière. Il en résulte, en effet, une complexité croissante, en particulier pour les petites entreprises, qui hésitent déjà beaucoup à s’adresser au tribunal et que la complexité rebute beaucoup, même si elle ne les concerne pas directement.
Je n’entre pas davantage dans le détail des ordonnances ; je vous renvoie au rapport que j’ai présenté sur les projets de loi de ratification il y a quinze jours, où elles sont exposées de façon précise et complète.
En dehors de dispositions ponctuelles, qui ont été intégrées au présent texte par l’amendement que j’ai proposé la semaine dernière, ces ordonnances ont été largement approuvées par les acteurs concernés et ont été mises en œuvre de façon apparemment satisfaisante dans les tribunaux de commerce, depuis juillet 2014.
Pour mémoire, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances d’août 2015 a apporté sa contribution à la réforme du droit des entreprises en difficulté, avec le mécanisme de « cession forcée » que le Gouvernement n’avait pas osé instaurer dans les ordonnances, et avec le regroupement devant le même tribunal des procédures concernant les sociétés d’un même groupe : cette initiative de François Pillet, que je salue, est à porter au crédit du Sénat ; elle est attendue depuis longtemps par les praticiens.
C’est une démarche vertueuse, voulue par la commission des lois, que d’examiner le contenu d’ordonnances importantes, en vue de les ratifier de façon éclairée, avec recul et analyse critique.
Il s’agit de réaliser sur les dispositions de ces ordonnances un travail d’analyse approfondi, comme sur un projet de loi, en tenant compte évidemment du fait que les ordonnances sont en vigueur.
Puisque nous avons accepté de déléguer notre pouvoir législatif dans cette matière, par la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, sur le rapport de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, il nous appartient de contrôler l’usage fait de cette délégation.
Je rappelle que ces deux ordonnances comportent au total 131 articles ; ce n’est donc pas au moment où nous devrons procéder aux ratifications que nous pourrons faire ce travail de fond.
La même question se posera sans doute, madame la ministre, pour l’ordonnance réformant le droit des contrats et des obligations, à laquelle le Sénat était résolument opposé...
Au terme des travaux conduits de concert avec Jean-Jacques Hyest, j’ai soumis il y a quinze jours à l’approbation de la commission des lois 25 amendements, qu’il a directement inspirés afin de compléter les deux projets de loi de ratification et que la commission a adoptés.
Ces amendements concernaient soit des dispositions issues des ordonnances, pour la plupart, soit des dispositions directement connexes, dans certains cas.
Ces 25 amendements ont été réunis en un seul amendement, adopté par la commission des lois la semaine dernière, qui a été intégré à l’article 50 de ce projet de loi. Cet article modifie des dispositions issues de ces ordonnances ou des dispositions connexes, tout en prévoyant la ratification expresse de ces deux ordonnances, conformément à l’article 38 de la Constitution.
Je terminerai en citant les principales modifications intégrées au texte de la commission par cet amendement.
Il s’agit d’abord de la clarification de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes.
Il s’agit également de la suppression de la déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers de l’entrepreneur individuel autres que sa résidence principale, par cohérence avec l’insaisissabilité de droit de cette dernière, dans le cadre des procédures collectives.
Ont aussi été intégrées la clarification des règles d’information du comité d’entreprise en cas de mandat ad hoc ou de conciliation, une meilleure information du parquet pour lui permettre de contrôler la conciliation et une meilleure information du tribunal par le conciliateur en cas de prepack cession, c'est-à-dire la cession de l’entreprise préparée en conciliation.
Ces modifications concernent également la suppression du mécanisme de déclaration des créances par le débiteur pour le compte des créanciers, au profit d’une information par le mandataire des créanciers dont la liste lui a été communiquée par le débiteur.
Elles ont trait ensuite à la réduction de dix à cinq ans de la durée maximale du plan de sauvegarde.
Il faut par ailleurs souligner la clarification des conditions d’ouverture du rétablissement professionnel, notamment par la suppression de la demande simultanée de liquidation judiciaire et par le maintien du basculement possible en liquidation, à la demande du parquet, en cas de mauvaise foi.
Je citerai encore le renforcement des garanties d’impartialité du tribunal, par l’instauration d’incompatibilités complémentaires et la suppression de la mention du jugement de liquidation judiciaire au casier judiciaire
Enfin, il faut mentionner diverses simplifications, clarifications, harmonisations ou améliorations procédurales des procédures collectives, les précisions apportées au livre VI du code de commerce par l’article 50 du projet de loi étant conservées.