Après en avoir délibéré, la commission des lois a estimé que la réforme que vous proposez ne fonctionnerait pas. C’est bien dans un esprit constructif, animés par le souhait de déboucher sur une réforme pragmatique, que nous vous proposons un autre projet.
Nous avons tout d’abord considéré qu’il était indispensable que le juge des libertés et de la détention demeure un magistrat expérimenté. Devant, dans la plupart des cas, statuer dans l’urgence et sur des dossiers complexes, le juge des libertés et de la détention doit en effet avoir une grande expérience, d’autant plus que, face à des pressions multiples – de la part des services enquêteurs de police ou de gendarmerie, du parquet ou des avocats –, ce n’est pas une nomination par décret après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature qui fera son indépendance, mais bien sa connaissance de la mécanique judiciaire.
Ensuite, les conditions d’exercice de cette fonction la rendent peu attractive aux yeux des magistrats. Et la spécialisation n’aura aucun effet ; la mission restera « subie ».
Il est à craindre – vous avez d’ailleurs prévu cette éventualité, madame la garde des sceaux – qu’il ne faille désigner d’office de jeunes auditeurs sortis de l’ENM et peu préparés à une telle fonction pour pourvoir les plus de 200 postes de JLD en France ou que les candidatures proposées soient motivées non pas par un intérêt professionnel, mais par des préoccupations géographiques.
En outre, et c’est un élément important, la nomination par décret pourra également se retourner contre le bon fonctionnement de la justice. Le magistrat, juge des libertés fondamentales, ne pourra jamais statuer en collégialité, hormis dans les très grands TGI dotés de plusieurs JLD. C’est donc un argument supplémentaire en faveur du choix d’un professionnel expérimenté et totalement indépendant !
Par ailleurs, un président de TGI n’aurait aucun recours face à un JLD qui exercerait ses fonctions de manière insatisfaisante et dont la pratique et la jurisprudence seraient décriées par l’ensemble des intervenants auprès du tribunal, à commencer par ses collègues.
Nous avons donc estimé que le système proposé présentait de nombreuses rigidités et qu’il serait difficilement applicable.
Notre solution a le mérite, tout en répondant à vos objectifs, d’accroître les garanties dont disposent les JLD sans soulever les inconvénients que je viens d’énumérer. Nous ne prônons donc nullement le statu quo.
Premièrement, le JLD resterait un magistrat du premier grade exerçant les fonctions de président, de premier vice-président ou de vice-président du TGI. Cette exigence serait désormais posée dans l’ordonnance statutaire.
Deuxièmement, sa nomination interviendrait après avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège ; c’est une nouveauté. Cette solution avait d’ailleurs été esquissée dans l’étude d’impact du projet de loi, sans être retenue. Nous avons considéré qu’il s’agirait là d’une bonne méthode, alliant accroissement des garanties d’indépendance, protection contre la révocation arbitraire et souplesse. Là encore, cette disposition figurerait dans l’ordonnance statutaire.
Troisièmement, les cas dans lesquels le JLD pourrait être suppléé seraient limitativement énumérés dans l’ordonnance de 1958, mais la définition des modalités de mise en œuvre de cette suppléance serait renvoyée à la loi ordinaire.
En d’autres termes, madame la garde des sceaux, la commission des lois, loin d’écarter totalement vos préoccupations, a seulement jugé que l’objectif ne serait pas atteint avec le texte présenté. Nous proposons un autre dispositif, mais nous ne voulons pas transiger sur le fait que le JLD doit être du premier grade.