Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 4 novembre 2015 à 14h30
Justice du xxie siècle — Article 1er

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Les auteurs de ces deux amendements expriment une préoccupation identique à celle qu’a manifestée tout à l’heure M. le président Mézard à travers son amendement visant à ce que les plus démunis puissent effectivement bénéficier de l’aide juridictionnelle. C’est aussi notre préoccupation.

Ces deux amendements ont en commun de faire référence aux personnes en situation de grande précarité. Quelle définition en donner ? Voilà la difficulté ! Pour qu’une loi soit appliquée, il faut qu’elle soit rédigée précisément.

Une personne peut être considérée en situation de grande précarité lorsque, totalement dépourvue de revenus et d’hébergement, elle se trouve complètement marginalisée au sein de la société. Elle est alors éligible à l’aide juridictionnelle, puisque le plafond de ressources pour accéder à la totalité de cette aide a été relevé à 1 000 euros. Par conséquent, toute personne dont le niveau de ressources est inférieur à 1 000 euros peut bénéficier de l’aide juridictionnelle.

Le problème de la grande précarité n’est pas tant le niveau de ressources que le fait de vivre aux marges de la société, d’être exclu des circuits traditionnels, de ne pouvoir être pris en charge, effectuer les démarches nécessaires, fournir des papiers afin d’obtenir l’aide juridictionnelle.

De mon point de vue, cette question ne relève pas d’un engagement purement formel – cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas d’importance –, car les dispositions législatives visent à traduire en termes juridiques les engagements formels, politiques que nous prenons, que vous prenez. Or les personnes en grande précarité que vous visez se trouvent confrontées à des difficultés, car elles sont, de droit, éligibles à l’aide juridictionnelle, tout en se trouvant dans une situation telle qu’elles ne peuvent y prétendre.

Il ne s’agit donc pas ici de la norme législative, juridique à tout le moins, pour l’octroi de l’aide juridictionnelle. Il est davantage question des politiques publiques pour la prise en charge de ces personnes, la détection des besoins juridiques de celles-ci et la mise en place d’un accompagnement efficace.

Le service d’accueil unique du justiciable devrait normalement faciliter les choses, mais je ne prétends pas qu’il apporte beaucoup de solutions, car ce dispositif suppose, pour être efficace, que les personnes visées connaissent son existence, qu’elles aient les codes culturels permettant de s’adresser à un tel service d’accueil et qu’elles effectuent les démarches requises.

Pour conclure, votre assemblée est très familière de ces débats traitant de la grande précarité et de la difficulté d’établir des critères objectifs. À partir du moment où quelqu’un réclame l’application de la loi, nous devons lui donner des réponses précises sur le seuil à partir duquel il peut obtenir l’aide prévue. C’est l’une des grandes difficultés que nous avons résolues, en réglant le problème de la référence à la précarité lors de l’examen du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement ou de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.

Il faut bien garder à l’esprit que ces personnes relèvent déjà de l’aide juridictionnelle et qu’elles sont prioritaires dans la mesure où, une fois la priorité très clairement établie, l’aide juridictionnelle est attribuée à 100 % à toute personne dont le niveau de ressources est inférieur à 1 000 euros.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable, en manifestant bien entendu mon plein accord avec la préoccupation exprimée.

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