Avec l’article 8, nous avons voulu poser le principe de la fusion des juridictions sociales dans un objectif de regroupement des contentieux, de rationalisation et de meilleure organisation. À l’article 52, au sein du titre VII, nous demandons l’autorisation à prendre par ordonnance les mesures de nature législative.
Je vais vous expliquer, mesdames, messieurs les sénateurs, les raisons de notre demande, car, vous avez raison, elle soulève un certain nombre de questions bien réelles, qui ont été déclinées par Mmes Jourda et Assassi.
Nous demandons cette habilitation, parce que ces questions bien réelles appellent des réponses précises afin de nous permettre de gagner en efficacité et en accessibilité. Où en sommes-nous ? À ce stade, nous attendons encore les résultats d’une double inspection que nous avons commandée : celle de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et celle de l’Inspection générale des services judiciaires, l’IGSJ.
Cela fait un an que nous travaillons sur ces dispositions. Je peux vous dire que nous rencontrons de très grandes difficultés de conciliation avec le ministère de la santé et des affaires sociales, difficultés qui sont liées non pas à des divergences entre ministères, mais à la complexité de la répartition du contentieux social. Certaines juridictions relèvent du ministère de la justice, d’autres du ministère de la santé et des affaires sociales, d’autres encore du ministère du travail.
En d’autres temps, cette complexité des juridictions sociales avait été qualifiée de « maquis ». Elle a forcément engendré des situations, des tutelles et des responsabilités différentes, de même que des règles procédurales et des modes d’organisation variés. C’est ce que nous voulons réorganiser avec une grande ardeur, parce que nous savons que les justiciables concernés par ces contentieux sont particulièrement vulnérables. Il s’agit de personnes malades, indigentes ou frappées de handicap.
Les contentieux en question portent souvent sur de petites sommes. Or le délai moyen auprès d’un tribunal des affaires de sécurité sociale, par exemple, est de dix-neuf mois et de douze mois auprès d’un tribunal du contentieux de l’incapacité. Ces délais constituent une violence à l’égard de ces justiciables socialement ou psychologiquement vulnérables, fragiles. C'est la raison pour laquelle nous voulons véritablement agir, et bien agir, en proposant le principe d’une fusion. Je rappelle que nous ne parlons ici que de la première instance. Vous le savez, l’appel est regroupé à la CNITAAT, la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, à Amiens, où ces justiciables vulnérables doivent se rendre.
Nous avons évidemment déjà réfléchi aux questions que vous avez posées, mais, pour ma part, j’estime que nous n’avons pas d’éléments suffisants pour trancher. Nous recevrons le rapport de la double inspection à la mi-novembre.
La question de l’échevinage se pose assez peu. Quant à celle de la formation des assesseurs, nous l’avons réglée dans le projet de loi organique, qui est presque une loi – il est devenu ce qu’on appelle une « petite loi » –, puisque vous avez étendu les compétences de l’École nationale de la magistrature à la formation de personnes contribuant à l’activité de justice. Par conséquent, les assesseurs pourront y être formés.
J’en viens à la question des juridictions : la commission des lois propose la création d’une juridiction sociale en tant que telle, ce qui revient à modifier l’architecture judiciaire. Pour notre part, nous cherchons à faciliter à la fois l’accès et le traitement de ces contentieux, dont certains nécessitent d’ailleurs, du fait de leur complexité, la maîtrise d’une technicité juridique. C'est la raison pour laquelle nous proposons de les regrouper au sein du pôle social du tribunal de grande instance.
S’agissant des particularités procédurales de ces contentieux, elles doivent, selon nous, être maintenues et, éventuellement, améliorées. Il faudra répondre à la question de la non-représentation obligatoire par un avocat. Nous souhaitons disposer des résultats des inspections de l’IGAS et de l’IGSJ afin d’apporter les réponses les plus judicieuses à toutes ces questions, qui sont déterminantes.
Voilà pourquoi nous sollicitons cette habilitation à légiférer par ordonnance. Pour avoir été moi-même parlementaire, je connais et comprends votre réticence fondamentale, mesdames, messieurs les sénateurs, à accorder des habilitations. Dans certains cas, les conséquences ne sont pas extraordinaires : lorsqu’il s’agit, par exemple, d’adapter des textes, d’ajouter des dispositions, d’en clarifier, etc. Dans d’autres cas, comme ici, les conséquences sont relativement lourdes.
Je le répète, je comprends votre réticence. Mais tel que vous avez rédigé l’article, il me semble qu’il y a là une prise de risque un peu démesurée par rapport à des éléments de stocks, de flux, de jurisprudence que nous ne connaissons pas et sur lesquels nous n’aurons des informations qu’à partir de la mi-novembre. Les dispositions que vous avez adoptées en commission me semblent donc prématurées. C'est la raison pour laquelle je vous demande de rétablir l’article 8 tel que le Gouvernement l’avait rédigé et de maintenir l’habilitation prévue à l’article 52. Je prends devant vous l’engagement de fournir aux parlementaires le matériau le plus dense et le plus précis possible sur ce qui constituera le contenu des ordonnances, selon la méthode que j’ai toujours appliquée pour les précédentes lois d’habilitation.
Je rappelle, par ailleurs, que nous avons l’obligation de présenter un projet de loi d’habilitation. Il vous reviendra de fixer le délai dans lequel nous devrons déposer ce texte – ce délai peut être relativement court –, de façon à ce que le Gouvernement puisse revenir vers vous le plus tôt possible pour présenter les dispositions prises.