Certes, entre-temps, des tribunaux de grande instance ont été créés dans les villes nouvelles, notamment, ainsi que des cours d’appel. Mais la carte générale n’avait pas été modifiée, je le répète, de façon considérable.
D’une manière générale, le principe même de la réforme de la carte judiciaire avait été admis en 2008. Mais c’est la façon dont celle-ci a été mise en place qui a posé problème, créant de véritables déserts judiciaires.
À l’époque, j’avais pris connaissance des propositions formulées par les chefs de cour et de toutes les suggestions émises, qui n’avaient pas été prises en compte. De même, j’avais lu les conclusions du rapporteur public du Conseil d’État.
Lors de ma prise de fonctions au ministère de la justice, l’une de mes premières intentions a été de modifier la carte judiciaire, ce qui a suscité un tollé général. Les personnels des juridictions m’ont dit : « Surtout, ne nous proposez pas autre chose ! Ça suffit, on en a assez vu ! » J’ai moi-même été assez surprise par ces réactions. Je venais avec de bonnes intentions, persuadée que j’allais réparer des blessures, des injustices, des erreurs, et j’en passe. Mais on m’a répondu : « Non, ne touchez plus à la carte judiciaire ! » C’est une dimension psychologique que j’ai respectée.
Par la suite, j’ai essayé de faire du « cousu main ». J’ai confié mission à Serge Daël de se rendre dans des territoires particuliers, afin de pallier les déserts judiciaires les plus flagrants, en apportant la réponse la plus adaptée, c'est-à-dire, en cas de nécessité, réimplanter un tribunal de grande instance, créer une chambre détachée, renforcer une maison de justice et du droit.
Moi, je me suis soumise à cette dimension psychologique, parce que l’on ne peut ignorer la souffrance des personnes qui vous confient que leur vie a été bouleversée par un déménagement précipité et qu’elles ne veulent pas tout recommencer une nouvelle fois, même si la situation actuelle ne leur plaît pas. C’est pourquoi je vous demande aujourd'hui, monsieur le rapporteur, de tenir compte de cette dimension.
De toute façon, la création d’un tribunal de première instance ne sera pas un succès. En effet, si les personnels ne s’approprient pas cette réforme, celle-ci ne sera pas correctement mise en œuvre et ne produira pas tous ses effets en termes d’efficacité. Il n’est donc pas raisonnable de vouloir l’imposer.
Veuillez m’excuser, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir fait cette longue rétrospective, mais je tenais à rappeler que cette proposition de mutualisation des effectifs de greffe s’inscrivait dans un schéma cohérent de mise en place d’un tribunal de première instance. Toutefois, nous ne sommes plus dans ce schéma. Aussi, la mutualisation des effectifs de greffe ne constitue plus une étape du processus, c’est un dispositif à part entière, qui cumulera les inconvénients : un greffier, un fonctionnaire de catégorie C pourra à tout moment être déplacé d’une juridiction à l’autre. Cela ne sera pas sans conséquences.