Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 5 novembre 2015 à 10h30
Surveillance des communications électroniques internationales — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

J’estime donc que, de ce point de vue, cette proposition de loi repose sur une autre logique du renseignement et n’augmente en rien nos capacités dans le domaine de l’analyse. Au fond, ce texte permet aux services de renseignement d’espionner le reste du monde en s’affranchissant de pratiquement tout contrôle institutionnel et démocratique, avec une extrême latitude d’action.

C’est la raison pour laquelle, lors de l’examen de cette proposition de loi par le Sénat, nous avions déploré qu’aient été repoussés tous les amendements qui auraient permis d’encadrer quelque peu l’action de nos services, notamment ceux tendant à la suppression de l’utilisation d’algorithmes hors de la lutte antiterroriste ou au renforcement de la protection des parlementaires, avocats ou journalistes contre l’utilisation de certaines méthodes.

J’estime pour ma part que sont donnés à nos services de renseignement des pouvoirs trop étendus, disproportionnés par rapport aux missions qui leur incombent.

Ainsi, en confiant au Premier ministre le pouvoir d’autoriser des interceptions sur ce que l’on appelle des « systèmes » ou des « réseaux » entiers de communications, sans avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, ce texte prétend, à tort à mon avis, conférer une légitimité juridique à certaines pratiques de la direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE. Celle-ci pourrait, par exemple, contrôler sans entrave les flux de communications qui transitent par les câbles internet sous-marins longeant nos côtes.

En outre, soyons bien conscients que la détection par la méthode algorithmique de ce que l’on appelle « les signaux faibles » n’est déjà plus limitée au seul terrorisme, mais qu’elle s’étend aux « intérêts fondamentaux de la nation » tels qu’ils ont été définis dans la loi relative au renseignement. Ainsi, le champ d’exploitation des données collectées est quasiment illimité. Il peut viser des « groupes de personnes », des « organisations », ou bien encore des « zones géographiques ». Ce dispositif bénéficiera d’un régime dérogatoire qui diffère du régime applicable à la surveillance exercée sur le territoire national. Seules échapperont à cette « pêche au chalut » les communications entre deux numéros de téléphone, de carte SIM, ou d’adresse IP qui seraient rattachés au territoire national.

Je nuancerai cette appréciation en relevant que, fort heureusement, les communications qui engagent un résident français relèveront d’un régime de conservation et d’exploitation voisin de celui qui est applicable à la surveillance exercée en France. En revanche, pour toutes les autres communications, le contenu des échanges et les données de connexion seraient conservés beaucoup plus longtemps et ne subiraient qu’un contrôle a posteriori.

À l’heure où les méthodes de collecte de données individuelles des agences de renseignement américaines, en particulier celles de la fameuse NSA, ont fait l’objet de nombreuses critiques, j’ai le sentiment que, avec cette proposition de loi, nous nous acheminons, avec retard et sans disposer de moyens comparables, vers un système de même nature.

En matière de renseignement, tout particulièrement en matière de lutte contre le terrorisme, on ne peut reprocher à notre groupe de faire preuve d’angélisme. Nous sommes lucides, conscients des difficultés que rencontrent nos services pour être efficaces, et nous souhaitons réellement que ces derniers disposent des moyens qui leur sont nécessaires. Chacun sait ici que j’interviens souvent pour poser la question des moyens qui leur sont attribués, et je ne déroge pas à cette habitude aujourd’hui. Cependant, nous sommes en droit d’attendre d’un grand pays démocratique comme le nôtre et de ses élus qu’ils trouvent le bon équilibre entre le respect des libertés publiques et individuelles et les exigences de la sécurité nationale.

Pour justifier ce texte, qu’on ne vienne surtout pas nous dire que, dans la jungle où le renseignement international mène une lutte sans merci, il faudrait faire comme les autres et abandonner toute éthique ! Défendre notre démocratie et notre régime républicain en sacrifiant nos libertés constituerait, me semble-t-il, une victoire pour nos adversaires !

Pour cet ensemble de raisons, le groupe communiste, républicain et citoyen ne peut être favorable à cette proposition de loi.

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