Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 5 novembre 2015 à 14h30
Justice du xxie siècle — Articles additionnels après l'article 51

Christiane Taubira, garde des sceaux :

J’ai écouté M. Frassa avec la plus grande attention.

En substance, il propose peu ou prou d’aligner le statut des juristes d’entreprise sur celui des avocats en faisant bénéficier les premiers des mêmes règles de confidentialité, des mêmes garanties qui s’appliquent aux seconds.

Or les uns et les autres n’exercent ni la même profession ni ne font le même métier. C’est pourquoi je ne crois pas qu’il soit juste que les juristes d’entreprise disposent des mêmes prérogatives et jouissent des mêmes garanties que les avocats.

Ce sujet a été abordé lors de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Le projet de loi initial contenait d’ailleurs une disposition créant la fonction d’avocat en entreprise. J’ai souhaité, ce à quoi je suis parvenue, supprimer celle-ci, tout en prenant l’engagement d’y travailler.

Pourquoi ai-je voulu ce report ?

D’une part, cette création aurait eu pour premier effet de permettre d’un coup à 13 000 juristes d’entreprise d’accéder à la profession d’avocat. Celle-ci peinant déjà à absorber 2 000 nouveaux membres chaque année, nous aurions pris là un risque considérable.

D’autre part, être avocat en entreprise, ce n’est pas la même chose qu’être avocat judiciaire. Certes, la profession d’avocat est composite, car ses membres exercent des métiers très différents. Il n’en demeure pas moins qu’elle repose sur certains fondements : ainsi, tous les avocats prononcent le même serment et sont tenus par les mêmes règles déontologiques et éthiques ; en outre, ils jouissent de certaines prérogatives telles que le secret professionnel et l’absence totale de lien de subordination – c’est une profession libérale.

Aligner la profession de juriste d’entreprise ou d’avocat d’entreprise, qui s’exerce objectivement dans un rapport de subordination à un employeur, sur celle d’avocat, c’était à mon avis prendre le risque de modifier substantiellement l’identité même de la profession d’avocat et les règles essentielles structurant cette profession. Je n’ai pas souhaité courir ce risque.

Il n’en demeure pas moins que le travail pour définir un statut solide et crédible de la profession d’avocat d’entreprise – sans remettre en cause la profession d’avocat – se poursuit et devrait aboutir dans quelque temps. Nous avons estimé à environ cinq cents professionnels les besoins en la matière. Il faut régler la question du rapport de subordination, régler la question du secret de la correspondance, régler la question de l’interdiction de plaider.

On ne peut pas, pour permettre à cinq cents personnes d’exercer le métier d’avocat d’entreprise, prendre le risque de bouleverser toute une profession.

Telles sont les raisons pour lesquelles, monsieur le sénateur, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

Le travail de définition d’un statut satisfaisant pour cette profession avance et je vous invite à y contribuer, étant précisé que les travaux que vous avez d’ores et déjà menés nourriront notre réflexion.

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