Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Réunion du 9 novembre 2015 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2016 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la crise a conduit l’ensemble des pays européens à accroître leurs dépenses sociales dans une première phase, laissant le système de protection sociale jouer son rôle d’amortisseur, puis à organiser leur reflux.

La France ne fait pas exception à cette règle, avec trois singularités notables : notre pays était déjà, avant la crise, caractérisé par un niveau de dépenses élevé et par des déséquilibres structurels ; il a non seulement accompagné le mouvement d’augmentation des dépenses, mais l’a amplifié par des dépenses supplémentaires ; il a engagé beaucoup plus tardivement que ses partenaires, en 2015, un processus de maîtrise des dépenses.

C’est pourquoi les finances sociales restent un enjeu majeur de la crise des finances publiques que connaît notre pays, avec des dépenses très élevées, une dette préoccupante, une croissance toujours aussi atone et, surtout, un chômage massif.

Seul point positif à cette absence de reprise : le niveau toujours très bas des taux d’intérêt, qui modère le coût de notre endettement.

La tendance est à l’amélioration des comptes – c’est vrai, j’en donne acte au Gouvernement –, mais de façon limitée au regard de l’effort massif demandé depuis trois ans, en termes de prélèvements obligatoires, aux ménages et aux entreprises : en 2015, plusieurs milliards d’euros de recettes nouvelles, mais une réduction du déficit de seulement 400 millions d’euros.

En 2016, les administrations de sécurité sociale, les ASSO, retrouveraient l’équilibre, avec un excédent de 1, 3 milliard d’euros – pour 582, 6 milliards d’euros de dépenses –, contre un déficit de 6, 2 milliards d’euros en 2015.

Ce redressement spectaculaire appelle quelques précisions.

Tout d’abord, ce chiffre comprend les contributions positives de la CADES et du Fonds de réserve pour les retraites. Sans elles, le déficit atteint 14, 7 milliards d’euros.

Ensuite, 5 milliards d’euros de dépenses auront été transférés à l’État au titre de la compensation du pacte de responsabilité : le déficit des ASSO diminue de 0, 4 point de PIB, celui de l’État de 0, 1 point.

Enfin, il faut signaler – pour mémoire – qu’en 2008, avant la crise, ce même solde était positif de 14 milliards d’euros.

Venons-en au PLFSS proprement dit.

En 2016, le déficit de l’ensemble régime général et FSV, le Fonds de solidarité vieillesse, serait de 9, 7 milliards d’euros, pour 352 milliards d’euros de dépenses.

Ce montant comprend 3, 7 milliards d’euros pour le FSV, qui reste et – si l’on en croit les perspectives pluriannuelles – restera le symbole du financement de la protection sociale par le déficit.

Le ralentissement des dépenses est réel, s’agissant en particulier des risques famille et vieillesse, à la suite des réformes récentes. En revanche, le déficit de la branche maladie se maintient à un niveau particulièrement élevé, malgré un ONDAM dont le taux de progression est encore réduit. Le constat est simple : les comptes ne se redressent que là où un effort bien réel a été supporté par les assurés.

J’évoquerai plus particulièrement trois mesures de ce projet de loi.

Ce projet porte la deuxième étape du pacte de responsabilité.

Cette évolution me paraît acter un changement de la nature des allégements de charges : il ne s’agit plus seulement de soutenir l’emploi, il s’agit également de financer autrement la protection sociale, en pesant moins sur les salaires.

Cette évolution reste néanmoins mesurée. Les cotisations sociales représentaient 55 % des recettes en 2014, elles en représenteront 55, 4 % en 2016.

On peut regretter que la réduction des cotisations famille n’intervienne qu’à compter du 1er avril 2016, alors qu’elle avait été annoncée pour le 1er janvier. Le Gouvernement a fait valoir que des mesures supplémentaires avaient été prises en faveur des entreprises, ce qui est exact, même si celles-ci n’ont pas été présentées comme alternatives au pacte de responsabilité. La question qui nous est posée est donc très simple : pour financer ce milliard supplémentaire, faut-il augmenter d’autant les prélèvements – alors que la mesure à compenser vise à les réduire – ou réduire les dépenses – et, dans ce cas, lesquelles ?

C’est pourquoi la commission des affaires sociales s’est sagement gardée de présenter des amendements sur ce calendrier des allégements.

Ce projet de loi comporte également, comme à l’accoutumée, des mesures de redéploiement de recettes, ce que d’aucuns appellent la « tuyauterie du PLFSS ».

Cette année, ces redéploiements prennent une ampleur particulière en raison de la solution proposée par le Gouvernement pour se mettre en conformité avec l’arrêt « de Ruyter » de la Cour de justice de l’Union européenne.

Je ne reviens pas sur le détail de cette affaire, sinon pour rappeler que l’intéressé était résident fiscal en France, mais non affilié au régime français de sécurité sociale. C’est donc bien des non-affiliés que nous parlons et de prélèvements de 250 à 300 millions d’euros, selon les informations que vous nous avez transmises, monsieur le secrétaire d’État.

Pour se mettre en conformité avec l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, le Gouvernement a décidé, à l’article 15, d’affecter le produit de tous les prélèvements sociaux sur les revenus du capital au FSV au titre des prestations non contributives, à la CADES et à la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, ce qui représente un total de transferts de 18 milliards d’euros.

Malgré ce véritable chamboulement, cette solution me paraît fragile, pour deux raisons principales.

En premier lieu, dans son arrêt, la Cour exclut clairement une affectation de ces recettes au financement de la sécurité sociale ou à l’apurement de sa dette – ce à quoi une affectation à la CADES contrevient clairement.

Deuxièmement, dans le règlement communautaire de 1971, la distinction entre prestations contributives et non contributives n’est pas aussi claire que le laisse entendre la proposition du Gouvernement.

Selon moi, une affectation de ces recettes au budget de l’État aurait été préférable, plus sécurisée. À défaut, une clarification du règlement de 1971 est impérative.

L’article 17 procède, quant à lui, à une anticipation du calendrier de transfert de dette de l’ACOSS à la CADES. Il s’agit d’une mesure de bonne gestion, qui laisse entier le problème du stock de dettes que les déficits alimentent chaque année : d’ici à la fin de la période couverte par la programmation, une dette de 30 milliards d’euros sera reconstituée à l’ACOSS. Une décision devra donc être prise en 2017. Les paramètres sont connus : reporter la dette sur les générations futures, ou augmenter la CRDS, la contribution pour le remboursement de la dette sociale.

S’agissant de la programmation pluriannuelle, l’annexe B du projet de loi, qui lui est en principe consacrée, ne comporte que très peu d’éléments au-delà de l’année 2016, et rien sur l’ONDAM, ce qui n’est pas conforme aux dispositions organiques qui lui sont applicables.

Cette annexe prévoit un retour à l’équilibre retardé et différé après 2019, malgré des hypothèses d’inflation et d’évolution de la masse salariale comparables à celles qui prévalaient avant la crise, et donc très optimistes.

Voici, madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’état, mes chers collègues, les principales observations de la commission des affaires sociales.

Sur les orientations générales du texte, la commission propose au Sénat l’adoption des première et deuxième parties relatives aux comptes des années 2014 et 2015. Cette position n’est en rien une approbation de la politique menée : il s’agit d’un exercice clos et d’un exerce en voie de l’être.

En revanche, les équilibres généraux pour 2016 ne sont pas satisfaisants, contrairement aux propos que vous avez tenus à cet égard, monsieur le secrétaire d’État. Cette insatisfaction n’a pas tant pour cause le contenu de ce texte – qui est somme toute très technique et qui va d’ailleurs dans le bon sens – que ce que nous n’y trouvons pas, à savoir des mesures fortes et des objectifs pluriannuels, propres à rétablir l’équilibre à court terme, dans deux branches en particulier : la vieillesse et l’assurance maladie.

J’en viens justement aux dispositions relatives à l’assurance maladie, qui constituent l’objet de près d’une trentaine d’articles du PLFSS.

On y trouve plusieurs sujets déjà abordés lors de la discussion du projet de loi relatif à la santé, mais cette fois sous l’angle du financement des mesures. Je pense notamment à l’article 42, qui s’inscrit dans le mouvement de réforme de la filière visuelle, engagé à travers les amendements que le Gouvernement a présentés lors de l’examen de la loi « santé ». Plusieurs de ces articles présentent un aspect très technique ; je ne m’y attarderai donc pas.

Je relève toutefois l’article 44, qui prévoit la pérennisation de l’expérimentation conduite par l’ARS Pays de la Loire sur l’organisation de la permanence des soins ambulatoires, ainsi que sa possible extension à toute ARS volontaire. Voilà une bonne mesure, qui peut effectivement contribuer à améliorer l’accès aux soins, et aussi à faire des économies ! Ces dispositions me paraissent très intéressantes et montrent qu’il est possible d’imaginer des solutions sur ce sujet épineux.

Je me concentrerai sur les quatre articles dont la portée me semble la plus importante.

La principale mesure de ce texte est incontestablement la création d’une « protection universelle maladie », communément appelée « PUMA », prévue par l’article 39.

Cette PUMA n’a d’universel que le nom : elle ne prévoit aucune disparition des quatorze régimes et quatre-vingt-trois opérateurs qui forment notre protection sociale. Il s’agit finalement d’une réforme administrative d’ampleur pour les caisses.

Concrètement, le droit à la prise en charge des frais de santé au moyen des prestations en nature de l’assurance maladie sera garanti à toute personne majeure résidant durablement et légalement en France, et ce sans condition supplémentaire.

On ne peut qu’approuver le principe : cette mesure devrait simplifier la vie des assurés sociaux. Nous nous interrogeons cependant sur les modalités de son application. La tâche des différents régimes et des administrations, en matière de mise en œuvre informatique et de rédaction de textes réglementaires, apparaît en effet considérable.

Le directeur général de la CNAM, la Caisse nationale de l’assurance maladie, nous a par exemple indiqué que quatre millions d’ayants droit majeurs figurent parmi les affiliés du régime général, et qu’il faudra organiser leur basculement vers l’affiliation directe.

Nous souhaitons donc, madame la ministre, que vous puissiez nous dire dans quelle mesure tous les régimes – je dis bien « tous » ! – sont bien en capacité de mettre en œuvre ce dispositif, et surtout de quels moyens et de quel accompagnement ils pourront bénéficier.

Une deuxième réforme d’ampleur est celle de la nouvelle tarification des soins de suite et réadaptation, ou SSR, à l’article 49. Cette réforme, dont le principe fait consensus, tend à mettre en place une nouvelle forme de tarification constituée de deux parties : une dotation forfaitaire et une part de rémunération fondée sur l’activité. En cas de succès, cette réforme de la tarification pourrait incontestablement servir de modèle à d’autres établissements.

Malheureusement, les bases sur lesquelles les nouveaux tarifs doivent être établis apparaissent incertaines ; elles sont fortement contestées par les établissements privés lucratifs. De fait, les tarifs proposés se fondent sur des études nationales de coût, dont l’article 51 du projet de loi de financement de la sécurité sociale tend à renforcer la fiabilité. On comprend l’inquiétude que suscite cet article pour des établissements dont la pérennité dépend de la réforme, alors que, encore une fois, le principe d’une réforme de la tarification des SSR est accepté par tous. Nous proposons donc au Sénat des amendements destinés à lever ces incertitudes.

Deux mesures importantes concernent enfin non pas la sécurité sociale, mais les organismes complémentaires. D’ailleurs, madame la ministre, nous nous interrogeons sur leur place au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale, même si cela a le mérite d’introduire les complémentaires dans la sphère publique budgétaire.

Il faut sans doute voir plus modestement dans le rattachement de ces mesures une question de calendrier, puisque le régime des complémentaires d’entreprise obligatoires sera généralisé au 1er janvier prochain.

L’article 21 est celui qui pose le plus de difficultés. Il s’agit de prévoir un mécanisme d’appel d’offres. Après le passage à l’Assemblée nationale, c’est devenu une labellisation des contrats de complémentaire santé pour les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans. L’enjeu est de tirer les conséquences de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, qui, en prévoyant l’obligation de contrats collectifs pour les salariés, les fait basculer à l’âge de la retraite sur des contrats individuels beaucoup plus chers.

Je note à ce propos qu’il existe de multiples dispositifs permettant aux personnes de plus de soixante-cinq ans ayant des revenus modestes d’accéder à une complémentaire santé, à commencer par la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, et l’aide pour une complémentaire santé, l’ACS, dont le seuil d’accès a d’ailleurs été modifié l’année dernière pour les personnes de plus de soixante ans.

Je remarque également que les mécanismes de mutualisation des risques sont les seuls véritablement susceptibles de faire baisser les primes pour les plus de soixante-cinq ans et que certains existent déjà, notamment pour les mutuelles de la fonction publique.

J’observe, enfin, que l’article pose des questions relatives à l’emploi dans le secteur des assurances complémentaires.

Dès lors, la commission des affaires sociales vous propose de supprimer cet article et d’attendre sagement le rapport demandé à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS. Je le souligne, son analyse semble partagée par la grande majorité des groupes politiques de notre assemblée.

La commission des finances propose pour sa part un autre mécanisme que celui qui est prévu à l’article 21. Cette solution paraît de nature à mieux atteindre l’objectif ; nous la soutiendrons.

L’article 22 offre un droit d’option aux salariés en contrat court entre la complémentaire d’entreprise et un chèque permettant l’adhésion à un contrat individuel responsable. À quelques semaines de l’entrée en vigueur des dispositifs collectifs négociés par les entreprises, cette mesure paraît malvenue. En effet, s’il est souhaitable de garantir la couverture complémentaire des salariés en situation atypique, pour ne pas dire précaire, il ne saurait être question de remettre en cause l’équilibre des accords déjà négociés, et ce au moment même où ils doivent entrer en application. La commission des affaires sociales s’en remettra finalement, pour améliorer ce dispositif, aux amendements identiques déposés par nos collègues de la majorité et de l’opposition.

Ainsi que je vous l’ai indiqué à propos des équilibres généraux, il n’est possible aujourd’hui de résorber le déficit que par une baisse des dépenses, ce qui a été entrepris. Aussi la commission des affaires sociales et la commission des finances proposeront-elles un dispositif que nous avons adopté l’année dernière et qui paraît plus que jamais nécessaire : la mise en place de trois jours de carence pour l’ensemble des personnels hospitaliers.

Cette mesure législative devrait, selon nous, s’accompagner de plusieurs mesures d’ordre réglementaire ou de gestion, dont l’adoption incombe au Gouvernement ; je les détaillerai au moment de l’examen de l’ONDAM.

Je conclus. Le soixante-dixième anniversaire de la sécurité sociale a été l’occasion de célébrer un modèle parfois fantasmé. La sécurité sociale d’aujourd’hui n’a que peu à voir avec celle des origines, qui, je le rappelle, mobilisait en tout et pour tout environ 15 % de la richesse nationale. Loin de s’éloigner d’un âge d’or, elle a, au contraire, connu une expansion continue.

La population française augmente ; elle vieillit et bénéficie de soins plus efficaces et plus sophistiqués. C’est précisément pour faire face à ces besoins légitimes que notre système de protection sociale doit évoluer, s’adapter, interroger son organisation et ses pratiques dans une logique de solidarité, que nous ne renions pas, mais aussi d’équité entre les Français et entre les générations.

Vaste programme, me direz-vous… Et, j’en conviens, le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne peut sans doute pas y répondre seul.

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