Intervention de Alain Milon

Réunion du 9 novembre 2015 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2016 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Madame la présidente, madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je dirai quelques mots, après l’intervention de nos rapporteurs, pour résumer le sentiment de la commission des affaires sociales sur ce PLFSS pour 2016.

Ce projet de loi, nous dit le Gouvernement, s’inscrit dans une trajectoire de réduction du déficit de la sécurité sociale. Comme l’a indiqué le rapporteur général, nous ne le nions pas, mais nous relativisons l’ampleur des résultats obtenus et nous contestons un certain nombre des moyens utilisés pour y parvenir.

J’évoquerai tout d’abord les résultats obtenus. Il s'agit d’une diminution d’un tiers du déficit en trois ans, soit un peu plus de 6 milliards d’euros. Ce n’est pas rien, il faut en convenir, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir pour rétablir l’équilibre. Constatons simplement que, trois ans après, nous sommes loin de l’engagement n° 9 du Président de la République, à savoir des déficits publics ramenés à 3 % du PIB dès 2013, pour un équilibre en 2017.

Les objectifs ont été décalés dans le temps, pour l’État comme pour les comptes sociaux, malgré les prélèvements supplémentaires décidés depuis 2012 en matière sociale. Je n’en citerai que quelques-uns : deux hausses successives des cotisations vieillesse, une hausse des cotisations accidents du travail, une hausse du forfait social, une hausse des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, enfin la création de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA, affectée deux années de suite à la sécurité sociale, tout comme lui a été affecté le produit de la réduction du quotient familial.

Non seulement ces mesures, et toutes les autres que je n’ai pas citées, n’ont pas produit le rendement escompté, mais elles traduisent, et c’est ce que nous contestons, un recours privilégié à l’impôt.

Le pacte de responsabilité, avec les allégements de charges amorcés cette année, marque sans doute un changement d’approche. Néanmoins, sa mise en œuvre renforce à nos yeux la nécessité de réduire, en parallèle, le rythme d’évolution des dépenses.

De ce point de vue, la mesure la plus significative prise depuis trois ans nous paraît totalement inopportune. Je veux parler de la modulation des allocations familiales selon le revenu, et je n’ajouterai rien à ce qu’a très bien dit, à ce sujet, notre rapporteur pour la branche famille.

En matière de retraite, l’action sur les dépenses a principalement été menée en 2010, avec une réforme dont les bénéfices ont été contrariés par l’élargissement des possibilités de départ anticipé, décidé à l’été 2012. Nous avons été surpris que, à quelques jours d’intervalle, le Gouvernement laisse entendre que le problème d’équilibre des régimes de base ne se posait plus, puis se réjouisse d’un accord sur les régimes complémentaires prévoyant, pour la grande majorité des salariés, un report à 63 ans de l’âge de départ avec le bénéfice du taux plein.

Nos concitoyens sont pleinement conscients des réalités démographiques, me semble-t-il. Beaucoup d’entre eux s’inquiètent que le financement à moyen terme de leur retraite ne soit pas aujourd’hui véritablement garanti. Rares sont ceux à ne pas être convaincus qu’un nouveau relèvement de l’âge de départ est inéluctable pour tenir compte des gains d’espérance de vie. Notre commission estime qu’il ne faut pas renvoyer les décisions à plus tard et propose donc une réponse dès ce PLFSS.

En matière d’assurance maladie, le Gouvernement se félicite de faire progresser les droits, de ne pas avoir réduit les remboursements ni élargi les franchises, de voir le reste à charge diminuer. Soit, mais tout cela au prix d’un déficit reporté sur les contribuables de demain et d’après-demain ! Celui-ci atteindra cette année son plus haut niveau depuis 2012, soit quelque 7, 5 milliards d’euros.

Nous constatons d’ailleurs que, en 2015, comme en 2014, comme en 2013, les résultats de l’assurance maladie seront dégradés par rapport aux prévisions de la loi de financement initiale ; cela nous laisse prudents quant à la légère amélioration envisagée pour 2016 et sceptiques quant à celle, plus importante, qui est annoncée au-delà de l’actuelle législature.

En 2016, l’augmentation de l’ONDAM sera certes limitée à 1, 75 %. C’est peu ou prou ce que le Sénat proposait, sans succès, l’an dernier. Erreur hier au palais du Luxembourg, vérité aujourd’hui avenue de Ségur ! Or on peut douter que la généralisation du tiers payant, si elle est mise en œuvre, facilite la réalisation d’un objectif qui impose, au contraire, de réduire les facteurs inflationnistes.

Par ailleurs, était-il bien opportun, par cette mesure, de susciter des crispations alors que le concours des professionnels est indispensable pour une coordination des soins plus efficiente ?

Dès lors, comment cette modération de l’ONDAM sera-t-elle obtenue ? Passons sur la ponction, malvenue, aux dépens de la branche accidents du travail, que notre rapporteur vient de signaler. Une part majeure des économies annoncées portera de nouveau sur les dépenses du médicament.

Il faut bien entendu s’en tenir à une juste prescription et tirer les conséquences des évaluations médico-économiques conduites par les instances compétentes. Veillons toutefois à ne pas fragiliser l’innovation, avec les bénéfices dont elle est porteuse à moyen terme en matière d’efficacité des traitements, mais aussi de pérennité des compétences développées par notre pays dans ce domaine.

En revanche, il est un volet qui paraît absent des actions que nous propose le Gouvernement. Nous avons suivi avec attention les difficiles négociations sur le temps de travail à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris. Il y a là un enjeu important pour l’ensemble du système hospitalier, un levier pour améliorer son organisation et mieux maîtriser ses dépenses. Toutefois, sur ce plan, le statu quo semble prévaloir, bien que l’on puisse difficilement le juger satisfaisant.

Le présent PLFSS comporte en revanche, une fois encore, plusieurs dispositions relatives aux assurances complémentaires. Nous assistons depuis deux ans à une addition de mesures susceptibles de modifier en profondeur l’organisation et le fonctionnement de la protection maladie. Ces changements interviennent par touches successives, sans que l’on perçoive véritablement leur cohérence d’ensemble, ni la finalité visée. S’agit-il de renforcer le rôle des organismes complémentaires, quitte à réduire le libre choix des assurés ? S’agit-il, dès lors qu’ils assureront une couverture généralisée, de regrouper les intervenants du secteur en réduisant leur nombre ?

Ne devra-t-on pas se poser la question du maintien d’un double niveau d’assurance, de base et complémentaire ? Des voix s’élèvent déjà pour appeler à une simplification drastique, au sein d’un régime universel d’assurance maladie, avec, à la clef, une économie sur les coûts de gestion.

Comme la commission, tous les groupes politiques de notre assemblée, sauf un, souhaitent la suppression de l’article 21 du projet de loi. Cette disposition suscite la controverse, malgré l’objectif de progrès qu’elle affiche. C’est le signe, me semble-t-il, que les clarifications nécessaires n’ont pas été apportées et que les impacts sont difficiles à mesurer.

Voilà, mes chers collègues, les raisons, très brièvement résumées, pour lesquelles la commission des affaires sociales propose au Sénat de rejeter les objectifs de recettes et de dépenses du PLFSS pour 2016. Elle présentera des amendements sur plusieurs articles et vous demandera d’adopter un projet modifié, car elle ne saurait valider les orientations proposées par le Gouvernement.

Enfin, permettez-moi d’ajouter qu’il s’agit du douzième PLFSS sur lequel je suis amené à me prononcer. Comme souvent, il comporte des mesures intéressantes et d’autres que certains qualifieront de « mesurettes ». Comme toujours, il vise une meilleure maîtrise des dépenses de soins, mais le déficit de l’assurance maladie perdure à un niveau très élevé.

Les PLFSS se succèdent donc sans que soit garanti un financement de notre système de santé à la fois pérenne et moins pénalisant pour la compétitivité de nos entreprises. Or, au-delà des ajustements opérés d’une année sur l’autre, il faudra bien un jour, me semble-t-il, traiter globalement cette question, en utilisant de manière beaucoup plus rationnelle des moyens aujourd’hui dispersés entre les caisses de sécurité sociale et les organismes complémentaires.

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