Intervention de Corinne Imbert

Réunion du 9 novembre 2015 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2016 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que le Gouvernement nous présente l’année du soixante-dixième anniversaire de la sécurité sociale s’inscrit dans la continuité des précédents. Il se caractérise à mon sens par son manque incontestable de réforme structurelle et par un déficit toujours aussi élevé du régime général ; malgré les efforts qui ont été réalisés, celui-ci s’établit en effet à 12, 8 milliards d’euros, Fonds de solidarité vieillesse inclus.

Pendant ce temps, les prélèvements obligatoires, dont près du quart bénéficie à la sécurité sociale, sont passés de 913, 9 milliards d’euros en 2012 à quelque 971, 4 milliards d’euros en 2015.

Malheureusement, le candidat Hollande ne tiendra pas sa promesse : « Moi président, je permettrai le retour à l’équilibre ». En effet, la Cour des comptes ne juge pas envisageable un retour à l’équilibre avant 2020, voire 2021, ce dont personne ne se réjouit. Nous savons tous que ce chantier est difficile, et parce que nous sommes tous attachés à notre modèle social, plus que des promesses, ce qu’il nous faut, c’est du courage ! Les réformes structurelles sont plus que nécessaires. Ce texte n’en contient malheureusement pas assez.

Permettez-moi de rappeler quelques chiffres : les dépenses publiques sociales représentent 32 % du PIB, contre 22 % en moyenne dans les pays membres de l’OCDE, et sont financées à crédit depuis vingt ans. Il en résulte, selon l’INSEE, que la dette publique a été portée au premier trimestre de 2015 à quelque 97, 6 % du PIB, contre 90 % en 2012.

En l’état, notre système de sécurité sociale ne sera pas centenaire, c’est une certitude. Il ne s’agit plus d’attendre que la conjoncture s’améliore. Notre protection sociale d’après-guerre n’est plus adaptée : en matière d’emploi, les parcours professionnels ne sont plus linéaires ; en matière de santé, le vieillissement de la population entraîne des pathologies qui prennent une place de plus en plus importante dans notre système de santé ; enfin, en matière de retraite, l’allongement de l’espérance de vie, dont nous ne pouvons que nous féliciter, doit nous conduire à mettre en œuvre une réforme systémique.

Force est de constater que, sur tous ces points, le PLFSS que nous examinons aujourd’hui est bien loin d’apporter des solutions fortes et pluriannuelles. Je n’ose imaginer que vous laissiez à vos successeurs le soin d’agir...

J’évoquerai maintenant l’aménagement du calendrier de reprise des déficits par la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, prévu à l’article 17.

L’article 4 de l’ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale prévoit la reprise par la CADES des déficits portés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, au titre des années 2011 à 2017 avant le 30 juin de chaque année. Cette reprise de dette est encadrée par un double plafond, qui a été évoqué à plusieurs reprises cet après-midi, de 62 milliards d’euros sur la période mentionnée dans la limite de 10 milliards d’euros par an.

Cet article ouvre donc la possibilité de reprendre dès 2016 le solde permettant de saturer le plafond de 62 milliards d’euros, en franchissant la limite annuelle de 10 milliards d’euros. En 2016, la CADES reprendra donc quelque 23, 6 milliards d’euros à l’ACOSS.

La Cour des comptes recommande cette reprise des déficits de l’ACOSS afin de profiter des taux d’intérêt, qui sont relativement bas en ce moment. En revanche, nous constatons que le Gouvernement ne prend pas ses responsabilités, contrairement à ce qu’avait fait le gouvernement précédent. Outre une forte reprise, la Cour des comptes recommande également une augmentation des recettes de la CRDS de l’ordre de 0, 23 point.

Face à la crise de 2008 et après une réforme des retraites dont vous profitez aujourd’hui – les comptes de la branche vieillesse, hors Fonds de solidarité vieillesse, se rapprochent de l’équilibre grâce au report de 60 à 62 ans de l’âge de départ à la retraite –, une reprise de la dette de l’ACOSS avait été prévue et financée. La reprise de la branche vieillesse était en partie financée par le Fonds de réserve des retraites, ce qui répondait à une certaine logique.

Après avoir autorisé la reprise des déficits des branches maladie et famille sur ce contingent dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2014, votre gouvernement va, cette année, saturer l’enveloppe financée de reprise.

Comme l’a souligné en septembre dernier devant notre commission le Premier président de la Cour des comptes : « Une telle opération pourrait profiter des opportunités de marché liées à la faiblesse des taux d’intérêt ; elle comprimerait sûrement en 2016 la part de la dette sociale à court terme de l’ACOSS, mais cela n’aurait selon nous qu’un effet transitoire ».

Nous constatons que le Gouvernement se contente d’utiliser les capacités déjà financées et qu’il laissera à ses successeurs un bel héritage : selon la Cour, il restera encore de l’ordre de 26 milliards d’euros de dette sociale à l’ACOSS d’ici à la fin de 2018. S’y ajouteront les déficits supplémentaires liés au cadrage macroéconomique et aux fausses économies affichées par le Gouvernement. En outre, il ne faut pas écarter une potentielle remontée des taux à court terme. La facture pourrait s’élever à 30 milliards d’euros.

Au-delà de ce futur héritage, de nombreuses mesures présentées dans le PLFSS pour 2016 se caractérisent par un manque de préparation et par une grande précipitation.

Les dispositifs d’exonération de cotisations sociales applicables aux bassins d’emplois à redynamiser, les BER, aux zones de restructuration de la défense, les ZRD, et aux zones de revitalisation rurale, les ZRR, que vous envisagiez de supprimer à l’article 10, ont été fort heureusement conservés, l’Assemblée nationale ayant supprimé cet article.

Sous couvert de simplification, vous présentez à l’article 12 une mesure dont les conséquences n’ont pas été évaluées. Il s’agit ni plus ni moins de confier aux URSSAF le recouvrement des cotisations d’assurance maladie des professions libérales, jusqu’alors assuré, moyennant rétribution, par les organismes conventionnés – assurances et mutuelles – du régime social des indépendants, le RSI.

Selon l’étude d’impact, les URSSAF absorberaient cette mission à coût constant. Or elle ne tient pas compte des pertes de recouvrement, des coûts informatiques, de la reprise, en application du code du travail, des personnels des organismes conventionnés affectés à ces activités. Dans ces conditions, nous comprenons l’amendement de report présenté devant la commission des affaires sociales par le rapporteur général. Cependant, le groupe Les Républicains présentera en séance un amendement de suppression, car il juge nécessaire qu’une étude d’impact plus approfondie soit effectuée avant que cette mesure ne puisse entrer en vigueur.

Autre exemple, l’article 21, qui prévoit la généralisation de la couverture d’assurance maladie complémentaire pour les plus de 65 ans, n’a été préparé, au regard des réactions des acteurs concernés, d’aucune concertation ni étude d’impact.

Madame la ministre, il y a tout juste un mois, vous avez demandé à l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, un rapport sur les aides fiscales et sociales allouées aux contrats des complémentaires de santé afin d’évaluer l’efficacité et l’équité de l’architecture de ces différents dispositifs d’aide et de présenter plusieurs scénarios de refonte.

Aujourd’hui, vous nous demandez d’adopter une nouvelle mesure prévoyant un crédit d’impôt pour les organismes complémentaires sans même attendre le résultat de cette évaluation. Surtout, vous accentuez la segmentation de la population en prévoyant un système de mise en concurrence qui participe à la destruction des mécanismes de mutualisation. Nous saluons donc la position du rapporteur général, qui a proposé à la commission la suppression de cet article.

Quant à l’article 22, qui prévoit que les salariés en contrat court ou à temps très partiel puissent bénéficier d’un « chèque santé » de leur employeur en lieu et place d’une adhésion au contrat santé de leur entreprise ou de leur branche, nous considérons qu’il n’y a pas forcément lieu de le supprimer, quand bien même la généralisation serait remplacée par des négociations dérogatoires avec accord de branche. En effet, certaines branches professionnelles ont déjà mis en place des dispositifs efficients qui ont fait leur preuve. Je pense qu’il faut encourager les initiatives en ce sens.

Sur l’article 49, qui prévoit une réforme des soins de suite et de réadaptation, réforme dont le principe fait consensus, cela a été souligné, je présenterai un amendement visant à préconiser, en complément du rapport au Parlement proposé par le rapporteur général, une expérimentation préalable d’une durée de trois ans. Cette réforme apparaît aujourd’hui et en l’état comme étant prématurée.

En effet, le futur modèle de financement présenté dans le texte contient de nombreuses inconnues, qui n’ont pas fait l’objet d’une étude d’impact. Or il pourrait entraîner des effets contraires à ceux qui sont attendus, qu’il s’agisse d’un blocage de la filière de soins, que les soins de suite et de réadaptation ont vocation à fluidifier, ou d’une inflation non maîtrisée des dépenses d’assurance maladie.

Pour ma part, je pense qu’il est nécessaire de ne pas prolonger davantage le mode de calcul actuel du ticket modérateur, qui a pour seule conséquence de creuser les inégalités entre acteurs de santé publics et privés. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous proposerai un amendement de suppression de l’article 48.

Les mesures d’économies en matière d’assurance maladie sont de l’ordre de 3, 4 milliards d’euros. Cependant, faute de réforme structurelle, vous prenez le risque de mettre à mal le secteur de l’industrie pharmaceutique, qui a déjà été lourdement mis à contribution. Ainsi, alors que la trajectoire financière de l’ONDAM est très contrainte, le taux fixé pour 2016 est historiquement bas, soit 1, 75 %.

Au-delà des traditionnelles baisses de prix des médicaments, une série de mesures d’économies directes et indirectes aura un fort impact, pour plus d’un milliard d’euros, sur les entreprises de ce secteur. Or nous devons veiller à ne pas freiner le développement de ce secteur en matière d’emploi et surtout en matière de recherche et d’innovation. Alors que ces entreprises sont l’un des fleurons de notre pays à l’international, nous craignons que les mesures prises successivement depuis quatre ans ne mettent à mal leur développement.

Par ailleurs, madame la ministre, vous espérez économiser près de 500 millions d’euros en mettant l’accent sur le virage ambulatoire. Bien que nous soutenions cette démarche, nous n’acceptons pas la méthode si elle n’est pas dans l’intérêt du patient. Les intérêts financiers ont leurs limites : l’intérêt en termes de santé publique et l’intérêt du patient. Transférer le suivi et la prise en charge à domicile de patients de plus en plus lourdement atteints par la maladie ne peut se faire en continuant de réduire les moyens dévolus à la médecine de ville.

La médecine de ville doit être mieux traitée, et ce n’est pas – je suis désolée de le rappeler – avec la mise en place du tiers payant généralisé et obligatoire que vous allez mettre de l’huile dans les rouages !

Madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous allons examiner manque d’ambition et d’ossature. Certes, nous vous avons entendue, madame la ministre, mais il est certain qu’il sera insuffisant pour donner un souffle nouveau à notre système de protection sociale. Nous attendons du Gouvernement qu’il prenne des mesures fortes et pluriannuelles. Tel n’est malheureusement pas le cas aujourd'hui, et nous le regrettons vivement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion