Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 17 novembre 2015 à 21h30
Débat sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a évidemment des moments où le temps se suspend, où les controverses politiques ou techniques qui nous animent parfois doivent s’effacer derrière l’indicible, l’inacceptable.

La conférence des présidents avait, de longue date, à quelques heures de l’ouverture prévue du congrès des maires de France, fixé ce rendez-vous. Nous devions parler des dotations attribuées aux collectivités locales, dans le prolongement du rapport Germain-Pires Beaune et dans la perspective immédiate de la discussion, au Sénat, du projet de loi de finances pour 2016.

Les événements qui se sont produits vendredi dernier au Stade de France, cet équipement majeur que nous avions choisi de construire, voilà vingt ans, dans une banlieue meurtrie par la désindustrialisation, et dans les quartiers populaires de l’Est parisien, où se côtoient jeunesse étudiante, jeunesse active et entreprenante, population faubourienne et familles d’origine étrangère, ont modifié l’ordre des choses et conduit au report du congrès des maires.

Il nous reste l’urgence de ce débat qui, d’une certaine manière, anticipe celui qui est relatif au projet de loi de finances.

Il y a un moment où l’évidence des faits impose de modifier les habitudes de pensée et d’action, notamment au plus haut niveau.

Il y a un moment où les discours sur l’excès de la dépense publique, sur la nécessité de tenir nos engagements européens, sur la réduction des déficits publics se heurtent de plein fouet à la réalité.

Comment parler d’excès des dépenses publiques quand on constate que, un jour de grève des médecins contre le projet de loi relatif à la santé, tous les personnels hospitaliers, y compris ceux qui bénéficiaient a priori, en cette fin de semaine, d’un congé, sont venus en masse pour aider les équipes confrontées à l’horreur des attentats ?

Ce sens aigu du service public, qui anime également les pompiers de Paris, les forces de police et de sécurité, il nous faut le saluer dans cette enceinte à sa juste valeur, une valeur essentielle pour la République, pour la France.

Réduction des déficits publics, nous dit-on ? Mais ne va-t-il pas falloir mobiliser des moyens tant pour les opérations extérieures – M. le Premier ministre l’a confirmé cet après-midi –, dont le coût a déjà fortement progressé, que pour la sécurité intérieure du pays ? Ne faut-il pas se poser la question de notre détermination à résoudre les maux dont notre société est frappée, en mobilisant les moyens matériels et humains dont nous disposons, et qui résident autant dans notre police républicaine, une police de qualité, que chez les agents du service public de l’éducation ou ceux du service public de l’emploi qui, dans l’apparente routine du quotidien, accomplissent une tâche immense, et en maintenant une vie associative, riche de ses bénévoles, mais ayant besoin de notre soutien ?

Nous devons nous interroger sur le contexte dans lequel s’est forgée la folie meurtrière de ceux qui ont arrosé à l’arme de guerre les terrasses de restaurants et de cafés parisiens et attaqué à la grenade et au fusil d’assaut l’une des salles de spectacle les plus fréquentées de la capitale.

Les auteurs de ces actes ont, pour la plupart d’entre eux, vécu dans l’une des communes déshéritées de l’agglomération bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean, un faubourg ouvrier de Bruxelles, qui est devenu, au fil de la transformation de la capitale belge en capitale des institutions européennes, un véritable ghetto de la misère, accueillant des populations étrangères de plus en plus pauvres et précarisées dans un univers de désindustrialisation forcenée et de spéculation immobilière galopante. Cette banlieue occupe en effet l’avant-dernière place de toutes les communes de Belgique pour ce qui concerne la modestie des ressources de ses habitants. Quel terreau fertile, on l’imagine, aux idées les plus dangereuses !

Ce détour par la Belgique nous ramène plus encore à la situation de notre pays. Rien ne nous permet en effet de penser que la France est à l’abri de telles difficultés.

Certes, les communes de notre pays sont bien plus nombreuses que les communes belges – celles-ci sont au nombre de 589 –, où les efforts de regroupement plus ou moins consentis ont abouti à la simplification du paysage urbain. Mais nous avons, nous le savons aussi, des territoires urbains et des cantons ruraux qui sont très largement frappés par les difficultés qu’y rencontrent les populations. Désindustrialisation pour les uns, dépérissement pour les autres : tels sont les deux symptômes qui marquent les territoires de l’ensemble du pays, avec l’émergence d’inégalités spatiales et géographiques, conduisant bien souvent à la ségrégation sociale.

Nos villages et nos cantons ruraux comptent sans doute aujourd’hui bien plus d’ouvriers et d’employés que de paysans, et les villes ouvrières ont connu des mutations sensibles de leur population. Les activités productives ont fait place, dans bien des cas, à des activités de services ; la société est ainsi dotée à la fois de ses créateurs, de sa matière grise, comme de ses salariés plus ou moins déclassés, car confinés à des fonctions secondaires.

La dotation globale de fonctionnement pourrait-elle devenir l’instrument de correction de ces inégalités ? Le rétablissement de l’égalité entre les territoires et leurs habitants ne saurait s’opérer avec le seul prélèvement de 36 milliards d’euros en 2015 – 33 milliards en 2016 –, moins de deux points de PIB, que constitue cette dotation, d’autant que celle-ci a subi au fil du temps des modifications, qui rendent sa répartition complexe et opaque.

Créée à l’origine pour compenser des impôts retirés aux collectivités, la DGF a été fortement réduite tout au long des dernières années : réforme et gel de la dotation en 1993, mise sous enveloppe normée en 1995, majoration de dotations compensatrices, retirées aux collectivités locales elles-mêmes, en 2004, gel à la fin des années 2000 et, désormais, mise à contribution pour participer à la réduction des déficits publics. Elle a beaucoup perdu de ses capacités financières : plus de 2, 5 milliards d’euros de pouvoir d’achat de 2004 à 2014.

Quant à l’outil de réduction des inégalités spatiales et sociales par excellence, ce ne peut être que l’impôt national ! Ce sont la juste contribution des ménages à raison de leurs possibilités, la juste contribution des entreprises au titre de leurs activités économiques et financières et en fonction de leurs résultats qui restent et demeurent le moyen le plus efficace de lutte contre les inégalités.

La dotation globale de fonctionnement doit donc permettre aux collectivités territoriales de disposer des moyens nécessaires à leur action, à la réponse qu’elles peuvent apporter aux attentes et aux besoins des populations. Une partie de la réponse, devrais-je plutôt dire... En effet, à considérer la seule situation de ma propre ville, que constate-t-on ?

Entre 2001 et 2014 – il faut remonter un peu plus loin dans le temps –, la dotation globale de fonctionnement versée à ma ville est passée de 12 % de ses recettes à moins de 9 % aujourd’hui, quand, dans le même temps, la participation des habitants, impôts et contributions pour service rendu, passait de 25 % à 40 % de ces mêmes recettes de fonctionnement.

La réduction du montant de la DGF notifiée depuis le vote de la loi de programmation des finances publiques a déjà eu des effets récessifs, et il est même probable que ces effets ont coûté plus à la société et à l’économie dans leur ensemble que l’effet induit par la réduction de la dotation. Je pense que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’incidence des réductions des dotations aidera le Gouvernement à mesurer la nocivité de cette mesure non seulement pour les collectivités territoriales, mais aussi pour notre économie et, par voie de conséquence, le budget de l’État.

Lors d’une récente audition, l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques, a considéré que la baisse des dotations à hauteur de 11 milliards d’euros se traduira par une perte de 0, 55 % de PIB.

À qui fera-t-on croire que notre économie et nos comptes publics se sont mieux portés en 2014 qu’en 2004, avec un montant de la DGF inférieur à celui d’il y a dix ans ?

La décentralisation est mise à mal depuis déjà un certain nombre d’années avec les transferts sans ressources équivalentes aux nouvelles charges à assumer. Avec cette participation forcée des collectivités territoriales à la réduction des déficits, on atteint un niveau de pression inégalé sur les choix de nos collectivités. Nous vivons en état d’urgence absolue pour retisser le lien social, conforter et consolider le vivre ensemble, donner à la société les premiers éléments qui font d’elle une société et non une confrontation entre les ethnies, les catégories sociales, les classes d’âge, ou encore les différences religieuses.

Le terreau de la démocratie à la française, le ferment sans cesse renouvelé et novateur, tout ce sur quoi nous nous appuyons, c’est l’exercice du pouvoir local, au plus près des habitants et de leurs aspirations. Il est grand temps que la dotation globale de fonctionnement redevienne cet élément du financement de l’action locale, cet outil dont les élus locaux, choisis entre les citoyens par les citoyens eux-mêmes, font usage pour répondre aux besoins du quotidien et pour donner à leurs administrés des perspectives d’avenir.

En France, nous avons la chance de compter plus de 500 000 élus locaux, un demi-million de personnes qui se sentent, à des degrés divers, impliquées dans la vie de leur village, de leur quartier, de leur ville, soucieuses d’y agir dans l’intérêt général. Ces 500 000 élus ne constituent pas, de mon point de vue, ce que certains appellent souvent avec dédain la « classe politique ». Ils accomplissent le plus souvent ce mandat, ce bénévolat, dans le plus parfait anonymat. Ce sont ces premiers acteurs qu’il nous faut mobiliser pour faire reculer dans notre pays les divisions factices appelées à devenir meurtrières, dans le cadre de l’action locale déterminée en faveur de l’école, de la qualité de la vie, de la culture, du sport, et je pourrais citer bien d’autres domaines encore.

Pour ce faire, il convient, dès aujourd’hui, de revenir aussi sur les lois qui vont réduire les départements à une sorte de « super-bureaux » d’aide sociale, dépourvus de moyens dans la mesure où le projet de loi de finances pour 2016 prévoit de transférer 4 milliards d’euros de recettes fiscales vers les régions.

Nous vivons en état d’urgence absolue, une urgence qui nous impose aujourd’hui de tourner le dos à la logique de réduction des déficits publics par la diminution de la dépense publique et, par voie de conséquence, des dotations aux collectivités locales. Nous avons besoin d’une DGF remise d’aplomb pour que les élus locaux disposent des moyens de leur action, de même que nous réclamons un effort particulier pour réformer les finances locales. Mais nous manquons aussi d’argent pour mettre en œuvre des solutions alternatives à l’incarcération des plus jeunes délinquants, répondre à la détresse sociale, mettre en place une véritable politique de la ville audacieuse.

Il n’y a pas de territoires perdus de la République, contrairement à ce qu’affirment certains. D’ailleurs, si tel était le cas, nous n’aurions pas, dans nos banlieues, cette créativité, cette puissante aspiration au changement, cette solidarité qui font pièce à un quotidien qui pousse au repli sur soi et fait perdre toute illusion. C’est au plus près du peuple de ce pays, avec l’implication des élus locaux et des associations dans la vie de la cité que nous trouverons, plus sûrement encore qu’avec le seul renforcement des nécessaires moyens de lutte contre le terrorisme, les outils, les voies et moyens qui donneront sens à la France, à l’égard de tous ceux qui ont l’impression d’avoir été abandonnés.

Élue de terrain dans une ville populaire, plus riche de sa tradition ouvrière et de ses luttes que du fait du revenu ou de la fortune de ses habitants, je ressens au premier chef les aspirations dont je viens de parler, de même que je perçois les incompréhensions et appréhensions face aux choix politiques et budgétaires qui, ces dernières années, n’ont pas fait place au service public.

Aujourd’hui, le Gouvernement propose dans le projet de loi de finances pour 2016 une réforme de la dotation globale de fonctionnement. Nous pouvons apprécier la mise en place d’une dotation de base, demande que nous avons régulièrement défendue et que Jean Germain et moi-même avons portée dans nos départements. Mais le Gouvernement n’a pas entendu, me semble-t-il, les réflexions qui remontent des collectivités elles-mêmes.

La diversité de nos territoires, les obligations qu’ils doivent assumer en fonction de la situation de leurs populations ou de leur réalité géographique n’ont pas retenu son attention.

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