Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 17 novembre 2015 à 21h30
Débat sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Le Gouvernement a fait une concession en acceptant une réforme en deux temps. Quand le Sénat préconise de présenter les principes et modalités de la réforme en ayant une vue claire de ses effets, vous proposez de déterminer les principes, puis de vérifier les modalités, avant de constater les effets pour, peut-être, les corriger. Les points de vue peuvent donc être conciliés sur ce point, me semble-t-il, et nous formulons une proposition empreinte de sagesse.

Mais, comme nous allons le constater dans quelques instants, nos positions ne sont peut-être pas si éloignées que cela sur les principes mêmes, à quelques corrections de taille près, toutefois !

Nous pourrions voir dans le choix du Gouvernement une certaine forme d’habileté : le délai concédé sur la mise en place de cette réforme servirait, en définitive, à faire accepter et prospérer l’idée d’une baisse des dotations.

Cette diminution des dotations, comme l’a très bien expliqué François Baroin, constitue à nos yeux le sujet principal. Si tel est réellement votre calcul, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous devez aussi avoir la lucidité de comprendre que vous choisissez d’opérer un malade au pire moment, c’est-à-dire alors que la fièvre de la baisse des dotations est la plus forte.

Vous percevez toute la difficulté que représente le fait de réformer au moment où il y a moins à répartir, et tous les risques que cela fait courir. En particulier, vous risquez de nourrir la crainte d’une amplification supplémentaire de l’effort demandé aux collectivités. Surtout, j’y insiste, il n’y a rien de plus difficile que de réformer sans grain à moudre : il y aura des perdants !

Par ailleurs, vous voulez réformer la DGF sans vision globale.

La question de la DGF ne peut être traitée sans prendre en compte toutes les dotations – notamment les dotations de compensation –, sans envisager l’architecture du système de financement des collectivités dans son ensemble et sans avoir une vision, claire et établie une bonne fois pour toutes, des missions et moyens des collectivités.

Or cette vision n’a cessé d’évoluer au fil des textes – loi MAPTAM, loi NOTRe – et des variations nombreuses de vos projets, qu’il s’agisse de l’évolution de la clause générale de compétence ou du rôle des départements. D’où cette question : que reste-t-il de l’ambition initiale et où voulez-vous, en définitive, nous conduire ?

Il n’est pas sûr qu’une vision aussi peu architecturée – j’ai envie de dire « désarchitecturée » – des collectivités, vous amenant à traiter une part seulement de leurs financements, sans vision claire de leur avenir, vous apporte la réussite. Vous risquez précisément d’obtenir le résultat inverse.

L’effet défoliant de la baisse des dotations est toujours présent et voilà que, avant même que les conséquences ne soient connues, vous changez de nouveau les règles ! Après les évolutions du FPIC, il fallait oser prendre un tel risque, sachant que la question des bases locatives, repoussée, se posera inévitablement un jour et qu’il faudra peut-être aussi, à l’avenir, traiter l’ensemble de la problématique de la fiscalité locale.

Sur le fond, je retiens de votre réforme deux idées fortes.

Je citerai tout d’abord une aspiration légitime à plus d’égalité et de transparence dans le calcul de la DGF : c’est l’idée, qui, bien évidemment, apparaît tout à fait tentante, d’une DGF égale à la base.

Toutefois, ce souci d’équité cache des correctifs inévitables. Il faut tenir compte de la ruralité, de la centralité et d’un certain nombre d’autres correctifs prévus dans la réforme, le tout risquant de nous faire perdre le cap.

Reste un sujet épineux, on le sait : celui des villes moyennes situées dans des intercommunalités dont elles ne sont pas les villes-centres. Un certain nombre de réglages doivent maintenant être opérés sur cette question, la crainte, à ce stade, étant que ces villes ne deviennent les grandes perdantes du système. Des exemples récents confirment effectivement ce principe, connu, selon lequel, en matière de fiscalité, tout est dans les réglages.

Après les cinq premières années de la réforme, après les fameux 5 %, l’atterrissage n’est toujours pas assuré dans vos prévisions. Cela atteste, reconnaissons-le, d’un certain tâtonnement, voire d’une expérimentation sans filet et sans garantie.

Je n’insiste pas sur les simulations changeantes – Jacques Mézard les évoquait précédemment –, qui ne sont pas sans évoquer une sorte de miroir aux alouettes. Aux uns, on promet qu’ils seront gagnants ; aux autres, on explique qu’ils ne seront pas perdants. Ne cherche-t-on pas simplement à faire passer la réforme, en gratifiant ainsi chacun de quelques flatteries ?

Je reconnais bien volontiers que l’on a vu des contre-exemples dans les agissements des gouvernements passés et que, en définitive, chacun a le droit d’avoir recours à de tels procédés habiles. Cela étant, décider de changer toutes les règles en même temps, comme un savant fou, alors même que les dotations baissent, a quelque chose de très insécurisant aux yeux des élus.

Au surplus, territorialiser la DGF, faire des intercommunalités le nouveau pivot de la répartition, c’est bien sûr accentuer l’intercommunalisation. Dit plus brutalement, cette réforme de la DGF porte en elle le risque majeur, perçu par les communes elles-mêmes, d’attenter au devenir de celles-ci. Ce risque peut être, à terme, vital pour elles.

Je crois que le modèle intercommunal est essoufflé ; c’est pourquoi l’hypothèse de communes nouvelles doit être examinée. Or, avec cette réforme, vous choisissez clairement l’intercommunalité palliative et non stratégique. Pourtant, comme l’expliquent d’excellents auteurs, il ne faudrait peut-être pas écarter le modèle incluant une augmentation des villes nouvelles et la mise en place d’une intercommunalité stratégique. Cela pourrait être l’une des conditions du renouveau de la commune. Tenant ces propos, je reviens sur l’absence de pensée systémique qui sous-tend votre réforme, et c’est là que réside toute la difficulté.

En modifiant la DGF, on ne peut pas faire l’économie de la question : quel rôle pour les communes demain ? Au lieu d’intercommunalités intégratives avec carottes financières et des villes un peu affaiblies, il conviendrait plutôt de s’orienter vers des communes nouvelles plus fortes avec, au-dessus, des intercommunalités stratégiques. Ce n’est pas la voie que vous empruntez, je tenais à le souligner.

Parlant d’intercommunalités palliatives, je me permets d’y associer la métropole du Grand Paris, sans toutefois vouloir choquer. L’expérimentation financière en temps réel de cette métropole est telle que les effets du FPIC doivent être étudiés en totalité. Il faut garder cela à l’esprit. Le risque est qu’une loi récente adoptée sans véritable maquette financière ne se traduise par d’extrêmes difficultés pour les territoires comme pour les communes. Je sais que vous êtes attentifs à ce point, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mais nous devrons faire preuve de beaucoup de doigté dans le réglage de cette question lors de l’examen du projet de loi de finances. Sinon, nous encourrons de graves difficultés. Convenons-en, il n’est pas de très bon augure, compte tenu de l’avancement de la réforme de la DGF, que les réglages sur ces métropoles se poursuivent en temps réel, à quelques semaines de la mise en œuvre de ces dernières.

Pour toutes ces raisons, le Sénat est fondé à souhaiter un texte spécifique et un approfondissement de la réflexion sur la DGF. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait un premier pas. L’ambition de la majorité sénatoriale est une remise à plat du système et un début de mise en perspective de la réforme de la DGF. Nous convergeons, je le crois, sur l’idée qu’il faut traiter la globalité des financements des collectivités et des missions. J’ai la faiblesse de penser que, si vous suivez le Sénat, vous saisiriez une chance : celle de rétablir la confiance au centre de la relation entre l’État et les collectivités.

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