Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 18 novembre 2015 à 14h30
Débat sur le rôle du bicamérisme

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Jacques Mézard d’avoir suscité ce débat, qui porte sur un sujet très important.

Nous sommes ici, aujourd’hui, non pas pour protéger une maison, le Sénat, parce que nous sommes sénateurs, mais pour défendre une certaine idée de la République et de la loi. En effet, si l’on fusionnait le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental, on accepterait que la loi ne fût plus écrite, rédigée, préparée et votée par des élus. Ce serait inacceptable !

Dans une république, la loi doit être préparée, élaborée, discutée et approuvée par les élus de la nation. C’est d’ailleurs le fondement de toutes les philosophies issues de la Révolution française et c’est pour moi un principe intangible, l’une des sources de la démocratie.

Toutefois, si je suis, comme vous, mes chers collègues, profondément attaché au bicamérisme, cela tient à cet exercice particulier qu’est l’écriture de la loi.

En effet, la loi est une norme qui a la particularité de ne pas être rédigée par des juristes, même si ces derniers sont utiles et précieux, bien entendu, mais d’être écrite, préparée et discutée dans le feu du débat. La loi, c’est du discursif qui devient du normatif. Je vois là l’un des principaux arguments en faveur du bicamérisme.

La loi comporte tous les signes linguistiques de la norme et obéit à une écriture très particulière : le présent y a valeur d’impératif ; elle ne comprend de pronom personnel qu’à la troisième personne, aucun déictique – ni « ici » ni « maintenant » –, aucun passé simple, même si elle n’est pas avare de temps composés et surcomposés.

Pour façonner cette loi, il y a le débat, auquel nous tenons profondément. Parce que nous passons des jours et parfois des nuits, ici, dans cet hémicycle, à discuter, il nous semble utile, et même indispensable, sur chaque phrase de la loi, d’écouter les points de vue des uns et des autres, issus des six groupes de cette assemblée. En effet, chaque sénateur et chaque sénatrice a le droit imprescriptible de proposer un ou plusieurs amendements sur chaque membre de phrase, sur chaque alinéa.

Ainsi, au cours de la première lecture, nous façonnons nos pensées et nos idées sur la loi, en entendant ce que disent ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord, en leur répondant, en réfléchissant à nos arguments et contre-arguments.

Je vous invite aussi, mes chers collègues, à lire notre production lorsque nous adoptons un article modifié par dix ou quinze amendements. Vous verrez que le texte n’est pas d’une grande limpidité, qu’il n’est pas linéaire, qu’il est assez complexe à lire. La loi est parfois abrupte et râpeuse, rédigée dans une langue qui ne coule pas de source. Et c’est normal, parce que nous avons intégré les apports des uns et des autres.

Il arrive même quelquefois que la loi soit contradictoire, qu’elle contienne des omissions ou des oublis. On ne trouve pas du premier coup la bonne façon d’écrire la loi. J’en veux pour preuve ce texte adopté dans une grande précipitation en 2013, après une seule lecture rapide, et sur lequel nous avons dû revenir récemment, car une disposition importante avait été omise.

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