Dès son discours de Bayeux en 1946, il relevait qu’une seconde assemblée parlementaire, suivant un mode d’élection et une composition différents de l’Assemblée nationale, devait avoir pour fonction d’examiner, avec sérénité et clairvoyance, ce que celle-ci avait voté.
Le Sénat a souhaité inscrire à son ordre du jour, sur l’initiative du groupe du RDSE, un débat visant à esquisser un « bilan » et « des perspectives » sur le « rôle du bicamérisme dans nos institutions ». Ce moment est, à mon sens, utile à votre institution elle-même, par une certaine forme d’introspection, mais aussi à tous les acteurs et observateurs de la vie institutionnelle.
La question de la présence du Gouvernement dans un tel débat pourrait même être posée : nous ne sommes pas dans un débat de contrôle. Toutefois, nous sommes dans un débat institutionnel, qui nous permet de revenir sur la riche histoire du bicamérisme et du Sénat de la Ve République, ainsi que sur les rapports entre les assemblées et le Gouvernement.
Si certains estiment que le Sénat reste avant tout une assemblée destinée à « tempérer les excès de la chambre élue par le plus grand nombre de citoyens », suivant les mots du professeur Pascal Jan, la Haute Assemblée incarne aussi la permanence, donc la force, de notre République.
Le Sénat s’est construit un rôle de défenseur des équilibres institutionnels et des libertés publiques, qui l’a parfois conduit à s’opposer frontalement au pouvoir exécutif. Ce n’est pas qu’il détiendrait le monopole de ces questions ou de ces préoccupations, mais il y est particulièrement sensible, parce qu’il cultive une prudence face à l’air du temps et face aux emballements politiques ou médiatiques.
Le bicamérisme français porte en lui l’idée même de contre-pouvoir, conformément à la théorie de Montesquieu, une idée qui peut sans doute contribuer à mieux faire valoir l’intérêt général.
Ne pouvant être dissous, le Sénat français est viscéralement attaché à son indépendance, même si cette dernière est peut-être plus forte lorsque sa majorité ne coïncide pas avec celle de l’Assemblée nationale. Le professeur Jean Garrigues rappelle ainsi que « le Sénat représente la possibilité de majorités d’idées aptes à dépolitiser certains enjeux, comme une sorte de conservatoire de la délibération parlementaire ».
Dès lors, la créativité et l’audace s’y expriment, parfois mieux qu’à l’Assemblée nationale, quelquefois même aux dépens des partis politiques.