Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’intention des auteurs de ce texte est peut-être très noble.
Mais nous savons malheureusement que les meilleures intentions peuvent tourner au cauchemar, surtout lorsqu’elles sont motivées par l’émotion. Or l’émotion était particulièrement intense à la suite de la tragédie du Rana Plaza.
Devons-nous opter pour un dispositif qui n’existe nulle part au monde et dont la rédaction est si vague qu’elle ouvre des brèches considérables dans le besoin de stabilité juridique des entreprises, placées dans un climat concurrentiel très difficile ?
Les normes auxquelles le plan de vigilance est censé veiller sont trop larges. On ne sait pas sur la base de quel droit – local, français ou international – elles s’appliqueront.
Il sera très difficile pour les entreprises de prouver qu’elles respectent la loi. Le dispositif sera très coûteux, voire impossible à mettre en œuvre pour toute la chaîne de sous-traitants et de fournisseurs. Les TPE et PME françaises seront confrontées à une difficulté particulièrement importante – je ne parle pas là des groupes du CAC 40 –, car les grandes entreprises concernées demanderont des garanties et des plans de vigilance en cascade à leurs sous-traitants et fournisseurs, créant un poids administratif et financier supplémentaire pour les petites entreprises et des risques de contentieux considérables pour toutes les entreprises.
Je veux illustrer mon propos. Que faut-il entendre par des « mesures de vigilance raisonnable, propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires » ? Presque chacun de ces mots suscite des interrogations.
Certes, la jurisprudence comblera les blancs laissés par le législateur. Mais les entreprises y verront une nouvelle épée de Damoclès, qui les rendra encore un peu plus vulnérables.
Le rapport de l’Assemblée nationale évoque, pour justifier l’intervention du législateur, une « exigence internationale ». Justement, est-il raisonnable d’avoir une attitude unilatérale et franco-française en ce domaine ? Nos entreprises doivent-elles supporter seules une nouvelle charge normative ? L’échelle pertinente sur le sujet dans un monde de concurrence internationale est-elle la France ? Bien sûr que non ! D’ailleurs, le Parlement européen le reconnaît dans sa résolution du 29 avril dernier, dans laquelle il demande à la Commission et au Conseil des initiatives « au niveau de l’Union ».
Que le Gouvernement s’attelle donc à la transposition de la directive du 22 octobre 2014, concernant la publication des informations non financières ! Il ne lui reste pas grand-chose à faire : la précédente majorité a largement anticipé ce texte, en adoptant l’article 225 de la loi Grenelle II, qui est déjà partiellement conforme à la directive.
Au demeurant, les entreprises françaises sont très engagées dans une démarche volontaire et efficace en matière de RSE, notre pays faisant même figure de leader mondial en la matière. Ainsi, 47 % de nos entreprises ont un système de management de la RSE considéré comme performant et exemplaire, contre seulement 40 % des entreprises au sein l’OCDE.
La responsabilité est au cœur du projet politique de la majorité sénatoriale. Mais la responsabilité a pour contrepartie la liberté. Cette liberté de conception et d’action est la condition sine qua non du progrès économique et social. Pas de responsabilité sans liberté !