Séance en hémicycle du 18 novembre 2015 à 21h45

Résumé de la séance

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  • vigilance

La séance

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La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (proposition n° 376 [2014-2015], résultat des travaux de la commission n° 75, rapport n° 74).

Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avons commencé l’examen de ce texte le 21 octobre dernier.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Joël Labbé.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, même si cela m’a beaucoup coûté, je me suis permis de vous adresser une lettre ouverte. Je souhaite vous exprimer le fond de ma pensée sur ce texte.

Au nom du groupe écologiste, je demanderai un scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi. Je le ferai d’abord sur chacun des amendements de suppression, si tant est qu’ils soient maintenus, …

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Le 24 avril 2013, les immeubles du Rana Plaza s’effondrent, faisant 1 138 morts et plus de 1 500 blessés. On se rend compte des conditions inacceptables de travail qui y avaient cours.

Les étiquettes des commanditaires ont parlé : Carrefour, Auchan, Camaïeu. Ces marques, qui étalent chez nous leurs belles vitrines, ont une part énorme de responsabilité, par la pression qu’elles exercent pour profiter de coûts toujours plus bas, imposer des délais de production toujours plus courts et, bien entendu, dégager des marges toujours plus importantes.

Comment cautionner ces formes nouvelles d’un abominable esclavage moderne, dissimulé dans un contexte de mondialisation par des relations obscures de sous-traitance et de filialisation ?

La présente proposition de loi est très modérée. Elle prévoit l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de vigilance. Seules les atteintes graves aux droits humains sont visées. En réalité, ce texte ne fait que rendre effectifs les engagements internationaux de la France en matière d’environnement, de droits humains et de droit du travail, notamment les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.

Quels sont les arguments avancés par ceux qui s’y opposent ? Le principal, c’est celui de la compétitivité des sociétés françaises.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Vient ensuite l’argument habituel selon lequel c’est à l’Europe de se positionner. Comme si l’Europe, ce n’était pas nous !

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

D’autres pays européens se préparent d'ailleurs à adopter des dispositions similaires à celles que nous examinons ce soir.

La France n’a-t-elle pas le devoir d’aller de l’avant ? Je parle de la France, pays des Lumières, pays des droits de l’homme ; je parle de cette France rebelle, de cette France qui se tient debout aujourd'hui ! N’est-ce pas le moment pour elle de retrouver toute sa fierté, toute sa dignité ? Ensuite, les autres pays d’Europe, puis l’Union européenne suivront. Et, enfin, c’est sur la planète entière que les droits humains seront respectés !

Le rôle du Sénat a été, me semble-t-il, bien défendu cet après-midi sur toutes les travées de l’hémicycle. Mais, il faut le dire, aujourd'hui, l’image de notre institution aux yeux des Françaises et des Français n’est pas terrible !

Adopter la présente proposition de loi, ce serait justement l’occasion de réhabiliter le rôle politique de la Haute Assemblée. Ce serait l’occasion de défendre l’intérêt public, l’intérêt du bien public, l’intérêt des générations futures. Ce serait l’occasion d’être véritablement moteur sur la question des droits humains, pour que ceux-ci soient respectés partout dans le monde ! Définitivement !

Aujourd'hui, nous sommes en deuil. On parle beaucoup, et à juste titre, des morts ! Combien de familles endeuillées ? Combien de familles qui nous inspirent de la peine ? Mais la vie a la même valeur partout, sur toute la planète !

Alors, pourquoi un tel blocage ?

D’abord, une motion préjudicielle a été déposée en commission, afin d’enterrer complètement le texte. Pour ma part, j’ai découvert cette manière de procéder ! Fort heureusement, cette motion n’a pas été votée.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

En séance, des amendements de suppression seront présentés pour empêcher le texte de passer.

Étant curieux de nature, je me suis renseigné pour savoir d’où une telle opposition venait. Et je suis remonté jusqu’à l’Association française des entreprises privées. Ici, cette organisation pèse sur le parti politique qui tient à ce que la proposition de loi ne soit pas votée. Je tiens à le dire haut et fort ! Il faut le savoir, l’Association française des entreprises privées réunit tous les patrons du CAC 40 et des grandes sociétés françaises !

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Il faut absolument que le Sénat entende cette association et l’interroge sur ses motivations !

J’ai demandé un scrutin public, car je souhaite que chaque sénatrice et que chaque sénateur exprime son vote en son âme et conscience. J’espère que nos collègues absents ce soir ont pu faire connaître leur avis sur ce texte auprès de leur groupe. Oser voter à la place de quelqu'un qui n’a pas donné son avis serait une grave erreur politique !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, face aux nouvelles formes d’esclavage et aux risques de dommages corporels ou environnementaux graves qu’entraînent certaines activités économiques dans le monde globalisé, nous ne pouvons pas rester indifférents.

Les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, mais aussi les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économique, l’OCDE, énoncés dès 1976, et la Déclaration de principes tripartite de l’Organisation internationale du travail sur les entreprises multinationales et la politique sociale, rédigée en 1977, définissent un ensemble de normes applicables aux entreprises en matière de bonnes pratiques et de respect des droits de l’homme. Les législations nationales peuvent et doivent s’appuyer sur cet ensemble.

La Commission européenne encourage les États membres de l’Union européenne à transposer ces différents principes dans leur droit national.

En France, la « jurisprudence Erika » reconnaît la compétence des juridictions françaises à juger des faits survenus en dehors du territoire français et sanctionne la négligence de la société mère pour les agissements de ses filiales.

Des catastrophes comme l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, au mois d’avril 2013, ou des pratiques moins visibles, mais tout aussi condamnables, à l’instar du travail des enfants, de la pollution de l’environnement et, plus largement, de tout ce qui bafoue les droits élémentaires des travailleurs nous incitent à prendre des mesures.

Le texte que nous examinons ce soir avait d’ailleurs été précédé par une première proposition de loi du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste de l’Assemblée nationale.

Concrètement, il s’agit d’obliger les entreprises de plus de 5 000 salariés en France et de plus de 10 000 salariés dans le monde à établir, à publier et à mettre en œuvre un « plan de vigilance » comportant des mesures propres à identifier et à prévenir les dommages corporels ou environnementaux graves, les risques sanitaires et même d’éventuelles atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales susceptibles de résulter des activités des sociétés que les multinationales contrôlent, mais aussi des sous-traitants ou des fournisseurs avec lesquels elles entretiennent une « relation commerciale établie ». Le plan de vigilance doit également permettre de lutter contre la corruption.

Ce plan est la clé de voûte du dispositif. Il serait intéressant d’en connaître d’ores et déjà plus précisément les contours. Au fond, il s’agit pour les entreprises de mettre en place un cahier des charges, afin d’abolir les pressions parfois inhumaines que subissent les salariés, dans les pays en développement, mais aussi, souvent, malheureusement, en France.

Au-delà de la prévention des risques, ce texte a aussi pour objet d’offrir des possibilités de réparations pour les victimes. C’est précisément l’enjeu crucial qu’a révélé l’affaire du Rana Plaza. Pour ce faire, la possibilité d’engager des actions en responsabilité à l’encontre des sociétés concernées est ouverte.

Le débat sur la responsabilité sociale et environnementale, la RSE, est d’ores et déjà bien engagé au sein des grands groupes. L’enjeu est économique autant que moral. Nous savons combien la préservation d’une image de marque et d’une bonne réputation entre en ligne de compte dans les plans stratégiques des entreprises.

Ce que cette proposition de loi cherche à encadrer, c’est l’acte de contractualisation. C’est dans ce domaine précis que les entreprises doivent mettre en œuvre leur devoir de vigilance.

J’en appelle à la responsabilité du consommateur. C’est lui qui a in fine le pouvoir de trancher, ou non, en fonction des pratiques plus ou moins vertueuses des entreprises.

Le groupe RDSE comprend bien les préoccupations des auteurs du texte et reste viscéralement attaché aux principes d’égalité et de responsabilité. Aussi, ses membres se partageront, pour l’essentiel, entre un vote pour et un vote d’abstention.

Personnellement, j’apporterai un soutien total à cette proposition de loi !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au XVIe siècle, Saint François de Sales disait que l’enfer était « pavé de bonnes intentions ».

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je crains malheureusement que cette maxime ne s’applique trop bien à la présente proposition de loi de nos collègues socialistes.

Les bonnes intentions sont clairement affichées. M. Labbé évoquait à l’instant le drame survenu récemment au Bangladesh, en rappelant le nombre de victimes. C’est l’une des raisons qui ont motivé les auteurs de cette proposition de loi.

L’adoption de ce texte serait à l’évidence lourde de conséquences pour nos entreprises, et seulement pour « nos » entreprises, c’est-à-dire celles qui ont leur siège social en France. C’est bien ce qui nous pose problème !

Car enfin, mes chers collègues, comment pouvez-vous envisagez d’alourdir les contraintes qui pèsent sur les seules entreprises dont le siège social est en France, dans la situation qu’elles connaissent aujourd’hui, sans penser aux conséquences ?

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Selon vous, les gens qui se font écraser, ce n’est pas grave ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Qui, sur les travées socialistes, oserait nier que nos entreprises sont toujours confrontées à une situation très difficile en termes de compétitivité, alors que le Président de la République a fini par le reconnaître, en présentant ses vœux aux Français le 31 décembre 2013 ?

Qui pourrait le nier, alors que, à la suite du mea culpa fiscal du Président de la République, le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, est allé jusqu’à faire profession de foi en faveur des entreprises, déclarant devant le congrès du MEDEF, qui n’en revenait pas : « J’aime l’entreprise ! » ?

Qui pourrait le nier, alors que, en dépit de la lente montée en charge du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, le CICE, censé corriger l’avalanche de taxes et d’impôts des années 2012 et 2013, le taux de marge des entreprises françaises était encore l’an dernier l’un des plus faibles d’Europe et même du monde ?

Mes chers collègues, si vous partagez ce constat, qui est aussi celui du Président de la République et du Premier ministre, qu’êtes-vous en train de faire ?

Croyez-vous sincèrement aider nos entreprises à reconquérir des parts de marché, alors qu’elles font trop souvent face, en France, à une surréglementation, le plus souvent du fait d’une surtransposition du droit européen ?

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Les multinationales ne paient pas d’impôts !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Faut-il encore en rajouter, alors que nos entreprises ont connu une chute de leurs parts de marché dans le commerce mondial de 3, 1 % sur les biens au premier trimestre de 2015 et de 3, 5 % sur les biens et les services en 2014 ?

Vous appelez de vos vœux la croissance. Mais elle n’atteindra probablement que 1, 2 % en 2015. Et encore ! C’est grâce à des facteurs exogènes, comme la baisse de l’euro, la baisse du coût des matières premières ou la faiblesse des taux d’intérêt. Et vous prendriez le risque d’imposer à nos entreprises des contraintes nouvelles que nulle autre entreprise au monde ne supportera ? Ce n’est ni raisonnable ni très cohérent.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Et c’est raisonnable de laisser les gens mourir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Cette proposition de loi ajoute à l’évidence de la complexité et des coûts dans la gestion de nos entreprises. C’est donc un texte antiéconomique. Vous n’en évaluez pas les conséquences. D’ailleurs, vous ne pouvez pas les évaluer.

La proposition de loi impose une obligation de résultat. Les entreprises seront soumises à la « mise en œuvre effective » d’un plan de vigilance. En d’autres termes, la simple survenance d’un dommage sera la preuve de l’insuffisance du plan, qui n’aura pas été en mesure de le prévenir.

Il résultera de cette obligation de résultat des contraintes bureaucratiques lourdes et des contrôles nécessaires de tous les sous-traitants, y compris à l’étranger. Chers collègues, vous nous expliquerez comment vous allez pouvoir traduire cela dans les textes. Les entreprises soumises à cette obligation connaîtront in fine une hausse de leurs coûts de production. C’est une évidence.

Il faut également s’attendre à une multiplication des contentieux. L’injonction à l’encontre des entreprises qui ne respectent pas leur obligation est ouverte à « toute personne justifiant d’un intérêt à agir ». Ainsi, tout syndicat, toute association, toute organisation non gouvernementale, ou ONG, arguant d’une préoccupation plus ou moins liée à la responsabilité sociale de l’entreprise pourra saisir le juge.

En cas de condamnation, les entreprises seront soumises à des pénalités particulièrement lourdes. L’amende civile peut en effet aller jusqu’à 10 millions d’euros. C’est un montant disproportionné lorsqu’il s’agit d’une simple erreur d’appréciation, d’un défaut d’établissement du plan de vigilance ou encore de son insuffisance.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Le texte prévoit également l’obligation de publier, diffuser ou afficher la décision du juge selon les modalités qu’il précise.

Oui, ces dispositions auront des conséquences sur la compétitivité de nos entreprises, grandes ou petites ! Elles feront le bonheur de la concurrence étrangère, qui n’en demande pas tant.

Songez-y, mes chers collègues : ce texte concernera les 217 grandes entreprises françaises qui, selon les chiffres de l’INSEE en 2011, représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires réalisé à l’export ! L’adoption de cette proposition de loi entraînera à coup sûr une dégradation de notre balance commerciale, qui n’en a pas besoin !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Par ailleurs, mes chers collègues, interrogez-vous sur le risque encouru de pousser ces entreprises à se délocaliser ! Interrogez-vous sur le signal adressé aux investisseurs étrangers, qui seront encore moins enclins à choisir la France !

Voulez-vous fragiliser les entreprises de taille intermédiaire et les PME françaises qui travaillent avec les grandes entreprises nationales ? C’est toute la chaîne de production qui aura à en subir les conséquences ! Les grandes entreprises, pour se garantir, devront répercuter sur leurs sous-traitants le coût de contraintes qui n’existent nulle part ailleurs et que les petites entreprises n'auront pas les moyens matériels d'assumer. C’est encore une évidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Enfin, vous créeriez un nouvel effet de seuil pour les entreprises de taille intermédiaire de moins de 5 000 salariés, qui pourraient évidemment hésiter à embaucher pour ne pas être soumises à une obligation aussi lourde.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Vous devriez peut-être vous demander pourquoi, ma chère collègue ! Il est possible que cela ait un rapport avec vos nombreuses propositions « frappées au coin du bon sens », comme la taxe à 75 % ou le matraquage fiscal !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

La conséquence, c’est que les contribuables qui le peuvent s’en vont !

Vos textes sont inapplicables ! Ils ne rapportent pas d’argent ! Ce sont ceux qui auraient les moyens de payer des impôts qui ne sont plus là ! Et vous voudriez courir le même risque avec les entreprises ? Vous vous moquez peut-être des délocalisations, mais permettez-nous de nous en soucier !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

En fragilisant encore un peu plus le tissu entrepreneurial français et la compétitivité des entreprises, c’est bien sur l’emploi en France que la proposition de loi aura des répercussions.

Au-delà des arguments économiques, il y a de vrais problèmes juridiques. Je vais en dresser la liste. Le Conseil constitutionnel aura certainement à en connaître.

Tout d’abord, le texte méconnaît l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi. Aucune entreprise n’a les moyens de savoir ce que doit comporter le plan de vigilance ou ce que sont les « mesures de vigilance raisonnable » à mettre en œuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Le renvoi à un décret emporte la critique de l’incompétence juridique née de l’article 34 de la Constitution.

Ensuite, la proposition de loi viole les exigences constitutionnelles en matière pénale. L’amende civile constitue une sanction et doit, de ce fait, respecter le principe de légalité pénale. Cela implique un impératif de précision que le texte ne respecte ni sur la définition du champ d’application, ni sur la qualification juridique de l’infraction, ni sur le référentiel applicable. S’agira-t-il de la loi française ? De la loi locale ? D’un autre référentiel ? Nous n’en savons rien.

De même, le texte ignore le principe d’égalité. Seules les entreprises dont le siège est en France seront concernées par ce texte. Leurs concurrentes pourront continuer à vendre sur le territoire national des produits ne répondant pas aux mêmes exigences.

Le critère retenu du nombre de salariés est dépourvu de tout rapport avec les finalités que le dispositif affirme poursuivre. En témoigne la récente décision du Conseil constitutionnel censurant le plafonnement des indemnités de licenciement en fonction de la taille de l’entreprise.

Enfin, la proposition de loi se heurte à la garantie des droits.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Lorsqu’un dommage se réalisera du fait d’une filiale ou d’un sous-traitant, les sociétés mères seront considérées comme coupables de ne pas avoir conçu ou mis en œuvre un plan de vigilance suffisant. Mais elles ne disposeront d’aucune possibilité de dégager leur responsabilité en démontrant leur absence d’implication ou de faute.

Voilà pour les arguments juridiques.

En réalité, ce texte révèle un léger problème de méthode au sein du Gouvernement et, plus généralement, au sein de la majorité. Je veux parler de ces allers et retours incessants. D’un côté, nous avons un discours pro-entreprise, pro-business, lorsque le Premier ministre appelle de ses vœux le retour de la croissance et affirme devant le patronat français son intention de tout faire pour soutenir la compétitivité des entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

De l’autre, nous avons cette proposition de loi, qui est un simple cadeau fait à une partie de la majorité, en l’occurrence la gauche de la gauche, au moment du vote du budget.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Ne vous inquiétez pas pour la gauche de la gauche !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

On sait bien combien cette période est difficile pour la majorité. C’est ce qui conduit le Gouvernement à lâcher un peu de lest…

Ce qui est un peu déroutant, c’est le double langage du Premier ministre. Il est capable à la fois de se montrer pro-business et d’accepter ce texte, qui pose de réelles difficultés à nos entreprises. Je pense que vous pourriez au moins entendre ces arguments.

De notre côté de l’hémicycle, personne n’est dupe. Quelle que soit la destinée de cette proposition de loi, le Gouvernement n’aura réussi qu’une chose : dégrader encore un peu plus le climat de confiance. Nous n’en avons pas besoin !

Par conséquent, le groupe Les Républicains se prononcera bien évidemment contre ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, dans le contexte national, il est évidemment très délicat d’aborder un tel débat, même si nous l’attendions avec impatience. Des représentants du Bangladesh devaient être en France ces jours-ci ; nous espérions pouvoir évoquer ce texte avec eux. Ils ont reporté leur séjour, pour des raisons faciles à comprendre.

Malgré l’état d’urgence, la démocratie parlementaire reprend ses droits et, avec elle, la discussion. Je sens poindre un débat tout en nuances, agrémenté de positions très équilibrées, comme en témoigne l’intervention du précédent orateur !

Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Je m’en félicite, parce que cela fait partie intégrante de la démocratie.

Monsieur le rapporteur, vous avez eu le bon goût de renoncer à défendre votre motion préjudicielle. Ce procédé inusité aurait empêché le débat. Il me semble préférable de discuter, d’amender, et non d’esquiver. Je regrette donc que vous n’ayez pas souhaité améliorer ce texte, alors même que vous prétendez partager bon nombre de ses objectifs.

Dans la mesure où nous faisons le droit national, je ne comprends pas que vous souhaitiez ajourner nos débats en attendant l’avis de Bruxelles. C’est doublement étonnant.

Premièrement, avec un tel raisonnement, la France n’aurait pas été pionnière en matière de responsabilité sociale des entreprises. Les avancées législatives françaises de 2001 et de 2010 du « Grenelle II » n’auraient pas existé, l’Europe ne s’étant pas encore prononcée à l’époque. Fort heureusement, les gouvernements, l’un de droite, l’autre de gauche, n’ont pas attendu la permission de Bruxelles pour avancer sur ces dossiers. Celui qui fixe les règles du jeu international, celui qui montre l’exemple, dispose bien souvent d’un avantage compétitif.

Deuxièmement, Dominique Potier, l’un des rédacteurs du texte que nous étudions aujourd’hui, affirme que, avec un tel raisonnement, nous n’aurions pas pu abolir l’esclavage. La comparaison peut sembler osée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Pourtant, les faits la valident. L’esclavage n’a pas été abrogé en un jour par un accord concerté de l’ensemble des nations. Les abolitionnistes ont dû lutter, chacun dans leur pays respectif, pour l’obtenir.

C’est dans cette logique que nous nous inscrivons. On ne cesse pourtant de nous répéter : « plus tard », « ailleurs », « pas ici », « pas maintenant ». On nous demande, comme le faisait M. Dallier à l’instant, si nous avons bien pensé aux parts de marché de nos entreprises.

Nous l’avons bien compris : sur ce type de sujet, ce n’est « jamais le bon endroit; jamais le bon moment ». Puisque les opposants à ce texte invoquent l’argument de la compétitivité, je centrerai mon propos sur l’économie.

Le monde dans lequel nous vivons change, très vite. Le consommateur et le citoyen sont une seule et même personne. Et cette personne considère évidemment le prix avant de procéder à un achat, surtout si elle connaît des difficultés, mais ce n’est pas son seul critère. Elle pense également aux conséquences en termes d’emploi, d’environnement et de respect des droits de l’homme. Pourquoi croyez-vous que les consommateurs soient de plus en plus exigeants sur la traçabilité des produits qu’ils achètent ? Pourquoi croyez-vous qu’ils se tournent vers le made in France aujourd'hui ?

Tout simplement parce qu’ils regardent le monde tel qu’il est, et pas tel qu’ils souhaiteraient le voir ! Ils savent que les multinationales ne sont pas toujours vertueuses, qu’il faut parfois encourager les grands groupes à améliorer la mondialisation et qu’il faut parfois recourir à la loi. C’est la raison pour laquelle je soutiens ce texte aujourd’hui.

Je suis conscient des progrès accomplis par les grands groupes en matière de responsabilité sociale et environnementale. Le 3 novembre dernier, le géant suédois du textile H&M, la fédération syndicale internationale IndustriAll Global Union et le syndicat suédois IF Metall ont signé un accord-cadre mondial sur le respect des droits fondamentaux dans la chaîne d’approvisionnement. En bougeant sur le sujet, ils nous ont montré la voie à suivre. Accompagnons-les ! Cessons d’être à la remorque ! Quand les groupes seront devenus plus compétitifs parce que les consommateurs auront reconnu leurs efforts, ils nous remercieront !

Je veux d’ailleurs reprendre un argument qui a été développé par notre collègue Évelyne Didier lors de la première partie de ce débat. Nos entreprises craignent moins des règles exigeantes qu’une absence de règles et une insécurité juridique permanente. Pour preuve, selon le baromètre HEC, 93 % des grands donneurs d’ordre européens considèrent les achats responsables comme une priorité.

Cette semaine, le Forum pour l’investissement responsable s’est déclaré favorable à notre proposition de loi, avec des arguments similaires. Ses membres déclarent que la transparence et l’information sont « des conditions nécessaires à l’analyse des investissements ». Ils soulignent également que l’analyse des controverses est « devenue, ces dernières années, une question-clé pour les investisseurs responsables ». À leurs yeux, le plan de vigilance sera « un outil technique utile pour l’analyse de ces controverses ».

Avec de telles références, j’espère vous convaincre, monsieur Frassa. Les acteurs économiques ne raisonnent plus seulement « prix et de qualité ». Ils pensent aujourd’hui « coût total de possession », acceptant un coût unitaire plus élevé s’il leur garantit la pérennité et la fiabilité des livraisons.

Et si ma voix ne suffisait pas à vous faire changer d’avis sur ce texte, je tiens à vous rappeler la multitude de soutiens publics à cette initiative. Je pourrais mentionner M. Berger, de la Confédération française démocratique du travail, la CFDT, M. Lyon-Caen, juriste émérite, l’ensemble des syndicats au moment de la conférence sociale ou les ONG, notamment via la plate-forme Éthique sur l’étiquette.

En tant que sénateurs, nous ne sommes pas, je crois, « spectateurs du désespoir », pour reprendre une jolie formule des rappeurs du groupe IAM. Nous pouvons aussi être les acteurs de l’espoir. Pour cela, il nous appartient de passer aux actes et de voter ce texte. Prise lors de la semaine de la solidarité internationale, cette décision serait utile à nos entreprises ici et à tous les salariés, où qu’ils soient. Ce serait une réelle avancée sociale et un beau symbole !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’intention des auteurs de ce texte est peut-être très noble.

Mais nous savons malheureusement que les meilleures intentions peuvent tourner au cauchemar, surtout lorsqu’elles sont motivées par l’émotion. Or l’émotion était particulièrement intense à la suite de la tragédie du Rana Plaza.

Devons-nous opter pour un dispositif qui n’existe nulle part au monde et dont la rédaction est si vague qu’elle ouvre des brèches considérables dans le besoin de stabilité juridique des entreprises, placées dans un climat concurrentiel très difficile ?

Les normes auxquelles le plan de vigilance est censé veiller sont trop larges. On ne sait pas sur la base de quel droit – local, français ou international – elles s’appliqueront.

Il sera très difficile pour les entreprises de prouver qu’elles respectent la loi. Le dispositif sera très coûteux, voire impossible à mettre en œuvre pour toute la chaîne de sous-traitants et de fournisseurs. Les TPE et PME françaises seront confrontées à une difficulté particulièrement importante – je ne parle pas là des groupes du CAC 40 –, car les grandes entreprises concernées demanderont des garanties et des plans de vigilance en cascade à leurs sous-traitants et fournisseurs, créant un poids administratif et financier supplémentaire pour les petites entreprises et des risques de contentieux considérables pour toutes les entreprises.

Je veux illustrer mon propos. Que faut-il entendre par des « mesures de vigilance raisonnable, propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires » ? Presque chacun de ces mots suscite des interrogations.

Certes, la jurisprudence comblera les blancs laissés par le législateur. Mais les entreprises y verront une nouvelle épée de Damoclès, qui les rendra encore un peu plus vulnérables.

Le rapport de l’Assemblée nationale évoque, pour justifier l’intervention du législateur, une « exigence internationale ». Justement, est-il raisonnable d’avoir une attitude unilatérale et franco-française en ce domaine ? Nos entreprises doivent-elles supporter seules une nouvelle charge normative ? L’échelle pertinente sur le sujet dans un monde de concurrence internationale est-elle la France ? Bien sûr que non ! D’ailleurs, le Parlement européen le reconnaît dans sa résolution du 29 avril dernier, dans laquelle il demande à la Commission et au Conseil des initiatives « au niveau de l’Union ».

Que le Gouvernement s’attelle donc à la transposition de la directive du 22 octobre 2014, concernant la publication des informations non financières ! Il ne lui reste pas grand-chose à faire : la précédente majorité a largement anticipé ce texte, en adoptant l’article 225 de la loi Grenelle II, qui est déjà partiellement conforme à la directive.

Au demeurant, les entreprises françaises sont très engagées dans une démarche volontaire et efficace en matière de RSE, notre pays faisant même figure de leader mondial en la matière. Ainsi, 47 % de nos entreprises ont un système de management de la RSE considéré comme performant et exemplaire, contre seulement 40 % des entreprises au sein l’OCDE.

La responsabilité est au cœur du projet politique de la majorité sénatoriale. Mais la responsabilité a pour contrepartie la liberté. Cette liberté de conception et d’action est la condition sine qua non du progrès économique et social. Pas de responsabilité sans liberté !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Pour cette raison, une société bridée, mise sous tutelle, infantilisée est prompte à se défausser de ses responsabilités.

Que nous propose-t-on ? Ce texte, autant qu’un dispositif juridique, est un état d’esprit ! On stigmatise nos entrepreneurs. On considère l’entreprise non comme créatrice de richesses, mais comme source de dommages. On n’encourage pas ; on sanctionne. On ne valorise pas ; on châtie. On ne fait pas confiance ; on soupçonne.

À propos de confiance; permettez-moi de vous rappeler une déclaration : « Vous êtes des chefs d’entreprise, donc vous prenez des risques, pour vous-mêmes, parfois pour votre famille. Vous prenez des risques aussi pour que notre pays soit plus fort, qu’il crée plus d’emplois, qu’il ait plus de richesse et qu’elle soit distribuée.

« C’est la raison pour laquelle nous devons avoir, avec les chefs d’entreprise […], une relation de confiance. »

Cet appel à la confiance a été adressé par le Président de la République aux entrepreneurs voilà quatre mois. Mais, lors du débat qui s’est tenu à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a donné un signal politique tout à fait contraire en soutenant ce texte. Comment parler de confiance dans ces conditions ? Pour ma part, je retiens ce que nous disent les entrepreneurs que nous rencontrons depuis des mois avec la délégation sénatoriale aux entreprises, sous l’impulsion de sa présidente Élisabeth Lamure : « Laissez-nous travailler ! »

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

M. Michel Vaspart. Telles sont les raisons pour lesquelles je ne voterai pas ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale.

Après l’article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 225 -102 -4. – I. – Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.

« Ce plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. Les mesures du plan visent également à prévenir les comportements de corruption active ou passive au sein de la société et des sociétés qu’elle contrôle.

« Le plan de vigilance est rendu public et inclus dans le rapport mentionné à l’article L. 225-102.

« Un décret en Conseil d’État précise les modalités de présentation et d’application du plan de vigilance, ainsi que les conditions du suivi de sa mise en œuvre effective, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale.

« II. – Toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut demander à la juridiction compétente d’enjoindre à la société, le cas échéant sous astreinte, d’établir le plan de vigilance, d’en assurer la communication au public et de rendre compte de sa mise en œuvre conformément au I.

« Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins.

« III. – Le juge peut prononcer une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d’euros. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal. »

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Nous l’avons compris, avec les amendements de suppression déposés par la commission, il ne nous sera pas possible de défendre nos propres amendements. Compte tenu des propos que nous avons entendus, nous ne nous faisons guère d’illusions.

Aussi, je tiens à rappeler les raisons pour lesquelles nous avions déposé nos amendements.

À l’article 1er, nous souhaitions rappeler les éléments qui nous semblent essentiels pour donner toute son effectivité à cette proposition de loi.

L’amendement n°5, que nous considérions comme un amendement d’appel, visait à souligner la difficulté d’identifier la chaîne de la sous-traitance. Nous voulions montrer la perfectibilité de la proposition de loi s’agissant de l’identification de la chaîne de valeur.

En effet, la notion de « relation commerciale établie » risque de ne pas englober la sous-traitance en cascade, qui est pourtant mentionnée dans l’exposé des motifs. Nous proposions tout simplement une plus grande clarté dans la rédaction, afin de rendre le texte de la proposition de loi conforme aux objectifs de l’exposé des motifs.

Certes, la notion de « relation commerciale établie » est plus large que celle d’influence réelle. Mais elle reste sujette à interprétations. Le rapporteur à l’Assemblée nationale en a ainsi donné la définition suivante : « relation durable dont chaque partenaire peut raisonnablement anticiper la poursuite pour l’avenir ». Il semble donc que soient exclus les cocontractants occasionnels, même lorsqu’il s’agit de commandes extrêmement importantes. Notre amendement aurait permis de mieux appréhender la réalité complexe des chaînes de valeur.

De même, et c’était l’objet de notre amendement n° 6, il est impensable que les syndicats et les représentants du personnel ne soient pas informés du contenu du plan de vigilance. Ils sont parties prenantes d’une démarche RSE. Il nous semble donc essentiel que la présentation de ce plan devant le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail soit mentionnée dans la proposition de loi.

Enfin, nous pensons, et c’était l’objet de notre amendement n° 7, qu’il n’est pas opportun de plafonner l’amende civile à 10 millions d’euros en cas de non-respect de la mise en place du plan de vigilance. Cette disposition peut fragiliser le texte. En effet, selon de nombreux juristes, en cas de saisine, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait considérer que cette amende civile possède en fait, de par sa nature comminatoire, un caractère pénal et que le devoir de vigilance n’est pas suffisamment défini dans le texte, en contradiction avec le principe de légalité des délits et des peines.

C’est pourquoi il nous paraîtrait plus judicieux que le juge puisse prononcer une amende proportionnée au chiffre d’affaires de la société ou du groupe concerné. Cela se révélerait in fine bien plus dissuasif.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Monsieur le rapporteur, chers collègues de droite, vous avez choisi une stratégie : trois articles, trois suppressions ! C’est votre choix. Il est respectable. Vous le fondez sur deux motifs.

Le premier est d’ordre juridique. Vous ne voulez ni d’une loi contraignante ni de dérogations au droit commun de la responsabilité. Or, ayant lu le rapport écrit de la commission avec attention, comme je le fais toujours, je constate que vous citez vous-même des dérogations au code du travail, monsieur le rapporteur ! Il existe déjà une dérogation au droit de la responsabilité par rapport au travail dissimulé.

Votre second motif est d’ordre économique. Selon vous, il y aurait un risque disproportionné pour la compétitivité et l’attractivité des entreprises françaises à l’échelle européenne et mondiale. Cet argument vous permet, fort habilement, je le reconnais, de vous en remettre à la directive européenne relative au reporting extrafinancier, que nous devons transcrire dans notre droit national avant la fin de l’année 2016, comme tous les États membres. Il eût été intéressant de nous indiquer votre conception de la transposition. Mais vous n’en parlez pas !

Vous faites le choix de la facilité, en vous réfugiant derrière les principes directeurs de l’OCDE. Je connais bien ce sujet, pour avoir été le point de contact entre la France et cette institution dans une vie antérieure ; je suis souvent intervenue à cet égard à la suite du drame du Rana Plaza. Vous l’avez souligné tout à l’heure, notre pays est un bon exemple, souvent cité, pour tous les pays de l’OCDE. Les entreprises françaises appliquent la RSE du mieux qu’elles peuvent.

La question qui est posée à tous les parlementaires, de droite comme de gauche, est celle de ce que nous pouvons faire à l’échelle nationale pour rendre effectifs les principes de la responsabilité sociale des entreprises ? Or vous ne voulez pas y répondre !

Quand M. le Premier ministre a conclu la conférence sociale du 19 octobre dernier, il a adopté un point de vue différent du vôtre. Vous, vous considérez uniquement la contrainte ; lui a insisté sur le fait que la responsabilité sociale était davantage un levier pour la compétitivité des entreprises et l’attractivité de l’implantation en France. Il a dit très intelligiblement qu’un tel levier était efficace pour le suivi de la COP 21 et la préparation de la Conférence internationale du travail, qui doit se tenir à Genève au mois de juin 2016.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

L’article 1er de la proposition de loi tend à créer un plan de vigilance. Si vous aviez été constructifs, vous auriez dû nous aider à définir le contenu des modalités du plan, au lieu de dénoncer le renvoi à un décret en Conseil d’État.

Vous avez choisi une autre méthode, celle qui consiste à écarter le sujet. Pourtant, cette proposition de loi nous invite à réfléchir ; c’est sa grande vertu. Il est dommage que vous ne vouliez pas répondre à cette invitation !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L'amendement n° 14, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe-André Frassa

Monsieur le président, avec votre permission, je prendrai un peu plus de temps pour présenter l’amendement n° 14. L’argumentaire que je développerai vaudra également défense des amendements n° 15 et 16.

La présente proposition de loi a, certes, un objectif vertueux : faire davantage contribuer les entreprises françaises au respect des droits de l’homme et des normes sanitaires et environnementales, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le monde. La commission des lois a cependant conclu à son rejet, pour trois séries de raisons.

En premier lieu, le texte comporte de nombreuses imprécisions et ambiguïtés juridiques : incertitude sur l’éventuelle portée extraterritoriale pouvant résulter de l’extension du plan de vigilance aux sous-traitants et fournisseurs étrangers ; imprécision des normes de référence du plan de vigilance et contenu insuffisant du décret prévu pour préciser les dispositions relatives au plan ; incertitudes sur la procédure permettant d’enjoindre une société à établir le plan, et surtout sur celle permettant au juge de prononcer une amende civile en cas de manquement ; incertitudes sur la portée réelle du régime de responsabilité prévu en cas de manquement, du fait de l’extension du plan aux sous-traitants étrangers ; instauration d’une forme d’action de groupe permettant aux associations, en cas de manquement, d’agir en responsabilité sans être victimes ; obligation d’ingérence des sociétés mères dans la gestion de leurs filiales et sous-traitants.

Ces imprécisions soulèvent des interrogations d’ordre constitutionnel quant à de possibles atteintes au principe de clarté de la loi, à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, au principe de responsabilité et au principe selon lequel nul ne plaide par procureur.

En deuxième lieu, alors que la portée des législations étrangères comparables est beaucoup plus limitée, ce texte, dépourvu d’évaluation préalable, risque de porter une atteinte disproportionnée à la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de la France.

Les entreprises étrangères intervenant sur le marché français ne seraient pas soumises aux mêmes obligations, ce qui créerait en outre des distorsions de concurrence sur le marché européen.

Ces obligations auraient des conséquences sur les PME françaises sous-traitantes, du fait de l’extension du plan de vigilance, et imposeraient à l’ensemble des chaînes d’approvisionnement des grandes entreprises, en France et à l’étranger, des coûts de mise en œuvre et de contrôle du plan qui ne sont d’ailleurs pas évalués

En troisième lieu, l’Union européenne semble l’échelon pertinent pour traiter des préoccupations de ce texte, sur la base de la directive 2014/95/UE du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises. Cette directive prévoit que les entreprises doivent publier des informations sur leur politique de prévention des risques en matière sociale et environnementale, de droits de l’homme et de corruption, et rendre compte des procédures de diligence raisonnable qu’elles mettent en œuvre à cette fin.

Dans ces conditions, il n’est pas assuré que la proposition de loi soit un outil adapté pour atteindre efficacement l’objectif.

En conséquence, le présent amendement tend à supprimer l’article 1er de la proposition de loi.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Le gouvernement émet un avis tout à fait défavorable sur cet amendement.

J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur le fond, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Je ne retire rien de ce que j’ai dit. Le Gouvernement souhaite que l’on puisse progresser dans l’examen de ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Monsieur le rapporteur, vous avez d’abord tenté de bloquer l’examen de ce texte par le dépôt d’une motion préjudicielle, avant d’y renoncer devant la bronca soulevée.

Vous déposez à présent des amendements de suppression des différents articles de la proposition de loi, …

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

… au lieu d’en débattre sur le fond, voire d’essayer de l’améliorer.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Je dois vous reconnaître le mérite de la cohérence, dans la défense d’une certaine conception du fonctionnement du marché, libre et sans contrainte ou entrave. En revanche, je ne partage pas votre sens de l’action, ou plutôt de l’inaction politique.

Monsieur le rapporteur, dans le monde, et même dans notre pays, il existe des entreprises qui placent la recherche du profit au-dessus du respect des droits humains.

Mme Évelyne Didier acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Vous croyez à l’autorégulation du marché. Malheureusement, les faits vous donnent tort. Certains exemples récents, qui concernent parfois de grands groupes, comme Volkswagen ou Nestlé, en attestent.

Pour ma part, et en accord avec tous ceux qui soutiennent ce texte, je pense que la politique prime la dérégulation, qu’il est possible d’encadrer l’activité des entreprises pour prévenir le dumping social, environnemental et sur les droits humains. Je crois souhaitable de légiférer, y compris pour protéger les entreprises et renforcer leur compétitivité.

Vous considérez que la rédaction proposée comporte des imprécisions et des ambiguïtés juridiques.

Au contraire, ce texte est juridiquement fiable. Il repose – faut-il le rappeler ? – sur des fondements internationaux solides, qui s’imposent à tous les États les ayant ratifiés. C’est le cas de la France, ce dont nous pouvons être fiers.

Mais ces engagements ne peuvent se traduire dans la réalité que s’ils sont transposés dans le droit national. La Commission européenne nous incite à le faire. Nous vous proposons aujourd’hui de passer aux actes.

Ces textes, vous les connaissez. Il s’agit des principes directeurs sur les droits de l’homme et les entreprises, adoptés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies au mois de juin 2011, des principes directeurs de l’OCDE sur la responsabilité des multinationales et des normes de l’Organisation internationale du travail.

Les bases juridiques relatives au droit français ne peuvent pas être plus claires. La notion de « relation commerciale établie » engageant la responsabilité d’une entreprise à l’égard de ses filiales et sous-traitants est définie à l’article L. 442-6 du code de commerce et par la jurisprudence qui en découle.

J’en viens à l’impossibilité supposée d’apporter la preuve matérielle du respect de la loi. Le texte fixe une obligation de moyens. Il suffira à l’entreprise d’édicter et de mettre en œuvre un plan qu’elle aura déterminé en fonction de son champ d’activité et de la connaissance des risques afférents.

Il y aurait donc un paradoxe à considérer que le marché peut s’autoréguler tout en demandant un cadre rigide s’appliquant uniformément et indistinctement à toutes les entreprises.

C’est la raison pour laquelle nous voterons contre votre amendement de suppression de l’article 1er. Nous ferons de même sur les autres amendements de suppression ; j’aurai l’occasion d’y revenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Je ne reviens pas sur les arguments juridiques que notre collègue Didier Marie a développés. Je centrerai mon propos sur les motifs que la droite invoque pour réclamer la suppression des articles de ce texte.

Dans ce débat, nous ne sommes ni naïfs ni idéalistes. En revanche, l’économie nationale est bien mal défendue par vos conceptions vieillottes, ringardes et poussiéreuses, chers collègues de la majorité sénatoriale.

Nous défendons ce soir l’ambition d’une économie plus créative, plus ouverte au monde, s’adaptant aux nouvelles réalités de la mondialisation. Vous nous opposez des arguments cent fois entendus, anciens, racornis, sur une économie nationale qui devrait être beaucoup plus ouverte sur l’étranger, sur la mondialisation et sur ses conséquences sociales et environnementales.

L’ouverture de la COP 21 est proche. Il est donc de saison de rappeler la phrase prononcée par Jacques Chirac voilà quelques années : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ! » Ce soir, on serait tenté de dire : « Les enfants meurent et vous regardez ailleurs ! »

Nous voterons donc contre l’amendement de suppression de l’article 1er.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Le groupe de droite a demandé un scrutin public. D’un point de vue stratégique, j’aurais dû me garder de faire de même, sachant qui est majoritaire et qui est minoritaire aujourd’hui.

Pourtant, je maintiens ma demande de scrutin public. Je veux que tout le monde, y compris les nombreux absents, puisse s’exprimer. Je vous le dis dans les yeux, chers collègues : j’espère que vous avez consulté les membres de votre groupe pour connaître la position de chacune et de chacun, en son âme et conscience, sur ce texte.

Vous me répondrez que la conscience n’a pas lieu d’être ici. Au contraire, il est temps qu’elle recouvre sa place ! Et tant pis si ce vocabulaire est inhabituel !

En tout cas, au nom du groupe écologiste, je soutiendrai ce texte, et je continuerai de le soutenir, même si ces amendements de suppression sont adoptés de soir. D’ailleurs, du point de vue du débat démocratique, ce serait lamentable ! J’en serais profondément attristé, à l’instar des trois quarts de nos concitoyens, qui sont favorables à la responsabilité sociale des entreprises, selon un sondage réalisé par l’institut CSA au début de l’année.

Vous pouvez bien mobiliser des arguties juridiques pour justifier votre rejet de ce texte. Mais ce sont les droits humains qui sont en jeu !

L’orateur garde le silence pendant quelques instants.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Mon silence est lourd de sens ; il signifie que les temps sont graves. Il est important de donner des signes forts à la population française. J’entends trop souvent dire que les politiques ne servent à rien et qu’ils sont impuissants face au pouvoir économique et financier. On ne croit plus en nous, et on conclut qu’il est inutile d’aller voter. Voilà votre responsabilité !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Pascal Allizard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Je suis particulièrement gêné, et même choqué par la tonalité de ce débat.

Voilà cinq ans, dans la petite commune normande de 5 000 habitants dont je suis maire, un grand groupe multinational a fermé un site industriel, supprimant ainsi 330 emplois.

Le ministre chargé de l’industrie s’appelait à l’époque M. Besson. Je ne ferai pas de commentaires sur ce point, afin de ne pas être désagréable.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Mais rien n’a été fait.

Je le rappelle, un débat sur un texte tendant à interdire les licenciements boursiers a eu lieu dans cet hémicycle. À l’époque, j’étais seulement suppléant de sénateur. Le gouvernement actuel disposait alors de la majorité des sièges au sein de la Haute Assemblée. Pourtant, le texte n’est pas passé !

Quand j’entends parler de « conscience », je ne trouve pas cela de bon augure.

La fermeture du site de production que j’évoquais a eu lieu pendant la campagne présidentielle et législative de 2012. À l’époque, un futur ministre du redressement productif, M. Montebourg pour ne pas le nommer, est venu faire campagne dans ma commune, promettant que la fermeture du site serait empêchée en cas de victoire de son camp aux élections…

Vous avez gagné les élections, mais le site a fermé ! Je trouve donc curieux de vous entendre ce soir donner de leçons de morale et de bonne conscience !

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Si ! C’est tout à fait le propos ! Nous courons le danger que nos concitoyens ne croient plus en la parole politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Et, avec des débats comme celui de ce soir, nous alimentons la défiance.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Pour autant, et c’est la cause de ma gêne, je pense que nous sommes saisis d’une véritable question.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Malheureusement, avec cette proposition de loi, nous risquons d’y apporter une mauvaise réponse.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Ce texte risque de fragiliser encore plus la compétitivité nationale de la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

La bonne réponse à la question, si elle existe, se situe nécessairement à l’échelon européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Effectivement, les auteurs de la proposition de loi soulèvent une vraie question ; le texte a précisément pour objet de tenter d’y répondre.

Peut-être la réponse proposée n’est-elle pas parfaite. Peut-être le texte comporte-t-il des imprécisions. Mais vous avez la possibilité de l’améliorer !

Depuis 2013, il existe auprès du Premier ministre une plate-forme RSE qui rassemble des industriels, des ONG, des administrations et des organisations représentatives de salariés. Elle a émis un certain nombre de propositions, en se penchant notamment sur le problème des entreprises donneuses d’ordre et de la sous-traitance. En particulier, elle a proposé un dispositif extrêmement intéressant au mois de juillet dernier. Il s’agissait de faire en sorte que l’entreprise donneuse d’ordre se dote des moyens d’audit et de contrôle nécessaires pour s’assurer du respect de sa politique tout au long de la chaîne de valeur de créations de richesses. Voilà une proposition qui pouvait figurer dans le fameux plan de vigilance ! Vous auriez pu la formuler.

Ce qui est inacceptable, c’est que vous ayez choisi la méthode du vide, en partant du principe que le texte n’était pas améliorable. C’est ce que j’ai entendu M. le président de la commission des lois affirmer tout à l’heure. Or c’est très grave. Notre travail de parlementaires est d’arriver à une construction politique. En refusant de le faire, vous n’assumez ni votre rôle ni vos responsabilités.

À propos de compétitivité, savez-vous que les grandes entreprises cotées sont notées par des agences de notations qui prennent en compte l’argument de la responsabilité sociale assumée par les entreprises, via leurs informations extrafinancières ?

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Et les fonds d’investissement demandent cette notation !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Mme Nicole Bricq. Votre argument sur la compétitivité ne tient donc pas, notamment s’agissant des entreprises cotées en bourse.

M. Daniel Raoul applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Madame Bricq, il est assez paradoxal de vous entendre reconnaître que le texte n’est pas parfait…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

… et nous reprocher à nous de ne pas l’avoir amélioré ! C’est tout de même assez curieux de nous accuser de ne pas assumer nos responsabilités s’agissant d’un texte déposé par votre groupe !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Nous sommes d’accord sur ce point.

J’en viens au fond du sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Il est évident qu’un problème se pose. Personne ici ne prétend le contraire !

Mais, en l’état actuel, il ne nous paraît pas possible d’adopter des dispositions applicables aux seules entreprises françaises tandis que leurs concurrentes étrangères chez nous n’y seraient pas soumises !

Vous pouvez considérer que notre argument ne vaut pas. Mais nous, nous considérons qu’il vaut. Trouvons les moyens de régler au plus vite ce problème à l’échelon européen, afin d’éviter toute distorsion de concurrence.

Ne faites pas comme s’il y avait les bons et les méchants ! Ce débat a tout de même été légèrement caricatural… Certes, je peux comprendre que le sujet suscite de l’émotion.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Ce n’est pas de l’émotion ; c’est de la pensée politique !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Excusez-moi d’avoir perçu de l’émotion dans vos propos, mon cher collègue ! Mais je continue de penser qu’il y en avait !

Faisons attention à la manière dont nous légiférons. À nos yeux, ce n’est pas possible d’appliquer une législation à nos seules entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

J’ai entendu certains orateurs évoquer ce qu’ils considèrent être les « arguments de la droite ».

Mes chers collègues, lorsque le rapporteur de la commission des lois s’exprime, il ne le fait pas au nom d’un groupe politique. Ce n’est ni la droite, ni la gauche, ni le centre, ni un autre groupe qui parle. C’est la commission des lois du Sénat qui s’exprime, après avoir procédé à de nombreuses auditions, avec le souci de remplir son devoir.

Son devoir, c’est de rédiger la loi de telle manière que les obligations créées soient prévisibles pour ceux auxquels elle s’applique et que les sanctions instituées puissent se fonder sur un cadre juridique clair.

Ce que la commission des lois reproche à ce texte, ce ne sont pas les intentions de ses auteurs, qui sont bonnes.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il n’y a pas, dans cet hémicycle ou à la commission des lois, ceux qui ont une conscience politique et une générosité qui les placent au-dessus de tout soupçon et ceux qui seraient seulement mus par des intérêts inavouables.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il y a des législateurs qui ne veulent pas créer d’incertitudes dans le droit applicable, en l’occurrence, à des entreprises.

Or il suffit d’une lecture pour constater que le texte est entaché non pas d’insuffisances de rédaction, mais d’une insuffisance grave de conception.

Obliger une entreprise à adopter un plan, au titre d’un devoir de vigilance, avec des obligations aussi floues que « prévenir la réalisation de risques d’atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires » revient à créer dans notre droit un ensemble d’obligations dont le champ n’est pas précisé, ouvrant la voie à des incertitudes contentieuses majeures.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Oui, nos entreprises ont une responsabilité sociale ! Elles doivent l’assumer. Mais le moyen que vous imaginez pour renforcer cette obligation n’est certainement le bon.

Nous devrons, en écrivant la loi, la concevoir non pas comme un décor de théâtre que l’on dresse pour tenir des discours politiques, mais comme un ensemble d’obligations précises qui permettent des sanctions effectives quand elles ne sont pas respectées. Ce n’est nullement le cas avec ce texte.

C’est la raison pour laquelle la commission des lois vous invite à adopter l’amendement de suppression de l’article 1er.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

On ne peut pas laisser passer certains propos.

Les notations extrafinancières se multiplient. De plus en plus de fonds de toutes sortes demandent à disposer d’éléments de ce type pour pouvoir prendre des décisions d’investissement dans telle ou telle entreprise. C’est l’avenir !

Par ailleurs, vous vous souvenez tous de l’entreprise Tepco, qui possédait la centrale nucléaire japonaise qui a explosé. Les agences de notation extrafinancières sont les premières à avoir décelé les failles de cette entreprise, notamment, mais pas seulement, en matière de gouvernance. La responsabilité sociale et environnementale, c’est l’avenir pour des entreprises exemplaires.

Il n’est pas admissible, dans un débat comme celui-ci, de s’en tenir à des critiques de forme sans aborder le fond. Je ne fais pas de la morale. Je demande simplement que l’on soit sur des sujets de fond. Il est inacceptable de ne pas avoir de régulation permettant de prendre en compte la santé, la vie et l’environnement des personnes ! C’est pour cela qu’il y a la RSE et la notation extrafinancière !

Il eût fallu que vous vous inscriviez d’une façon bien plus intéressante et moderne dans ce débat. C’est d’abord cela que nous vous reprochons !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Je mets aux voix l’amendement n° 14.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe écologiste et, l’autre, du groupe Les Républicains.

Je vous rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 61 :

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l’article 1er est supprimé, et les amendements n° 1, 4, 5, 6 et 7 n’ont plus d'objet.

Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces amendements.

L’amendement n° 1, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, était ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 225-102-4. – I. – Toute société dont le total du bilan dépasse vingt millions d’euros ou le montant net du chiffre d’affaires dépasse quarante millions d’euros et dont le nombre de salariés permanents employés au cours de l’exercice est supérieur à cinq cents établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.

L’amendement n° 4, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger

par les mots :

dont le total du bilan est supérieur à vingt millions d’euros ou dont le chiffre d’affaires net dépasse quarante millions d’euros et dont le nombre moyen de salariés permanents employés au cours de l’exercice est au moins de cinq cents

L’amendement n° 5, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Après les mots :

relation commerciale

insérer les mots :

, directe ou indirecte,

L’amendement n° 6, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il est mis à l’ordre du jour de la première réunion du comité mentionné à l’article L. 4611-1 du code du travail qui suit sa publication.

L’amendement n° 7, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 8, première phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Toute personne mentionnée au II peut demander au juge de prononcer une amende civile proportionnée au chiffre d’affaires du groupe auquel appartient la société n’ayant pas respecté les obligations mentionnées au I.

Après le même article L. 225-102-3, il est inséré un article L. 225-102-5 ainsi rédigé :

« Art. 225 -102 -5. – Le non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4 engage la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1382 et 1383 du code civil.

« L’action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne mentionnée au II de l’article L. 225-102-4 du présent code.

« Outre la réparation du préjudice causé, le juge peut prononcer une amende civile définie au III du même article L. 225-102-4. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal.

« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. »

La parole est à Mme Évelyne Didier, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Là encore, nous regrettons de ne pas avoir la possibilité de travailler et d’améliorer ce texte.

Comme cela a été souligné lors des débats à l’Assemblée nationale, la référence aux articles 1382 et 1383 du code civil risque d’être contreproductive. Nous proposions donc de la supprimer. La responsabilité de l’entreprise mère pourrait être recherchée sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Cela permettrait de faire face à l’ensemble des situations.

En effet, l’esprit de la proposition de loi est aussi d’aller vers la mise en place progressive d’une responsabilité du fait d’autrui. Il est dès lors contradictoire de vouloir l’exclure de manière explicite.

Ce texte n’est qu’un premier pas, mais un pas très intéressant, vers la mise en place d’une véritable responsabilité des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre pour le manque de vigilance ou les fautes commises par leurs sous-traitants.

Nous savons – ce sont des mécanismes courants du droit des obligations – que ces dernières pourront toujours se retourner contre leurs sous-traitants. Il n’y a là rien de particulièrement scandaleux. C’est l’application simple de la théorie du risque-profit, qui complète la théorie du risque.

Cette théorie du risque, qui a été introduite une première fois en 1898 – cela ne date pas d’hier ! – avec la loi sur la sécurité du travail, prévoit qu’est responsable celui qui a commis une faute, mais également celui qui a créé un risque.

La théorie du risque-profit énonce simplement que celui qui tire profit d’une activité doit également assumer les responsabilités correspondantes, faute de quoi la situation serait évidemment inadmissible.

Il n’y a rien de scandaleux à faciliter les recours des victimes. Trop souvent, ces dernières n’ont pas les mêmes ressources que les entreprises donneuses d’ordre.

L’amendement n° 10 visait à assurer l’application du droit français en cas de conflit de lois et à répondre aux critiques sur le caractère inopérant du texte. La reconnaissance de la compétence des juridictions françaises doit s’accompagner explicitement de la reconnaissance de l’application du droit français en cas de mise en jeu de la responsabilité des sociétés ayant leur siège social en France.

Le règlement européen Rome II prévoit des exceptions en ce sens. Son article 7 donne à la victime d’une atteinte à l’environnement une option entre la loi du lieu du fait générateur et la loi du lieu où le dommage survient. Dans ce cas, le fait générateur du dommage est bien l’inexécution d’une obligation de vigilance. Il est localisé au siège de la société mère ou du donneur d’ordre. Notre amendement aurait permis simplement de montrer le caractère de « loi de police » de cette proposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L'amendement n° 15, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe-André Frassa

Cet amendement tend à la suppression de l’article 2, par coordination.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État

Avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Monsieur le rapporteur, selon vous, il ne faudrait en aucune façon instaurer un devoir de vigilance pour les entreprises de plus de 5 000 salariés.

Expliquez-nous donc pourquoi la plupart de celles qui dépassent le seuil en France se sont engagées dans une démarche de cette nature ! Dites-nous pourquoi de grands groupes, comme Veolia ou Bolloré, soutiennent l’initiative lancée par l’ensemble des ONG, des syndicats et des différents partenaires de la plate-forme RSE !

Tout d’abord, ils considèrent que la compétitivité ne peut pas ignorer le respect des droits humains.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Mais ces groupes ont une autre raison de souhaiter l’adoption du texte : l’importance qu’ils accordent à l’opinion des clients !

Ils souhaitent conforter leur réputation et protéger leur marque, en prenant toutes les dispositions de vigilance qui s’imposent et en soutenant les bonnes pratiques. Ils espèrent rétablir un équilibre concurrentiel entre eux, qui sont vertueux, et leurs concurrents, qui ne le sont pas, délocalisent, pratiquent le dumping social ou environnemental et ne respectent pas les droits humains.

Ces grands groupes pensent que leurs clients sont sensibles à une telle démarche. En privilégiant la prévention, les entreprises raisonnent en coût total, pérennisant et fiabilisant leur chaîne de production. Cela leur permet d’éviter les accidents, les pollutions, les éventuels conflits sociaux, les ruptures de la chaîne de production en raison de la défaillance d’un sous-traitant qui serait non performant.

Vous affirmez que le devoir de vigilance ne peut être qu’européen. Effectivement, c’est l’échelon le plus pertinent. C’est la raison pour laquelle la France doit montrer le chemin.

De surcroît, nous sommes assez étonnés que vous renonciez à notre souveraineté nationale. C’est votre majorité qui a instauré, lorsqu’elle était aux responsabilités, avec la loi NRE et le Grenelle II, l’obligation pour les entreprises cotées de faire part à la fois de leurs engagements et des conséquences sociales et environnementales de leur activité.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Cela a ouvert la voie à l’adoption de la directive sur le reporting non financier.

Nous vous proposons aujourd'hui de voter ce texte, afin que notre pays donne l’exemple à l’échelle européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

M. le président de la commission des lois a essayé de nous convaincre que les oppositions à ce texte étaient motivées seulement par des considérations juridiques. Or, de la motion préjudicielle aux arguments avancés ce soir, tout indique qu’il y a quand même un peu d’idéologie en l’occurrence !

La commission affirme que le texte est imprécis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Dans ce cas, précisez-le !

Elle indique également qu’il est mal rédigé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Dans ce cas, améliorez la rédaction !

Si vous êtes sincères lorsque vous affirmez partager nos objectifs, contribuez à faire en sorte que ce texte puisse devenir réalité et prendre force de loi !

Nous ne sommes pas inconséquents. Nous sommes plusieurs à faire partie de la délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par Élisabeth Lamure. Nous parcourons tout le pays. Nous écoutons les chefs d’entreprise. Nous prenons connaissance de leurs difficultés. Nous discutons des améliorations législatives à apporter pour que les TPE et les PME puissent se développer. Or, en écoutant vos arguments, je n’ai pas eu l’impression que c’est cette économie-là qui vous intéressait.

D’ailleurs, il ne me semble pas que la politique industrielle de la droite ces dernières années ait été un grand succès.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Il a tout de même fallu attendre que nous revenions au pouvoir en 2012 pour retrouver un semblant de politique industrielle ambitieuse. Le made in France, c’est nous ! Le redressement productif, c’est nous ! Les trente-quatre plans d’avenir, c’est encore nous !

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Nous n’avons donc pas de leçons de droit ou d’économie à recevoir !

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

En revanche, il me semble que nous pourrions vous donner quelques leçons d’humanité !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Je reste profondément convaincu que les choses vont avancer. Le texte sera évidemment repris à l’Assemblée nationale. Le débat public national aura lieu, car la presse, je l’espère, jouera son rôle et animera le débat public. Il est important que la population puisse s’approprier ces questions et véritablement contrôler l’action des responsables politiques que nous sommes, avec toutes les responsabilités qui nous incombent.

Tant pis si mes propos ont été dérangeants ! Il y avait peut-être de l’émotion, mais elle était fondée sur une véritable conviction politique, partagée par une bonne partie de nos collègues ici ! Je ne prétends qu’il y aurait les bons d’un côté les bons et les mauvais de l’autre. Je constate simplement que nous ne vivons pas dans le même monde et que nous ne parlons plus le même langage.

Mais nous finirons bien par y arriver !

Sourires sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Je mets aux voix l'amendement n° 15.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 62 :

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 2 est supprimé, et les amendements n° 3, 8, 9, 10, 2 et 11 n’ont plus d'objet.

Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces amendements.

L'amendement n° 3, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, était ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. 225-102-5. – Les sociétés visées à l’article L. 225-102-4 du code de commerce qui méconnaissent les dispositions du présent article ou les mesures de diligence qu’elles devraient mettre en œuvre sont solidairement tenues responsables avec la personne responsable de réparer le dommage que le plan de vigilance était destiné à prévenir.

L'amendement n° 8, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. 225 -102 -5. – En cas de non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4, la société est solidairement responsable des dommages causés par la réalisation des risques visés à cet article. La société mère ou l'entreprise donneuse d’ordre doit apporter la preuve qu’elle a pris toutes les mesures en son pouvoir pour assurer son obligation de vigilance.

L'amendement n° 9, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer les mots :

dans les conditions prévues aux articles 1382 et 1383 du code civil

L'amendement n° 10, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

quel que soit le lieu de réalisation du dommage et du fait générateur

L'amendement n° 2, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, et l'amendement n° 11, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, étaient identiques.

Tous deux étaient ainsi libellés :

Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Il incombe à la société mère ou donneuse d’ordre de démontrer qu’elle a bien mis en œuvre les mesures en son pouvoir pour assurer son obligation de vigilance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L'amendement n° 12, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 4612-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° De contribuer au suivi de la mise en œuvre des dispositions concernant la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs inclues dans le plan de vigilance mentionné à l’article L. 225-102-4 du code de commerce, dans les sociétés où ce plan existe. »

Compte tenu de la suppression des articles 1er et 2, cet amendement n’a plus d’objet.

Les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.

L’amende civile encourue en application des mêmes articles est prononcée en monnaie locale, compte tenu de la contre-valeur dans cette monnaie de l’euro.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L'amendement n° 16, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État

Avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet amendement de suppression était adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les trois articles qui la composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explication de vote sur l’ensemble.

Quelqu’un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l’amendement ?...

La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Je regrette que nos collègues de la majorité sénatoriale aient fui la discussion, essayant à différentes reprises de l’escamoter, que ce soit en commission, en déposant une motion préjudicielle, ou en séance, en supprimant l’ensemble des articles.

Néanmoins, le texte poursuivra sa route, et il finira par être adopté. Je me réjouis donc que la France montre, dans quelque temps, la voie à suivre à l’échelle européenne, en mettant en œuvre un devoir de vigilance pour l’ensemble des grandes entreprises de notre pays et de l’Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Je reste convaincu que le positionnement de la majorité sénatoriale s’explique par des pressions exercées par des organismes ne représentant pas le monde économique français dans sa globalité !

L’avenir est évidemment à l’éthique. À la veille de la COP 21, c’est seulement ainsi que l’on pourra envisager un avenir stable, durable et vivable !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Lutter contre la sous-traitance en cascade est un objectif que nous défendons avec constance depuis de nombreuses années en raison de la dilution des responsabilités. Ainsi, à l’occasion de la rédaction de son rapport d’information sur les travailleurs détachés, notre collègue Éric Bocquet avait formulé une proposition qui s’applique d’ores et déjà en Allemagne – je le dis pour ceux qui craignent la concurrence faussée ! –, à savoir la limitation à trois du nombre de niveaux de sous-traitance.

Répondant aux critiques qui avaient été émises à l’encontre de cette idée, notamment au regard de la liberté d’entreprendre, nous proposons toujours une mesure de responsabilité sociale et environnementale : permettre aux donneurs d’ordre publics de préciser dans leurs appels d’offres, sur la base du volontariat, que la personne ou l’entreprise remportant le marché public devra limiter la délégation de ses missions, sans toutefois préciser un nombre précis de degrés de sous-traitance.

Mes chers collègues, tous les observateurs s’accordent à dire que chaque degré de sous-traitance supplémentaire s’accompagne d’une dégradation des conditions de vie, de rémunération et de travail des salariés, mais aussi d’une dégradation de la prise en compte des contraintes environnementales.

Nous le savons tous, la chaîne de sous-traitance peut parfois être complexe et atteindre huit ou neuf échelons ; c’est une réelle difficulté en matière de responsabilité. On comprend bien que l’obligation de vigilance à l’égard des sous-traitants puisse être difficile à mettre en œuvre. Comment engager ou prouver la responsabilité d’un donneur d’ordre pour le comportement fautif d’un sous-traitant au quatrième, au cinquième ou au sixième degré, voire au-delà ? Nous proposons donc de limiter à trois le nombre de niveaux de sous-traitance.

La proposition de loi dont nous venons de débattre aurait dû être l’occasion d’atténuer le caractère systémique et accidentogène de la sous-traitance en cascade. Nous ne pouvons que regretter une telle occasion manquée. Je tiens à vous faire part de notre incompréhension. Je ne suis pas du tout certaine que ceux qui se présentent habituellement comme les défenseurs des entreprises leur rendent service en défendant une position aussi archaïque, pour reprendre l’expression de notre collègue.

De plus en plus de fonds d’investissement réclament le développement de la notation extrafinancière ; certains, notamment des fonds suédois, ne veulent plus investir dans le carbone ou le pétrole. L’avenir est dans la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, et non dans ce qui est défendu aujourd’hui par certains groupes !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Je dois avouer que je n’avais pas beaucoup regardé ce texte avant le début de son examen en séance. Depuis, je l’ai parcouru rapidement. J’ai aussi écouté les propos des uns et des autres.

À mon avis, le problème que soulèvent les auteurs de cette proposition de loi est réel ; il faudra effectivement nous y pencher.

Mais il est également vrai que la France aime bien donner des leçons et « laver plus blanc que blanc ». Or les enjeux sont d’une importance considérable, sur une véritable question.

Bien entendu, il convient de ne pas généraliser : toutes les entreprises ne sont pas dirigées par de vils exploiteurs qui se fichent de leurs responsabilités sociales, environnementales ou autres. Cela étant, je crois que nous devons traiter le problème. Après tout, nous sommes en Europe.

Mais, de grâce, n’essayons pas de laver plus blanc que blanc ! Nous risquerions d’en payer le prix.

Je crois qu’il ne faut pas abandonner l’idée envisagée ce soir. Nous devons la défendre, en nous efforçant de convaincre les pays comparables au nôtre d’un point de vue économique et industriel.

Il y a des moyens d’agir. En Europe, et plus particulièrement en France, nous avons souvent été en avance sur un certain nombre de réglementations environnementales ou sociales. Nous devons nous inscrire dans cette perspective. Mais ne nous tirons pas une balle dans le pied, comme nous risquerions de faire en adoptant ce texte !

Examinons le dossier complètement, sans nous isoler. Nous pourrons ainsi faire progresser la société et les entreprises. Combien de fois avons-nous dû subir les conséquences de notre prétention à éclairer le monde ? Ne refaisons pas les mêmes erreurs !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Cette proposition de loi est un texte sur les malheurs du monde et sur le prix qui est payé pour que nous puissions consommer des produits auxquels nous sommes tellement attachés, ces produits qui scintillent dans nos poches et devant nos yeux.

Or ils sont souvent fabriqués par des êtres humains dans des situations lamentables et misérables, quelquefois par des enfants dans des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité extrêmement précaires.

Je vous donne acte que des entreprises françaises ont des considérations éthiques et qu’elles veillent aux conditions de travail appliquées chez leurs sous-traitants. Mais enfin, ce texte est porteur d’une préoccupation éthique centrale pour l’avenir de l’humanité !

Cher Yves Détraigne, je vous entends lorsque vous dites qu’il ne faut pas « laver plus blanc que blanc ». Mais j’ai aussi entendu les propos de Nicole Bricq, Didier Marie et Jérôme Durain.

Ce dernier a fait allusion à Victor Schoelcher, qui siégeait ici même, à cette place où lui succéda Gaston Monnerville. Imaginez que l’on ait dit à Victor Schoelcher : « Ne lavons pas plus blanc que blanc ! Ce n’est pas l’heure ! Attendons ! Faisons en sorte que tous les pays avancent en même temps que nous ! » Il n’y aurait sans doute pas eu le texte que nous connaissons !

Je comprends les termes du débat. Mais ce qui me désole, c’est la réponse, assez terrifiante, du Sénat aux auteurs de cette proposition de loi. Article 1er ?Supprimé ! Article 2 ? Supprimé ! Article 3 ? Supprimé ! M. le président nous a même invités à prendre la parole dès maintenant pour expliquer nos votes, car nous ne pourrons pas le faire après, une fois que l’ensemble du texte sera supprimé.

Mes chers collègues, votre stratégie, c’est d’aboutir à zéro ! À rien !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Nous n’allons même pas renvoyer un texte à l’Assemblée nationale, puisque la majorité du Sénat aura considéré qu’elle n’a rien à dire sur le sujet. Je le déplore !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Monsieur le rapporteur, lors de la discussion générale, vous avez qualifié l’objectif, faire contribuer les entreprises françaises au respect des droits de l’homme, des normes sanitaires et environnementales, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le monde entier, de « vertueux ».

Vous avez aussi reconnu que les grandes entreprises y avaient intérêt, leur réputation étant un atout commercial à préserver. Nous ne comprenons donc pas votre position, d’autant plus que, par nos amendements, nous avons répondu à vos interrogations sur l’extraterritorialité, sur la portée et la justesse de l’amende prévue dans la proposition de loi initiale, sur le fait que la rédaction actuelle du texte était très éloignée de la mise en place d’une responsabilité du fait d’autrui, au demeurant légitime à nos yeux.

Vous évoquez de nombreuses imprécisions, mais vous n’apportez aucune modification au texte. Or c’est pourtant le cœur du travail législatif, donc de notre mission ! Une telle posture nous semble éloignée de l’intérêt de l’entreprise.

Dans un jeu concurrentiel non faussé, les entreprises ont intérêt à faire preuve de la plus grande transparence et à mettre leurs valeurs en avant, comme autant d’atouts dans la compétition.

C’est l’insécurité juridique que veulent à tout prix éviter les acteurs du marché. Cette proposition de loi répond en partie à ces préoccupations. Si nous ne légiférons pas, c’est in fine la jurisprudence qui s’appliquera. Je ne suis pas sûr que cela corresponde aux attentes des entreprises !

Il est dommage que la majorité sénatoriale s’oppose à la modernité et refuse de faire de la France le fer de lance de cette nécessité, acceptée par les entreprises : l’inscription dans notre droit positif du devoir de vigilance.

Vous nous demandez d’attendre que l’Union européenne légifère. Nous vous répondons qu’il faut être à l’avant-garde. Soyons un moteur et un exemple ! Portons non des paroles de repli ou de frilosité, mais une ambition forte de modernité et de respect des règles élémentaires de décence au travail et d’honnêteté, une ambition forte pour maintenir la France au premier plan en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Je mets aux voix l’amendement n° 16.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l’article 3 est supprimé.

Mes chers collègues, les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre n’est pas adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 19 novembre 2015, à onze heures, l’après-midi et, éventuellement, le soir :

Projet de loi de finances pour 2016, adopté par l’Assemblée nationale (163, 2015-2016) ;

Rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances (164, 2015-2016) ;

- Discussion générale ;

- Examen de l’article liminaire ;

- Examen de l’article 22 : évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures trente.