Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient de vous présenter cette année encore les crédits relatifs aux transports maritimes et je vous remercie pour cette marque de confiance. Ces crédits relèvent de deux programmes de la mission « Écologie » dans le projet de loi de finances pour 2016.
Les crédits « sécurité et affaires maritimes » du programme 205 connaissent une diminution de 4 % et s'élèvent à 136 millions d'euros. Cette érosion est principalement due à deux phénomènes bien identifiés : d'une part, la fin de la construction des nouveaux locaux de l'École nationale supérieure maritime (ENSM) au Havre, d'autre part, une baisse du montant des exonérations de charges en raison de perspectives d'emploi dégradées dans la branche « ferries ». Il s'agit de la conséquence directe des difficultés de la SNCM et de MyFerryLink.
Je vous rappelle en effet, que près de la moitié des crédits de ce volet compensent les exonérations de charges patronales pour l'emploi de marins français sur les navires inscrits au registre international français, afin de soutenir la compétitivité de notre flotte. Or si le pavillon français comporte de moins en moins de navires, il y a de moins en moins de marins, et donc de moins en moins d'exonérations de charges sociales. Ce malthusianisme permet certes de réaliser des économies dans le budget de l'État, mais certainement pas de renouer avec la croissance et l'emploi. Il est déplorable que l'on se contente de réduire les crédits chaque année, comme un aveu d'échec. Ces exonérations de charges devraient au contraire être redéployées pour servir d'instrument à destination d'une politique volontariste de développement de notre flotte commerciale. J'y reviendrai.
Pour le reste de ce volet, 20 % des crédits sont affectés aux moyens techniques de la sécurité maritime, 20 % à la formation et au soutien à l'emploi, et les 10 % restants alimentent des mesures techniques de soutien au programme. Les montants sont relativement stables et n'appellent pas de commentaire particulier.
Puisque la sécurité est l'une des missions principales de la direction des affaires maritimes, j'en profite simplement pour rappeler l'importance de l'accidentologie en mer. Je propose depuis de nombreuses années que l'on équipe l'ensemble des marins de balises de détresse, pour les localiser plus facilement lorsqu'ils passent par-dessus bord. J'ai conscience qu'il est déjà difficile de faire accepter le port du gilet de sauvetage, dont l'encombrement gêne le travail sur le navire. Mais une balise de détresse ne souffre pas du même inconvénient et présente un intérêt évident lorsque l'on sait que le temps est le facteur déterminant pour sauver une vie.
J'en viens maintenant aux crédits du programme 203 relatif aux « infrastructures et services de transport ». De façon schématique, il s'agit, pour une grosse moitié des crédits, de financer l'entretien des grands ports maritimes, à hauteur de 46 millions d'euros en 2016. Concrètement, ces crédits sont destinés au dragage des ports, dont les coûts ne cessent d'augmenter au fil des années. Or l'État ne prend à sa charge qu'environ la moitié de ces coûts, alors qu'il devrait les supporter en totalité, et cette part est en diminution constante. La Cour des comptes a d'ailleurs dénoncé ce désengagement dans un rapport sur la gestion du GIE Dragages-Ports publié le 6 octobre 2014. Faut-il rappeler que le bon dragage des sédiments est une condition essentielle de la survie de nos ports ? Rouen perdrait 30% de son trafic avec une profondeur inférieure à 10 mètres, tandis qu'à Dunkerque les navires avec un tirant d'eau de plus de 14 mètres représentent entre 40 et 50 % du trafic. Il est donc indispensable d'ôter régulièrement les dépôts de sédiments dans les voies d'accès.
L'autre moitié des crédits de ce volet sert quant à elle au développement des infrastructures grâce à des fonds de concours de l'AFITF, à hauteur de 60 millions d'euros de crédits de paiement, correspondant essentiellement au volet portuaire des contrats de plan État-Région (CPER) 2015-2020 et à un résidu du plan de relance portuaire.
Au total, lorsque l'on regarde l'ensemble de ces crédits et leur évolution à long terme, on voit qu'ils ne font qu'accompagner lentement le déclin de notre flotte et de nos ports. Certes, le budget de l'État est contraint. Mais à l'heure où l'on souhaite cibler des secteurs d'avenir, à l'heure où le monde entier fait le pari de la croissance bleue, nous faisons le choix délibéré de mépriser la mer.
Cela apparaît clairement dans le document de politique transversale consacré à la politique maritime de la France, que nous avons réclamé pendant de nombreuses années, est présenté pour la première fois au Parlement, à l'occasion de ce PLF 2016. Il nous permet d'avoir une vision consolidée de l'ensemble des crédits relatifs au monde maritime. Que révèle-t-il ? Le montant total de ces crédits s'élève à 1,8 milliard d'euros tous ministères confondus, c'est-à-dire moins d'un dixième de point de PIB ! Ce n'est clairement pas à la hauteur pour un pays qui possède la deuxième zone économique maritime mondiale, avec une superficie maritime supérieure à la superficie terrestre de l'Europe entière.
D'autant que le montant affiché est probablement surévalué, puisqu'en l'absence de comptabilité analytique, la contribution détaillée de chaque programme n'apparaît pas. Par exemple, les actions 11 et 14 du programme 203 relatif aux infrastructures et services de transport sont comptabilisées à hauteur de 117,6 millions d'euros (M€), alors qu'en réalité seulement 51,3 M€ concernent réellement la politique maritime.
Autre problème, les doublons qui consistent à affecter les mêmes crédits à plusieurs politiques transversales différentes, ce qui conduit à une surévaluation de l'effort global. Par exemple, les actions 2 et 8 du programme 162 relatif aux interventions territoriales de l'État sont comptabilisées à la fois dans le document de politique transversale relatif à l'aménagement du territoire et dans celui-ci.
En outre, on observe une prépondérance du régime spécial de sécurité sociale et de retraite des gens de mer, qui compte pour 46 % du budget de la politique maritime de la France ! Or de plus en plus d'entreprises considèrent qu'il n'est plus adapté. Il s'agit certes d'un marqueur identitaire de la profession, mais un rapprochement avec le régime général serait une mesure de bon sens, d'autant plus que l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM) manque d'appui et d'expertise pour assurer correctement ses missions.
Au total, je salue l'existence de ce nouveau document de politique transversale, qui permettra peut-être d'objectiver le constat dramatique que je dresse depuis de nombreuses années : la France n'a tout simplement pas de politique maritime. Ce n'est pas un phénomène nouveau propre à ce Gouvernement, mais bien un constat dressé sur une longue période. Il serait temps que nous en prenions conscience et que nous regardions la réalité en face. Autrement, la croissance bleue risque de nous échapper, une fois n'est pas coutume, alors que notre pays est idéalement doté pour en profiter.
Ce n'est pourtant un secret pour personne : 90 % des échanges mondiaux transitent par la mer. Nous pouvons honnêtement rougir du manque d'ambition de nos politiques et de la faiblesse consternante de nos investissements dans ce domaine. Ils sont dérisoires à côté de celui que notre pays consent sur l'autre frontière du futur qu'est l'aérospatial. Et puisque nous avons eu l'occasion d'examiner les crédits consacrés au transport aérien, juste avant ceux-ci, je me permets de vous livrer une comparaison.
D'après le rapport rédigé en juillet 2015 par le Commissariat général au développement durable, consacré aux comptes des transports en 2014, le secteur des transports, pris de manière globale (route, air, fer, mer, fluvial, passagers et marchandises), affiche un déficit de ses échanges extérieurs de 12,3 milliards d'euros : il contribue par conséquent à la perte de compétitivité de la France. Or dans ce paysage catastrophique, il n'y a qu'un bon élève : le transport maritime, avec un solde positif de 4 milliards d'euros et une performance qui croît de 6 % en moyenne annuelle depuis 2008. J'ajoute que le transport aérien est lui aussi en excédent commercial, mais avec un montant nettement plus bas, de l'ordre de 100 millions d'euros, alors que son chiffre d'affaires global est bien plus élevé, 19 milliards d'euros contre 14 milliards d'euros pour le transport maritime.
Ces deux secteurs, l'aérien et le maritime, ont la particularité d'être confrontés directement à la concurrence internationale, et d'être soumis à une exigence de compétitivité forte. Au lieu de les aider à se développer, à gagner des parts de marché, à générer de la croissance et de l'emploi, on se contente de faire des rapports qui ne sont pas suivis d'effets. C'est le cas du rapport d'Arnaud Leroy pour le transport maritime comme de celui de Bruno Le Roux pour le transport aérien. Bien sûr, le Gouvernement s'empresse de mettre en oeuvre quelques mesures de simplification, pour montrer qu'il agit. Mais le coeur de ces rapports n'est pas là : ils préconisent des mesures économiques fortes de soutien à la compétitivité de notre pavillon et de nos hubs. Rien de tout cela n'est mis en oeuvre.
En matière maritime, nous sommes en train d'aller à rebours de toute logique économique et historique. Nous savons que l'avenir d'une nation se décide depuis toujours par l'avenir de ses ports. Nous savons que toutes les grandes économies du monde disposent de ports puissants pour exporter leurs productions. Il n'y a pas de grand pays industriel qui ne soit pas aussi un grand pays portuaire. C'est une loi intangible, de la Venise d'hier à la Chine d'aujourd'hui.
Que constate-t-on pour la France ? Le trafic de nos grands ports maritimes ne fait que baisser quand celui de nos voisins continue d'augmenter.
Sur les cinq dernières années, de 2010 à 2014, le trafic global recule de 1 % par an en moyenne. En Manche et mer du Nord, l'ensemble formé des ports de Dunkerque, du Havre et de Rouen, affiche un taux de croissance annuel moyen stable (0,7 %) sur les cinq dernières années, alors que l'ensemble des dix-huit ports étrangers progresse de 1,5 %. Sur la façade Atlantique, le trafic français régresse de 2 % entre 2010 et 2014, alors qu'il augmente de 1,2 % par an pour les onze ports étrangers. En Méditerranée, le trafic de marchandises du port de Marseille se contracte annuellement de 2,2 % par an entre 2010 et 2014, alors qu'il progresse de 2,3 % par an pour les quinze autres ports.
Il ne s'agit pas d'une tendance récente mais bien d'une évolution structurelle. En 1995, le Havre traitait environ 1 million de conteneurs et Anvers 2 millions ; en 2014, Le Havre est à 2,6 millions et Anvers à près de 9 millions : la différence est presque passée du double au quadruple. Rotterdam atteint désormais les 14 millions de conteneurs ; Tanger Med, créé de toutes pièces en 2007 vise déjà un objectif de 3 millions en 2016, quand Le Havre espère atteindre entre 3,5 et 4,5 millions en 2020 et Marseille 2 millions.
Nous avons fait des réformes entre 2008 et 2013, mais force est de constater que la tendance reste inchangée. L'explication par la baisse (réelle) des trafics pétroliers français ne suffit pas car Rotterdam comme Anvers sont de grands ports pétroliers et n'ont pas connu d'effondrement dans ce domaine. En réalité, nous n'avons toujours pas réglé les vrais problèmes.
Nous avons malheureusement besoin, en cette période de disette budgétaire, de beaucoup d'investissements. Rotterdam et Anvers sont équipés de technologies modernes et offrent une bien meilleure qualité de service, alors que nous nous sommes contentés de faire du maintien en condition de matériel vieillissant.
Et surtout, nous n'offrons toujours pas à nos ports un accès suffisant à un hinterland de portée européenne. Le rail est présenté comme le seul mode massifié capable d'accompagner le développement des hinterlands terrestres de nos ports. Mais en dépit des ambitions affichées dans plusieurs plans, lois et projets stratégiques, sa part modale peine à décoller.
Personnellement, j'attends toujours l'électrification de la ligne ferroviaire Serqueux-Gisors. Des études sont en cours et 300 millions d'euros ont été prévus à cette fin dans les contrats de plan État-région (CPER) 2015-2020. Mais combien d'années précieuses auront nous perdues pour mettre en place ce projet ?
Je ne parle même pas de la réalisation d'une liaison fluviale directe à travers une chatière pour le port du Havre, pour laquelle je me bats depuis des années. On se heurte sur ce point à un véritable problème d'égo. En effet, l'administration a soutenu le projet de terminal multimodal, qui a coûté au total 134 millions d'euros. Le problème est que ce terminal est calibré pour un trafic deux fois plus élevé que les niveaux actuels. Son modèle économique n'est donc pas équilibré et nécessite de surcroît de trouver un accord raisonnable avec les dockers. Par conséquent, la SNCF n'a pas véritablement intérêt à utiliser le terminal à ce stade. Mais comme cette installation existe, l'administration refuse d'étudier toute solution complémentaire qui serait susceptible de lui faire concurrence. Et au final, rien ne change pour la desserte du Havre !
Derrière cette situation kafkaïenne, se dessine un autre problème, celui de la gouvernance de nos ports qui, malgré la réforme de 2008, est encore caractérisée par l'omniprésence de l'administration. Puisque nos ports traversent une situation difficile, ils n'ont aucune capacité d'autofinancement, et restent par conséquent totalement tributaires de Bercy pour leurs projets d'investissements. L'autonomie juridique de nos ports est donc une fiction, car au fond rien ne change. Même si la mode est aux start up d'État, je ne pense pas que nous puissions attendre de l'administration qu'elle insuffle l'esprit entrepreneurial nécessaire pour concurrencer les politiques commerciales agressives de nos voisins.
Quoiqu'il en soit, le fait même que des ports étrangers, notamment ceux de la mer du Nord, soient en capacité de concurrencer nos ports sur leur propre hinterland en dit long sur le chemin qui reste à parcourir. Une dynamique d'investissements est nécessaire, mais elle nécessite pour cela une véritable volonté politique qui fait défaut actuellement. Je ne rouvre pas le débat sur le canal Seine Nord, mais l'effet de signal est quand même désastreux pour le port du Havre ! Si nous concentrions davantage nos efforts sur la desserte du Havre, l'impact économique du canal Seine-Nord serait amoindri, car les entreprises auraient pris l'habitude d'utiliser nos installations !
Quant à notre flotte de transport, elle compte aujourd'hui 176 navires et nous avons dépassé depuis longtemps le seuil psychologique des 200, sans réagir pour empêcher ce mouvement continu de dépavillonnement. Rien qu'en 2014, on a enregistré la sortie de 15 navires pour 4 entrées seulement ! Le tonnage français représente désormais 0,5 % du tonnage mondial tandis que les cinq premiers pavillons pèsent à eux seuls 53,4 %. Il n'y a qu'à regarder la nationalité de ces pavillons pour comprendre le phénomène qui nous touche : Panama, Liberia, Îles Marshall, Hong Kong et Singapour. On est en plein coeur d'un dumping social !
On ne luttera pas contre ce problème avec des mesures de simplification administrative, même si elles sont bienvenues. Il est également illusoire d'espérer une application stricte de normes sociales au niveau mondial. La seule solution est d'ordre économique : nous devons soutenir notre pavillon afin de réduire le plus possible l'écart de compétitivité. La mise en place du registre international français (RIF) en 2005, qui permet de recruter des membres de l'équipage à des conditions internationales, a permis de résister un temps mais ne suffit plus aujourd'hui.
A fortiori, le pavillon français ne souffre pas tant de la concurrence internationale que de celle d'autres États membres de l'Union européenne, pourtant soumis aux mêmes lignes directrices communautaires. Le Danemark, que l'on ne peut suspecter de mener une politique du moins-disant social, a mis en place un dispositif de « netwage » qui consiste en une exonération totale de charges patronales et salariales, et qui permet même aux armateurs de conserver une fraction de l'impôt sur le revenu prélevé à la source. En conséquence, la flotte danoise connaît une croissance de 10 % en nombre de navires et en tonnage.
La Commission européenne a d'ailleurs joué un rôle moteur, puisqu'elle a explicitement reconnu la possibilité de recourir à ce dispositif dans ses lignes directrices sur les aides d'État au transport maritime. Plusieurs pays ont d'ores et déjà franchi le pas comme la Finlande, l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et le Royaume-Uni. Ce n'est donc pas un hasard si les 1er et 2ème armements mondiaux sont le danois APM Maersk et l'Italien MSC, qui ne cessent de grossir et distancent nettement CMA-CGM en nombre de navires et en capacité !
Le rapport d'Arnaud Leroy a lui aussi suggéré de s'aligner sur le régime du « netwage », sans grande avancée depuis deux ans. Mais la France est aujourd'hui dans une situation de déni total, puisqu'elle préfère au contraire profiter des dépavillonnements pour réaliser des économies sur les exonérations de charges !
Je pense désormais que l'heure n'est plus aux annonces grandiloquentes autour d'une politique maritime ambitieuse ou d'une nouvelle stratégie nationale de la mer et du littoral, annoncée chaque année pour mieux être repoussée.
Nous devons porter la responsabilité de ce que nous faisons, et de ce que nous votons. Nous avons de l'or bleu dans les mains et nous sommes en train de mutiler notre pays en refusant sa vocation maritime. Par conséquent, je vous propose, mes chers collègues, et croyez bien que c'est par dépit, un avis plus que défavorable à l'adoption de ces crédits alarmants. Je vous remercie.