Intervention de Jean-Claude Carle

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 novembre 2015 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2016 — Mission « enseignement scolaire » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle, rapporteur pour avis les crédits « Enseignement scolaire » :

Madame la présidente, mes chers collègues, les crédits de la mission « Enseignement scolaire » augmentent d'un peu plus de 700 millions d'euros en 2016 ; ils atteignent ainsi la somme considérable de 67,1 milliards d'euros, dont 65,7 milliards d'euros au profit des cinq programmes relevant du ministère de l'éducation nationale. Plus que jamais, l'enseignement scolaire constitue le premier budget de la nation. Dans un contexte de maîtrise de la dépense publique, les crédits consacrés à l'éducation nationale augmentent de 1,1 %. À titre de comparaison, 700 millions d'euros, c'est le montant du budget de l'ancienne région Limousin.

Faut-il pour autant s'en satisfaire ? Non, car ce projet de loi de finances s'inscrit dans une politique de fuite en avant budgétaire : l'augmentation continue des moyens - qui demeure pourtant sans effet sur la situation de l'école.

En effet, les dépenses en faveur de l'éducation, tous financeurs confondus, ont doublé en euros constants depuis 1980 - et augmenté de 10 % depuis 2000 - pour atteindre 129 milliards d'euros en 2014. Cet effort important qui représente 6 % de la richesse nationale se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. Nous le savons et la Cour des comptes l'a récemment rappelé : cet investissement est fondamentalement déséquilibré. La France dépense beaucoup plus pour le secondaire que les autres pays de l'OCDE et beaucoup moins pour le primaire, alors que c'est à ce niveau que tout se joue : plus de la moitié des décrocheurs étaient en difficulté à l'issue du CM2, si ce n'est du cours élémentaire. En outre, cet investissement ne nous procure que des résultats médiocres. Comment se satisfaire, mes chers collègues, du fait que quatre élèves sur dix sortent de l'école primaire avec de graves lacunes en français et en mathématiques, proportion que l'on retrouve en fin de collège ? Que plus de 100 000 jeunes, 15 % d'une classe d'âge, quittent chaque année le système scolaire sans diplôme ? Que malgré des taux mirobolants de réussite au baccalauréat, 72,3 % des inscrits à l'université n'obtiennent pas leur licence en trois ans ? Que sept mois après leur sortie de formation, 56 % des diplômés de l'enseignement professionnel soient au chômage ou inactifs ? Que la France soit le pays où l'origine sociale est la plus déterminante dans le parcours des élèves ?

Rien de cela n'est une fatalité, mais le ministère ne semble pas s'en émouvoir. Le budget qui nous est présenté s'inscrit dans une continuité parfaite avec les budgets précédents, qui sont caractérisés depuis des décennies par l'inflation budgétaire. Les crédits de l'enseignement scolaire du premier degré public augmentent de 370 millions d'euros (+1,9 %), à peine plus que ceux du second degré, en hausse de 300 millions d'euros (+1 %). Les crédits de l'enseignement privé et des programmes « Vie de l'élève » et « Soutien à la politique de l'éducation nationale » demeurent stables.

Le Gouvernement poursuit sa politique de création de postes : 8 561 dans l'éducation nationale, dont 7 511 postes d'enseignants : 1 591 postes de stagiaires, 3 411 postes d'enseignants titulaires dans le premier degré et 2 509 dans le second. Enfin, 500 postes sont créés dans l'enseignement privé, ainsi que 550 postes de personnels non-enseignants. Mais rien n'est fait pour pallier le manque d'attractivité de la profession : les concours d'enseignants ne font pas le plein et il y a lieu de craindre qu'afin de pourvoir tous les postes, le recrutement se fasse au détriment de la qualité. Les professeurs des écoles demeurent les « parents pauvres » des enseignants ; selon les chiffres communiqués par le SNUIPP-FSU, après quinze ans de carrière, un professeur des écoles perçoit à peine plus de 2 200 euros nets mensuels, soit 10 % de moins qu'un enseignant certifié et moitié moins que ses homologues en Allemagne.

Je souhaite mettre en avant deux points qui ressortent de l'examen de ce budget. Un premier point positif : le budget pour 2016 poursuit l'effort engagé il y a maintenant dix ans en matière d'inclusion des élèves en situation de handicap. Un second point qui l'est moins, la stabilité des crédits du programme « Soutien de la politique de l'éducation nationale » dissimule la dérive des grands projets immobiliers et informatiques du ministère. Estimé à l'origine à 101,4 millions d'euros, le coût des trois grands programmes informatiques du ministère est désormais évalué à 348,9 millions d'euros, soit un surcoût de 247 millions et trois fois plus que le devis initial, imputable en grande partie au logiciel SIRHEN. Ce dernier, dont le coût initial s'élevait à 80 millions d'euros, coûtera au moins 321 millions.

De plus, ce budget laisse de côté les véritables priorités de notre système éducatif, à savoir : porter tous les efforts sur l'apprentissage des fondamentaux et l'école primaire, dont je ne reviendrai pas sur le caractère impérieux. Cette priorité peut et doit se faire à moyens constants, par un véritable redéploiement de l'enseignement secondaire vers le primaire. La Cour des comptes montre qu'il existe d'importants leviers d'efficacité dans le secondaire, parmi lesquels la réduction et la rationalisation de l'offre de formation, la modification des obligations de service des enseignants, la simplification du format du baccalauréat ou encore la réorganisation du maillage des établissements. Enfin, créer les conditions d'une meilleure acquisition des fondamentaux passe par la reconnaissance d'un véritable statut au profit du directeur d'école, un effort sur la formation continue des enseignants (dont les crédits pour le premier degré diminuent en 2016), ainsi qu'une association plus étroite entre le monde de la recherche, les élus et les enseignants.

Seconde priorité : rendre plus efficient l'enseignement professionnel, où se concentre une grande partie de l'échec scolaire et qui est très coûteux. Il conviendrait de revoir le positionnement du baccalauréat professionnel : faute d'emploi mais également parce que l'institution les y encourage, de plus en plus de bacheliers professionnels font le choix de poursuivre leurs études et sont confrontés à un échec massif dans l'enseignement supérieur, soit 33,2 % en STS, 62,3 % en DUT et 95 % en licence. Là encore, des efforts importants doivent être faits pour rationaliser et adapter l'offre de formation aux besoins des entreprises. La réduction du nombre de diplômes et de spécialités permettrait également un moindre cloisonnement entre les filières et d'importantes économies. Mieux vaudrait des parcours plus itératifs, avec une insertion professionnelle qui aurait lieu plus tôt, mais avec l'assurance mission de pouvoir poursuivre sa formation, voire se réorienter ; ce devait être l'objet du « chèque formation ».

En ce qui concerne l'apprentissage, l'objectif de 60 000 apprentis dans l'éducation nationale en 2017 restera hors d'atteinte sans mesures fortes : développement des parcours mixtes de formation, restauration des dispositifs de préapprentissage et du dispositif d'initiation aux métiers en alternance (DIMA), meilleure association des entreprises... Enfin, le système d'orientation est aujourd'hui en déshérence. Le mois dernier, au cours de la visite d'une maison familiale rurale (MFR), parmi 80 jeunes interrogés sur les raisons de leur choix de formation, un seul a cité un conseiller d'orientation. J'espère que la mission d'information de nos collègues Jacques-Bernard Magner et Guy Dominique Kennel permettra d'ouvrir de nouvelles perspectives, tant dans ce domaine les inerties et les corporatismes sont pesants. Six ans après la loi Wauquiez, la plateforme commune entre l'ONISEP et Centre Inffo n'existe toujours pas.

Enfin, dans le foisonnement des réformes mises en oeuvre par le ministère, trois d'entre elles me semblent contestables dans leur bien-fondé comme dans leurs modalités, puisque l'État se décharge en grande partie de leur financement sur les collectivités territoriales. La réforme des rythmes scolaires, tout d'abord, dont les effets sur les apprentissages n'ont toujours pas fait l'objet d'une véritable évaluation ; elle pose des problèmes particulièrement graves en matière d'inégalités : un tiers des communes n'ont pas les moyens de proposer des activités périscolaires gratuites, quand d'autres ne peuvent proposer que de la garderie. La mission de notre collègue Françoise Cartron permettra de dresser un bilan des difficultés rencontrées par les communes. En outre, les aides de l'État et de la CNAF ne compensent qu'une partie du coût supporté par les communes : la Cour des comptes estime le coût net de la réforme entre 350 millions et 620 millions d'euros.

Enfin, le montant des crédits prévus au titre du fonds de soutien pour 2016 est sous-estimé de 70 millions d'euros. Même si la ministre nous a rassurés, il est impératif que le ministère pallie ce manque dès la discussion budgétaire et non en cours d'exécution. Deuxièmement, le plan numérique pour l'éducation, pour lequel 192 millions d'euros sont prévus en 2016, mais dont seulement 24 millions sont inscrits au sein de la mission « Enseignement scolaire » afin de financer la formation des personnels. Les autres crédits proviennent du programme d'investissements d'avenir (PIA2) ainsi que d'un appel d'offres piloté par la Caisse des dépôts et des consignations. Le financement de ce plan repose essentiellement sur les collectivités locales ; l'État contribuera à hauteur d'un euro pour chaque euro dépensé par les conseils départementaux. Ces derniers devront également assurer à leurs frais la maintenance des équipements, pour un coût non négligeable. Alors que les expériences précédentes, notamment en Corrèze, se sont révélées des échecs, et qu'une étude de l'OCDE montre que les pays qui obtiennent les meilleurs résultats aux enquêtes PISA sont ceux qui intègrent le moins les outils numériques à l'école, nous pouvons nous interroger sur la plus-value pédagogique d'un tel investissement. Je crains que ce plan numérique ne constitue qu'un gaspillage d'argent public au service d'un affichage politique. Enfin, l'entrée en vigueur des nouveaux programmes pour les cycles 2, 3 et 4 à la rentrée 2016 implique le renouvellement des manuels scolaires. Or le ministère ne prévoit de prendre en charge que les manuels scolaires du collège, dont la loi lui confie la responsabilité : 150 millions sont ainsi prévus en 2016 pour l'acquisition des manuels, et autant en 2017. Mais rien n'est prévu pour les manuels de l'école primaire, alors qu'aucun texte n'impose aux communes de prendre en charge leur renouvellement. C'est une dépense totale estimée à 240 millions d'euros qui reposerait ainsi sur les communes, déjà étranglées par la baisse des dotations et par la réforme des rythmes scolaires. Je vous propose en conséquence un amendement visant à faire prendre en charge par l'État, à hauteur de 50 millions d'euros, le renouvellement d'une partie des manuels scolaires dans les écoles primaire à la rentrée 2016. Une même somme pourrait être prévue les années suivantes, le renouvellement des manuels devant s'étendre sur trois ou quatre ans. Les crédits proviennent d'économies réalisées sur le programme « Soutien de la politique de l'éducation nationale » ainsi que sur les subventions aux associations.

Pour terminer, je vous précise que la commission des finances a adopté deux amendements : le premier a pour objet de limiter la progression de la masse salariale liée à l'augmentation des effectifs d'enseignants tout en préservant les créations de poste dans l'enseignement du premier degré public et privé et faire davantage contribuer les opérateurs en diminuant leurs crédits de fonctionnement, pour une économie totale de 65 millions d'euros. Le second amendement supprime les crédits destinés au logiciel SIRHEN en 2016, soit 40,4 millions d'euros, afin de contraindre le ministère à justifier ces surcoûts inacceptables.

Sous réserve de l'adoption de mon amendement, ainsi que de ceux présentés au nom de la commission des finances, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

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