Intervention de Françoise Férat

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 novembre 2015 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2016 — Mission « enseignement scolaire » - examen du rapport pour avis

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole :

Je vous présente le budget de l'enseignement agricole pour la quinzième fois ; ces quinze années se caractérisent par ce que je qualifierai d'une « continuité dans l'incertain ». En effet, les années comme les ministres passent sans que l'on puisse s'assurer du développement équilibré et de la pérennité du deuxième réseau éducatif de notre pays.

Le projet de loi de finances pour 2016 marque la fin d'une série de cinq années consécutives d'augmentation significative des crédits de l'enseignement agricole. En effet, les crédits n'augmentent que de 9,4 millions d'euros (+0,69 %) ; ils s'élèveront en 2016 à 1 milliard et 386 millions d'euros.

Deux faits doivent être soulignés : compte tenu de l'inflation, prévue à 1 % en 2016, le budget de l'enseignement agricole diminuera en valeur réelle ; deuxièmement, il met fin à l'égalité de traitement qui prévalait avec l'éducation nationale, dont le budget augmente de 1,1 %. De surcroît, la hausse des crédits est intégralement imputable à l'augmentation des dépenses de personnel, liée à la création de 140 postes supplémentaires d'enseignants, tandis que les autres postes de dépense, à l'exception notable des frais pour visite médicale des élèves de l'enseignement public, stagnent ou diminuent.

La création de 140 postes d'enseignants, ainsi que de 25 postes d'auxiliaire de vie scolaire (AVS), est évidemment une bonne chose. Elle participe de la réalisation de l'engagement du Gouvernement de créer 1 000 postes dans l'enseignement agricole d'ici 2017. Mais nous pouvons légitimement nous interroger : lorsque ces créations de postes ont pour contrepartie une dégradation de la situation financière et du fonctionnement des établissements, n'est-ce pas là de l'affichage plutôt qu'un véritable intérêt pour l'enseignement agricole ?

J'émettrai à ce titre plusieurs réserves : tout d'abord, la dotation en faveur des bourses sur critères sociaux connaît une diminution significative : 2,8 millions d'euros (-3,5 %) par rapport aux prévisions du PLF 2015 et de 1,5 million d'euros par rapport aux crédits effectivement ouverts en 2015. Elle est difficilement explicable : le ministère répond qu'il ne s'agit que d'un ajustement technique, alors qu'une hausse des effectifs est prévue en 2016. Il faudra se montrer particulièrement vigilant quant au maintien de ces aides sociales, tant en ce qui concerne leur montant que le nombre des bénéficiaires, afin que l'enseignement agricole continue de jouer pleinement son rôle de promotion sociale.

Ma deuxième réserve concerne la fragilisation accrue du fonctionnement des établissements, du fait notamment de la diminution constante des moyens de remplacement ; de la baisse des dotations pour le recrutement des assistants d'éducation, déjà sous-financés ; enfin, de l'absence de création de postes de personnels non enseignants. Enfin, l'année 2016 verra la fin des protocoles d'accord conclus avec les établissements de l'enseignement privé du temps plein et du rythme approprié. Ces protocoles devraient être reconduits pour un an, jusqu'à la prochaine législature. Je vous rappelle, mes chers collègues, que ces protocoles n'existent que parce que l'État est incapable de respecter les obligations qui lui sont fixées par la loi Rocard. Souhaitons que soit conduite une enquête quinquennale qui permette de fournir un état des lieux et aboutir à une nécessaire revalorisation de la subvention.

Je demeure attachée au développement équilibré des différentes composantes de l'enseignement agricole, dont les spécificités et la complémentarité en font la richesse et l'originalité. La revalorisation de la subvention n'est pas un cadeau fait à l'enseignement privé, elle répond à une obligation légale ainsi qu'à l'évolution des besoins et des prix. En outre, le plafonnement des effectifs financés par les protocoles constitue une forme de contingentement de l'offre de formation qui est particulièrement néfaste pour le développement de l'enseignement agricole, alors même que la demande des jeunes et des familles est forte. Par exemple, le développement des maisons familiales rurales (MFR) en Guyane, où celles-ci répondent à un véritable besoin et suscitent un engouement des jeunes et de leurs familles, ne peut avoir lieu faute de revalorisation.

Enfin, l'enseignement agricole demeure une filière d'excellence, en phase avec les besoins des territoires et des entreprises. Les taux de réussite aux examens et d'insertion professionnelle résistent ; ils demeurent significativement plus élevés, à niveau comparable, que ceux des élèves issus de l'éducation nationale. Et pourtant, les effectifs d'élèves s'effritent. Certes, les prévisions pour la rentrée 2015 sont positives : une hausse globale de 0,5 %, qui concerne particulièrement l'enseignement public (+1 %). Mais le facteur démographique conduit à minimiser cette augmentation. Surtout, elle ne compense pas la forte baisse des effectifs depuis 2008 : l'enseignement agricole a perdu plus de 4 500 élèves (-2,8 %) depuis 2008, en particulier dans les classes de 4e et de 3e.

La racine du mal est double. D'une part, une logique malthusienne est à l'oeuvre au sein de l'enseignement agricole, qui revient à contingenter l'offre de formation selon les moyens, toujours en baisse, plutôt que selon la demande des élèves et de leurs familles. D'autre part, cette situation découle d'un choix de l'éducation nationale de limiter le plus possible l'orientation vers l'enseignement agricole et de sa dévalorisation constante dans les représentations. La suppression, lors de l'examen du PLF 2015, de 2,5 millions d'euros de crédits du programme 143 pour financer les aides aux communes dans le cadre des nouveaux rythmes scolaires, en fournit le triste exemple.

Mes chers collègues, je conclus mon propos par trois préconisations : la première, c'est de mener une évaluation rigoureuse de la rénovation de la voie professionnelle dans l'enseignement agricole. La seconde est de cultiver la spécificité et les points forts de l'enseignement agricole, que sont l'internat et l'éducation socio-culturelle. Suite aux évènements de janvier, l'enseignement agricole a été largement épargné par le malaise et les incidents qui se sont produits. La troisième, enfin, consiste à relancer à tous les échelons la coopération avec le ministère de l'éducation nationale, qui aujourd'hui demeure trop dépendante des initiatives individuelles et de la bonne volonté des recteurs et des directeurs régionaux de l'alimentation, de l'agriculture et de la Forêt (DRAAF). Cette coopération doit avant tout porter sur l'orientation et la promotion des formations agricoles ; la question de l'orientation des élèves revêt pour l'enseignement agricole une dimension existentielle.

La mutualisation entre les deux réseaux serait un gage d'efficience, mais également d'inspiration : l'éducation nationale a beaucoup à apprendre de l'enseignement agricole. Ces réserves formulées, je recommande la sagesse sur l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire », sous réserve que les ministres s'engagent à ne pas renouveler la ponction opérée l'année dernière.

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