Intervention de Guy Geoffroy

Commission mixte paritaire — Réunion du 18 novembre 2015 à 16h30
Commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées

Guy Geoffroy, président :

Je souhaiterais compléter ces propos et en tirer les conséquences.

Peu de choses séparent la vision que l'Assemblée nationale et le Sénat ont de cette délicate et douloureuse problématique qu'est la prostitution.

Il n'existe que très peu de parlementaires qui souhaitent - et leur position reste honorable - que la prostitution soit envisagée sous l'angle de la réglementation, c'est-à-dire de l'autorisation. En ma qualité d'initiateur du travail parlementaire engagé il y a maintenant cinq ans et demi avec Mme Danielle Bousquet, je constate que nous n'étions pas tous, alors, dans le même état d'esprit. Nous avons tous avancé dans la même direction, en réussissant à convaincre l'opinion - et ceux qui l'alimentent et la façonnent - que ce sujet n'était pas tel qu'ils l'avaient envisagé. Je suis persuadé que, pour nos concitoyens, la prostitution n'est plus considérée comme ce mal nécessaire qu'il faut tolérer, voire organiser. Elle est désormais considérée comme l'un des fléaux les plus graves, les plus récurrents, les plus anciens, les plus dramatiques qui peuvent exister dans une société de droit et qu'il convient de combattre par tous les moyens.

Cette proposition de loi a pour objectif de lutter contre ce fléau.

La responsabilité majeure est celle des proxénètes et des réseaux de traite des êtres humains. Plus personne, y compris dans les milieux les plus favorables à la prostitution, ne le nie. Au cours de nos auditions préliminaires à l'examen de la présente proposition de loi, nous avons entendu des associations favorables au « travail sexuel » reconnaître, loin des poncifs habituels, que le milieu de la prostitution était dangereux et qu'il ne protégeait pas contre le viol mais que le risque et la réalité du viol y étaient au contraire les plus importants.

Nous avons également progressé sur la question de la place de la personne prostituée. Alors que nous n'étions pas tous en phase sur un tel sujet, il n'y a plus beaucoup de parlementaires qui considèrent que les personnes prostituées sont coupables d'une infraction et, à ce titre-là, incriminables. Nous considérons tous que l'écrasante majorité des personnes prostituées - le pourcentage importe peu - sont des victimes d'un commerce inacceptable, la traite des êtres humains, et de toutes les violences qui le précèdent, l'accompagnent ou le suivent.

La question de la place du client a émergé et la réflexion est pratiquement aboutie entre nous. Il y a encore quelques temps, on évoquait la nécessité de la prostitution comme permettant de satisfaire le besoin irrépressible du client. Cette affirmation a fait long feu et c'est là la nouveauté de nos débats, qui ont permis de mettre fin à ce scandaleux poncif : la prostitution ne saurait être une réponse à un besoin irrépressible présumé chez les hommes. Il était ainsi indispensable que nous nous penchions sur la place du client, sans lequel il n'y a pas de prostitution. Sans client et sans proxénète, il n'y a pas matière à martyriser des personnes en vue de les mettre en situation de prostitution. La présente proposition de loi vise donc à demander au client de prendre conscience de sa place dans le phénomène prostitutionnel, à le responsabiliser et - comme en toute matière éducative - à permettre de nommer les choses en droit au cas où la simple éducation ne porterait pas ses fruits.

Sans trahir la pensée de nos collègues sénateurs, il me semble que nous sommes tous d'accord sur cette vision. Le président Jean-Pierre Vial m'a fait part de son souhait que notre commission mixte paritaire puisse aboutir en incluant les articles 16 et 17 instituant la pénalisation du client.

En quoi consistent les différences d'appréciation aujourd'hui ? Peu, c'est ce qui fait le regret ; beaucoup, c'est ce qui fait le constat. Peu, parce que nous sommes d'accord pour rappeler dans la loi que le maire, en tant que garant de la tranquillité et de l'ordre publics, peut solliciter le parquet pour la mise en oeuvre des dispositions de l'article 62 du code de procédure pénale. Nous, députés, pensions que cela répondrait à la crainte de nos collègues sénateurs que la suppression du délit de racolage ne prive les autorités d'un moyen d'action existant. Je constate avec regret que cette proposition ne permet pas d'aboutir. C'est le seul point qui nous empêche d'aboutir à un texte commun. Or, si nous arrivions à trouver une solution sur ce point, en complétant l'article 1er ter, réécrit par le Sénat à l'initiative de sa commission spéciale à la suite d'un travail mené par les parlementaires et le Gouvernement, nous savons que les sénateurs accepteraient de rétablir les articles 16 et 17 dans le sens que nous souhaitons.

Nous sommes face à deux hypothèses. La première serait de considérer qu'il existe parmi nous - et c'est le cas - une majorité pour adopter un texte et faire en sorte que la commission mixte paritaire aboutisse. La seconde serait de considérer que, malgré cette majorité avérée, il existe un risque important que le texte élaboré par notre commission ne soit pas adopté en termes identiques par les deux assemblées. Si le Sénat n'adoptait pas ce texte, l'impact dans l'opinion serait dommageable et, de plus, nous perdrions un temps précieux dans une période où l'ordre du jour est contraint puisque nous serions conduits à reprendre la navette plus tardivement qu'après un échec de la CMP. En tant qu'initiateur parmi d'autres de ce texte, je crains que sa destinée en soit dès lors endommagée.

Si nous renonçons à ce que les députés et certains sénateurs imposent à notre commission mixte paritaire la volonté de l'Assemblée nationale, nous repartirons pour une seule lecture dans chaque chambre et adopterons, à l'Assemblée nationale, un texte proche de celui qui aurait pu et dû être voté par la commission mixte paritaire et dont il reviendra à nos collègues sénateurs de décider s'il pourra leur convenir ; à défaut, l'Assemblée nationale aura le dernier mot, comme le prévoit la Constitution.

Cette solution permettra à chacune de nos assemblées d'être assurée du travail effectué, d'être consciente de notre volonté en toute bonne foi de rapprocher les points de vue, mais de comprendre également que nous ne pouvons pas aboutir à ce jour.

En mon nom et au nom du président Jean-Pierre Vial, je vous propose aujourd'hui - à regret mais plein d'espérance - de conclure que nous ne pouvons aboutir à un accord compte tenu du risque de voir le texte élaboré par notre commission mixte paritaire ne pas pouvoir être adopté par le Sénat. Je préfère renoncer aujourd'hui en espérant qu'à cet échec provisoire succède une réussite collective assumée. Nos deux rapporteures pourront ainsi faire état, dans leur rapport, de l'échec de nos travaux en concluant que la commission mixte paritaire a constaté qu'elle ne pouvait aboutir à un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi.

Soyez assurés que nous finirons par aboutir, que chacun sera respecté tant dans sa conviction que dans sa volonté, et que ce grand texte deviendra le plus rapidement possible une loi de la République française.

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