Commission mixte paritaire

Réunion du 18 novembre 2015 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • accompagnement
  • client
  • délit
  • prostitution
  • prostituée
  • racolage

La réunion

Source

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 18 novembre 2015.

Elle procède d'abord à la désignation de son bureau qui est ainsi constitué : M. Guy Geoffroy, député, président ; M. Jean-Pierre Vial, sénateur, vice-président ; Mme Maud Olivier, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale ; Mme Michelle Meunier, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

Debut de section - Permalien
Guy Geoffroy, député, président

Malgré l'importance malheureusement inégalable de l'actualité de ces derniers jours, la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées reste un texte majeur, qui mériterait de faire l'objet du meilleur consensus possible parmi les représentants de la Nation que nous sommes. Ce texte a été adopté le 14 octobre 2015 en deuxième lecture par le Sénat, qui, d'un côté, a adopté conforme l'article 13 supprimant le délit de racolage, mais, d'un autre côté, a supprimé les articles 16 et 17 réprimant le recours à la prostitution. Il nous revient donc aujourd'hui de mesurer l'état du dialogue entre nos deux assemblées et de déterminer si, au-delà de nos divergences, nous sommes en mesure ou non de parvenir à un accord.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Entre la première et la deuxième lecture, le dialogue entre l'Assemblée nationale et le Sénat a progressé, même si des désaccords importants demeurent. Dès la première lecture, nous avons cherché à rapprocher nos points de vue. Plus qu'un consensus, une conviction s'est dégagée : celle d'être saisis d'un texte important, fort, qui procède à une rupture avec les dispositions existant aujourd'hui. En deuxième lecture, nous avons approuvé l'ensemble des mesures d'accompagnement social des personnes prostituées, ainsi que la protection inspirée de celle accordée aux « repentis » - terme en l'occurrence inadéquat dans la mesure où l'on parle de victimes. En revanche, nos discussions n'ont pas abouti sur un point : un accord du Sénat aurait pu être possible à condition d'établir une symétrie entre, d'un côté, la pénalisation du client et, de l'autre, des mesures répressives se substituant au délit de racolage - mesures à destination des forces de l'ordre, mais aussi des maires, pour ceux d'entre eux qui voudraient y recourir, sur tout ou partie du territoire de leur commune. En l'état actuel de nos discussions, malgré l'échange de réflexions et la recherche de rédactions communes, ce point est de nature à empêcher un accord global sur la proposition de loi.

Debut de section - Permalien
Maud Olivier, rapporteure pour l'Assemblée nationale

Voilà maintenant plus de deux ans que la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées a été déposée sur le Bureau de notre assemblée. Après deux lectures dans chaque chambre et conformément à la procédure prévue au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, une commission mixte paritaire a été convoquée. À ce stade, neuf articles restent en discussion, parmi lesquels l'article 16, qui vise à pénaliser l'achat d'actes sexuels.

De toute évidence, les points qui nous rassemblent sont plus nombreux que ceux qui nous séparent. Cela n'est guère surprenant dans la mesure où nous sommes guidés par un certain nombre d'ambitions communes : renforcer la lutte contre l'exploitation sexuelle sous toutes ses formes, mettre en place une véritable politique publique d'accompagnement des personnes prostituées, améliorer les connaissances des jeunes générations quant aux réalités de la prostitution.

Plusieurs articles de la proposition de loi ont d'ores et déjà été adoptés dans des termes identiques ; d'autres sont encore en discussion, pour des raisons tenant plus à leur rédaction qu'à leur contenu. Je voudrais en évoquer brièvement quelques-uns, que je considère comme étant d'une importance particulière :

- l'article 1er, qui autorise le signalement, sur Internet, des contenus qui contreviendraient à la législation sur la traite des êtres humains ou le proxénétisme. À cet égard, nous savons que l'activité des réseaux d'exploitation sexuelle repose désormais, en grande partie, sur les facilités qu'offre internet pour mettre en relation « acheteurs » et « vendeurs » de services sexuels ;

- l'article 1er ter, qui vise à accorder une protection adéquate, inspirée de celle offerte aux « repentis », aux personnes prostituées victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme qui aident l'autorité judiciaire, par leurs témoignages, à démanteler les réseaux ;

- l'article 3, qui crée un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle afin que les personnes prostituées, soutenues par les pouvoirs publics et le secteur associatif, puissent bénéficier d'un véritable accompagnement, encadré, solide et pérenne, pour parvenir à rompre avec l'activité prostitutionnelle ;

- l'article 3 bis, qui reconnaît aux personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution et, plus généralement, aux victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme le statut de public prioritaire pour l'accès aux logements sociaux ;

- l'article 4, qui met en place un fonds dédié à la prévention de la prostitution et à l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées, fonds qui devrait être abondé à hauteur de vingt millions d'euros par an conformément aux engagements du Gouvernement ;

- l'article 6, qui a pour objet de sécuriser la situation administrative des personnes prostituées étrangères victimes des réseaux, qu'elles collaborent ou non avec l'autorité judiciaire ;

- l'article 10, qui ouvre aux victimes de proxénétisme un droit à la réparation intégrale des dommages subis du fait de cette infraction, sans qu'il soit nécessaire d'apporter la preuve d'une incapacité permanente ou d'une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois ;

- l'article 15, qui doit permettre d'améliorer, dans les établissements d'enseignement secondaire, l'information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps, phénomènes très largement méconnus des élèves.

Tous ces articles sont porteurs d'avancées considérables pour les personnes prostituées. Tous doivent en effet leur permettre, qu'elles soient françaises ou étrangères, d'être mieux protégées par la puissance publique et mieux accompagnées dans leur quête de rupture avec l'activité prostitutionnelle.

En revanche, nous n'avons pas réussi à nous mettre d'accord sur la question du statut qu'il convient d'accorder, dans la loi, aux personnes prostituées, d'une part, et aux clients de la prostitution, d'autre part. Car si l'article 13, qui supprime le délit de racolage public prévu à l'article 225-10-1 du code pénal, a été adopté dans des termes identiques par nos deux assemblées, l'article 16, qui crée une infraction de recours à l'achat d'actes sexuels, afin de décourager la demande, a été supprimé par le Sénat tant en première qu'en deuxième lecture.

Nous avons tenté de parvenir, au cours des dernières semaines, à une solution acceptable pour les deux assemblées. Nos collègues sénateurs étaient disposés à faire évoluer leur position sur la pénalisation du client, au prix toutefois d'un rétablissement partiel de la pénalisation des personnes prostituées - dès lors qu'elles auraient circulé ou stationné dans certaines zones délimitées par arrêté municipal. Il n'a donc pas été possible de parvenir à un accord, toute incrimination des personnes prostituées - quelle qu'en soit la forme - apparaissant à la fois inacceptable et incompatible avec l'idée selon laquelle celles-ci sont des victimes, pas des coupables.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Je salue d'abord l'initiative de nos collègues députés, à l'origine de cette proposition de loi, utile et forte, ainsi que la qualité du travail que nous avons pu mener sur ce texte. Son examen nous aura permis de réfléchir à ce que signifie aujourd'hui, concrètement, au regard de la réalité du terrain, l'engagement abolitionniste de la France. Celui-ci doit nous conduire à changer le regard sur la personne prostituée, afin qu'elle soit enfin reconnue comme victime.

Ce changement de regard - et de logique - s'accompagne nécessairement de la responsabilisation du client. J'ai tenu cette position avec constance tout au long de la discussion de ce texte, en défendant l'abrogation du délit de racolage et l'interdiction de l'achat d'un acte sexuel. Ces deux mesures, très complémentaires l'une de l'autre, forment, avec le renforcement de la lutte contre la traite des êtres humains et l'accompagnement des personnes prostituées, un tout cohérent permettant de lutter efficacement contre ce qui constitue une violence exercée, dans la très grande majorité des cas, par des hommes sur des femmes. Au terme des deux lectures, il apparaît que cette vision n'est pas partagée par une majorité de mes collègues. Mais beaucoup d'autres dispositions font consensus, en particulier le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle, les mesures de prévention destinées aux jeunes et le dispositif de protection des victimes des réseaux, lorsqu'elles apportent un témoignage utile à la manifestation de la vérité dans le cadre d'une enquête.

Pour autant, la pénalisation des clients de personnes prostituées a été rejetée par deux fois par le Sénat. Je le regrette, mais c'est ainsi. En dépit de l'adoption conforme par notre assemblée, en deuxième lecture, de l'article abrogeant le délit de racolage et malgré la modification de l'article 1er ter, qui constitue une avancée décisive en la matière, les craintes liées au maintien de l'ordre public et à la nécessité de donner aux forces de police des outils de remontée des réseaux demeurent prégnantes parmi les membres du Sénat.

Les discussions avec les présidents Jean-Pierre Vial et Guy Geoffroy ainsi qu'avec la rapporteure Maud Olivier ne nous ont pas permis d'aboutir à un texte susceptible de faire consensus entre nos deux assemblées et entre les différents groupes qui les composent. Nous sommes arrivés à une impasse. Si nous souhaitons réellement traiter les personnes prostituées comme des victimes à part entière, il n'est pas possible d'inscrire dans la loi un mécanisme de sanction à leur égard, dont le déclenchement serait lié à l'exercice de leur activité de prostitution.

C'est finalement toujours la même question qui reste posée : quel regard voulons-nous porter sur la personne prostituée et sur son client ? Je crains malheureusement que, malgré les tentatives de rapprochement, nos deux assemblées ne parviennent pas à dégager une position commune, ce que l'on ne peut que regretter. Il faudra bien trancher et permettre une fois pour toute à cette proposition de loi de terminer son parcours législatif, d'être enfin mise en application et de produire ses effets, tant attendus sur le terrain.

Debut de section - Permalien
Guy Geoffroy, président

Je souhaiterais compléter ces propos et en tirer les conséquences.

Peu de choses séparent la vision que l'Assemblée nationale et le Sénat ont de cette délicate et douloureuse problématique qu'est la prostitution.

Il n'existe que très peu de parlementaires qui souhaitent - et leur position reste honorable - que la prostitution soit envisagée sous l'angle de la réglementation, c'est-à-dire de l'autorisation. En ma qualité d'initiateur du travail parlementaire engagé il y a maintenant cinq ans et demi avec Mme Danielle Bousquet, je constate que nous n'étions pas tous, alors, dans le même état d'esprit. Nous avons tous avancé dans la même direction, en réussissant à convaincre l'opinion - et ceux qui l'alimentent et la façonnent - que ce sujet n'était pas tel qu'ils l'avaient envisagé. Je suis persuadé que, pour nos concitoyens, la prostitution n'est plus considérée comme ce mal nécessaire qu'il faut tolérer, voire organiser. Elle est désormais considérée comme l'un des fléaux les plus graves, les plus récurrents, les plus anciens, les plus dramatiques qui peuvent exister dans une société de droit et qu'il convient de combattre par tous les moyens.

Cette proposition de loi a pour objectif de lutter contre ce fléau.

La responsabilité majeure est celle des proxénètes et des réseaux de traite des êtres humains. Plus personne, y compris dans les milieux les plus favorables à la prostitution, ne le nie. Au cours de nos auditions préliminaires à l'examen de la présente proposition de loi, nous avons entendu des associations favorables au « travail sexuel » reconnaître, loin des poncifs habituels, que le milieu de la prostitution était dangereux et qu'il ne protégeait pas contre le viol mais que le risque et la réalité du viol y étaient au contraire les plus importants.

Nous avons également progressé sur la question de la place de la personne prostituée. Alors que nous n'étions pas tous en phase sur un tel sujet, il n'y a plus beaucoup de parlementaires qui considèrent que les personnes prostituées sont coupables d'une infraction et, à ce titre-là, incriminables. Nous considérons tous que l'écrasante majorité des personnes prostituées - le pourcentage importe peu - sont des victimes d'un commerce inacceptable, la traite des êtres humains, et de toutes les violences qui le précèdent, l'accompagnent ou le suivent.

La question de la place du client a émergé et la réflexion est pratiquement aboutie entre nous. Il y a encore quelques temps, on évoquait la nécessité de la prostitution comme permettant de satisfaire le besoin irrépressible du client. Cette affirmation a fait long feu et c'est là la nouveauté de nos débats, qui ont permis de mettre fin à ce scandaleux poncif : la prostitution ne saurait être une réponse à un besoin irrépressible présumé chez les hommes. Il était ainsi indispensable que nous nous penchions sur la place du client, sans lequel il n'y a pas de prostitution. Sans client et sans proxénète, il n'y a pas matière à martyriser des personnes en vue de les mettre en situation de prostitution. La présente proposition de loi vise donc à demander au client de prendre conscience de sa place dans le phénomène prostitutionnel, à le responsabiliser et - comme en toute matière éducative - à permettre de nommer les choses en droit au cas où la simple éducation ne porterait pas ses fruits.

Sans trahir la pensée de nos collègues sénateurs, il me semble que nous sommes tous d'accord sur cette vision. Le président Jean-Pierre Vial m'a fait part de son souhait que notre commission mixte paritaire puisse aboutir en incluant les articles 16 et 17 instituant la pénalisation du client.

En quoi consistent les différences d'appréciation aujourd'hui ? Peu, c'est ce qui fait le regret ; beaucoup, c'est ce qui fait le constat. Peu, parce que nous sommes d'accord pour rappeler dans la loi que le maire, en tant que garant de la tranquillité et de l'ordre publics, peut solliciter le parquet pour la mise en oeuvre des dispositions de l'article 62 du code de procédure pénale. Nous, députés, pensions que cela répondrait à la crainte de nos collègues sénateurs que la suppression du délit de racolage ne prive les autorités d'un moyen d'action existant. Je constate avec regret que cette proposition ne permet pas d'aboutir. C'est le seul point qui nous empêche d'aboutir à un texte commun. Or, si nous arrivions à trouver une solution sur ce point, en complétant l'article 1er ter, réécrit par le Sénat à l'initiative de sa commission spéciale à la suite d'un travail mené par les parlementaires et le Gouvernement, nous savons que les sénateurs accepteraient de rétablir les articles 16 et 17 dans le sens que nous souhaitons.

Nous sommes face à deux hypothèses. La première serait de considérer qu'il existe parmi nous - et c'est le cas - une majorité pour adopter un texte et faire en sorte que la commission mixte paritaire aboutisse. La seconde serait de considérer que, malgré cette majorité avérée, il existe un risque important que le texte élaboré par notre commission ne soit pas adopté en termes identiques par les deux assemblées. Si le Sénat n'adoptait pas ce texte, l'impact dans l'opinion serait dommageable et, de plus, nous perdrions un temps précieux dans une période où l'ordre du jour est contraint puisque nous serions conduits à reprendre la navette plus tardivement qu'après un échec de la CMP. En tant qu'initiateur parmi d'autres de ce texte, je crains que sa destinée en soit dès lors endommagée.

Si nous renonçons à ce que les députés et certains sénateurs imposent à notre commission mixte paritaire la volonté de l'Assemblée nationale, nous repartirons pour une seule lecture dans chaque chambre et adopterons, à l'Assemblée nationale, un texte proche de celui qui aurait pu et dû être voté par la commission mixte paritaire et dont il reviendra à nos collègues sénateurs de décider s'il pourra leur convenir ; à défaut, l'Assemblée nationale aura le dernier mot, comme le prévoit la Constitution.

Cette solution permettra à chacune de nos assemblées d'être assurée du travail effectué, d'être consciente de notre volonté en toute bonne foi de rapprocher les points de vue, mais de comprendre également que nous ne pouvons pas aboutir à ce jour.

En mon nom et au nom du président Jean-Pierre Vial, je vous propose aujourd'hui - à regret mais plein d'espérance - de conclure que nous ne pouvons aboutir à un accord compte tenu du risque de voir le texte élaboré par notre commission mixte paritaire ne pas pouvoir être adopté par le Sénat. Je préfère renoncer aujourd'hui en espérant qu'à cet échec provisoire succède une réussite collective assumée. Nos deux rapporteures pourront ainsi faire état, dans leur rapport, de l'échec de nos travaux en concluant que la commission mixte paritaire a constaté qu'elle ne pouvait aboutir à un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi.

Soyez assurés que nous finirons par aboutir, que chacun sera respecté tant dans sa conviction que dans sa volonté, et que ce grand texte deviendra le plus rapidement possible une loi de la République française.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

La réunion est levée à 17 h 05.