Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 novembre 2015 à 8h35
Loi de finances 2016 — Mission « immigration asile et intégration » crédits « immigration » - examen du rapport pour avis

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur pour avis :

Mon rapport pour avis est consacré aux crédits relatifs à la circulation des étrangers, à la politique des visas, à la lutte contre l'immigration irrégulière, à l'intégration et à l'accès à la nationalité française, notre collègue Esther Benbassa se chargeant de ce qui relève de l'asile.

Ces crédits s'élèvent, dans le projet de loi de finances pour 2016 à un peu plus de 170 millions d'euros en autorisations d'engagement et 169 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 9,6 % par rapport aux crédits ouverts dans la loi de finances initiale pour 2015.

Je centrerai mon propos sur trois grands sujets : l'augmentation des crédits dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière et à l'intégration ; l'immigration régulière et les naturalisations ; le problème des politiques d'éloignement.

Les crédits du programme 303 « immigration et asile », sont, pour le volet immigration, en augmentation de près de 20 %, ce qui les ramène à leur niveau de 2012. On observe une rationalisation dans la gestion des centres de rétention. Au regard du contexte migratoire actuel, les crédits inscrits au titre du fonctionnement hôtelier de ces centres, locaux de rétention administrative et zones d'attente sont portés à plus de 20 millions, soit une augmentation de 8 % au regard de la loi de finance initiale pour 2015. Il y a là, de toute évidence, un effort.

On peut déplorer, cependant, la sous-utilisation chronique des salles d'audience délocalisées et du système vidéo ad hoc. Alors que l'État a engagé de gros travaux pour améliorer les conditions de ce type d'audience et s'assurer qu'aucun droit n'y soit mis en cause, les magistrats refusent toujours d'utiliser cette voie et la salle aménagée à Bobigny reste inemployée. Ce n'est pas acceptable. Quant aux vidéo-audiences, auxquelles il peut être recouru dans le cadre de la rétention administrative par le juge des libertés et de la détention, et dont la possibilité a été étendue aux juridictions administratives en cas de contestation par un étranger placé en rétention de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, aucune ne s'est tenue en raison de l'opposition des magistrats et des avocats. C'est regrettable. Nous avons pu, avec plusieurs collègues, être témoin d'une audience tenue selon ces modalités à la Cour nationale du droit d'asile et je puis témoigner que cette procédure est pleinement respectueuse des droits de chacun.

Le budget dédié à l'assignation à résidence, à 1,3 millions d'euros, reste modeste, même s'il augmente de 25 % : au regard des 30 millions dédiés aux centres de rétention, c'est bien peu. Je rappelle que le projet de loi relatif aux droits des étrangers, en cours d'examen devant le Parlement, privilégie l'assignation à résidence. Le Sénat y a mis des conditions mais encore faut-il qu'existent les moyens pour que celles-ci soient respectées. Il faudra y veiller.

Les crédits du programme 104 « intégration et accès à la nationalité » augmentent de façon significative. Sur 12 millions d'euros supplémentaires, 4 millions sont consacrés à la subvention pour charge de service public allouée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), soit une augmentation de 40 %, tandis que 5 millions sont destinés au financement des 500 places supplémentaires au sein des centres provisoires d'hébergement, qui doivent venir s'ajouter aux 1 136 places existantes.

Lors de l'examen à l'Assemblée nationale, un amendement du Gouvernement est venu augmenter les crédits de la mission de près de 98 millions d'euros - un peu plus en réalité -, dont 26 millions pour le programme 104, consacrés exclusivement à l'augmentation, que je viens de rappeler, de la subvention à l'OFII, qui passe de 10 millions à 41 millions d'euros. En dépit de cette augmentation, faite pour répondre aux missions supplémentaires confiées à l'Office, la question de sa capacité à assurer ces nouvelles missions reste posée. Certes, 126 ETP (équivalents temps plein) supplémentaires représentent un effort substantiel dans la période actuelle, mais les effectifs de l'OFII ne feront par là que retrouver leur niveau de 2008, alors même que depuis cette date, le périmètre d'intervention de l'Office a largement augmenté et que son action s'inscrit dans un contexte de crise migratoire d'une ampleur inédite. J'insiste mais l'OFII aura-t-il les moyens de mener la mission qui lui a été confiée ? Le budget qui lui est alloué reste, en l'état, insuffisant et l'on peut craindre que, fragilisé, il n'en vienne à devoir faire des choix dans les missions qui sont les siennes. Si l'on veut mener une politique globale de l'immigration et réussir, en matière d'intégration, le projet collectif qui est le nôtre, il faut s'assurer que l'OFII ait les moyens de son action.

Un point, à présent, sur l'immigration régulière. Le Maghreb et la Chine en restent les premières sources. Les vingt principaux pays source, dont vous retrouverez la liste dans mon rapport, représentent 149 246 personnes sur un total de 219 000 personnes concernées, soit les deux tiers de l'immigration légale. Il n'y a pas de changement majeur dans la structure de cette immigration. L'immigration économique n'est pas très importante - 9 % des titres délivrés en 2014 ; c'est l'immigration familiale qui constitue l'essentiel de l'immigration régulière - 92 000 titres en 2014, soit 43 % de l'immigration légale, l'immigration étudiante venant au deuxième rang, à 30 %.

Je n'ai pas de commentaire à faire sur la généralisation des plates-formes d'instruction des demandes d'accès à la nationalité, qui ne posent pas de difficulté particulière.

J'en viens aux politiques d'éloignement, qui méritent un coup de projecteur. Ces politiques, très coûteuses, donnent de bien faibles résultats. Il est difficile, tout d'abord, d'évaluer le nombre d'étrangers en situation irrégulière sur notre territoire. Deux indicateurs permettent de l'évaluer. En premier lieu, le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État, qui était de 284 298 en 2014, soit une augmentation de 24,7 % par rapport à 2010. En second lieu, on sait que les 40 000 déboutées du droit d'asile alimentent, pour partie, chaque année, l'immigration irrégulière. Les services, prudents, ne contestent pas le chiffre avancé de plus de 300 000 personnes en situation irrégulière, mais ne sont pas en mesure d'en apporter la preuve formelle.

S'agissant de l'efficacité des politiques d'éloignement, se pose, en premier lieu, la question du thermomètre. L'indicateur d'activité de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière ne permet pas, en réalité, d'évaluer l'efficacité des services en cette matière. Lorsque nous avons demandé, au cours d'une audition récente, des explications sur les critères de calcul, nous nous sommes rendu compte que personne n'utilisait des ratios identiques. Comment se mettre d'accord à ce compte ? Pour mesurer l'efficacité des politiques d'éloignement, il me semble qu'il conviendrait de produire un indicateur rapportant le nombre de décisions d'éloignement exécutées au nombre de celles qui ont été prononcées, à l'encontre de ressortissants de pays tiers à l'Union européenne.

Autre sujet de préoccupation, l'absence d'évaluation en matière de lutte contre l'immigration irrégulière. Sachant que plusieurs services - services de police, services administratifs... - sont appelés à intervenir, il serait bon de se doter d'un document de politique transversale, afin de mesurer précisément le coût de l'immigration irrégulière. Nous avons entendu la Cour des comptes, à la suite du rapport déposé il y a quelques semaines, qui a confirmé le chiffre de 2 milliards dont on se souvient qu'il a défrayé la chronique, en juillet.

Quant au coût du contentieux lié à l'éloignement, il est extrêmement élevé. Outre que la complexité du droit des étrangers génère un contentieux important et un taux de condamnation de l'État assez élevé : 28,2 % devant les tribunaux administratifs et 8 % en appel. Le coût, pour l'État s'élève, en 2014, à 8,4 millions d'euros de frais irrépétifs, pour 8 348 jugements, à quoi s'ajoutent 5,8 millions d'euros liés aux prestations d'avocats et le montant de l'aide juridictionnelle au titre de ce contentieux. Cette question de l'aide juridictionnelle est un vrai sujet. Diverses procédures peuvent être engagées, ce qui multiplie d'autant les possibilités, pour les avocats, d'émarger au titre de l'aide juridictionnelle. Soyons clairs, certains en font commerce. Ce n'est pas acceptable. La commission des lois devrait s'y pencher, pour y mettre un peu d'ordre.

En ce qui concerne la lutte contre les filières irrégulières et la fraude documentaire, l'audition de l'OCRIEST (Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre) a révélé que les moyens qui lui sont alloués sont, pour l'heure, suffisants. En 2014, 226 filières ont été démantelées, impliquant 1 834 personnes, dont 1 349 ont été placées en garde à vue et 683 déférées devant un magistrat. Au cours des dix premiers mois de 2015, 227 filières ont été démantelées, aboutissant à la mise en cause de 1 602 personnes. Le taux des déferrements, relativement élevé, est de l'ordre de 37 % mais les appréciations restent disparates sur la définition de la notion de filière. Quant à la lutte contre la fraude documentaire, elle ne semble pas soulever de difficultés.

Il est incontestable, au total, que sur un certain nombre de points, les moyens augmentent. Mais il est tout aussi incontestable que s'agissant du traitement de l'immigration irrégulière, et en particulier de l'éloignement, l'action n'est pas à la hauteur des enjeux et que le ratio coût-efficacité n'est pas satisfaisant.

Je me dois de vous rappeler que la commission des finances a émis un avis défavorable à l'adoption de ces crédits. Je serais, pour ma part, enclin à vous proposer d'émettre un avis favorable, sous réserve des éléments nouveaux en termes de moyens qu'apportera le débat en séance pour le versant qui me paraît le plus fragile, celui de la lutte contre l'immigration irrégulière et des politiques d'éloignement.

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