Intervention de Didier Robert

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 novembre 2015 à 9h00
Loi de finances pour 2016 — Mission« outre-mer » - examen du rapport pour avis

Photo de Didier RobertDidier Robert, rapporteur pour avis :

Comme l'année passée, la mission « Outre-mer » peut être considérée comme relativement préservée. A 2,06 milliards, les crédits de paiement de la mission devraient connaître une quasi-stabilité. Gardons-nous pour autant de tout triomphalisme ; la situation des outre-mer reste critique sur l'ensemble des sujets sociaux : des taux de chômage, qui représentent plus du double de celui de l'hexagone, dépassant très largement les 50 % pour les jeunes dans la plupart des départements d'outre-mer (DOM) ; l'habitat insalubre, dont la permanence est intolérable et que les actions entreprises sont très loin de résorber ; la santé - les débats récents lors de l'examen du projet de loi sur la santé ont révélé les écarts qui continuent de se creuser avec l'hexagone. En réalité, nous savons tous que ces crédits, quoique préservés, ne suffiront pas à couvrir l'immensité des besoins.

Si je comprends la nécessité pour l'ensemble des secteurs de l'État de prendre leur part de l'effort de redressement des comptes publics, la maquette budgétaire globale ne prend absolument pas en compte la réalité des situations économiques et sociales des outre-mer. Les autorisations d'engagement de la mission sont en baisse légère de 13,2 millions d'euros : l'investissement de l'État sur ces territoires diminue.

Un nouveau coup de rabot aux exonérations de cotisations sociales pour les entreprises de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de La Réunion, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy a été décidé à l'article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. En conséquence, l'action n° 1 du programme 138 sur le soutien aux entreprises, de compensation de ces exonérations par le budget de l'État aux organismes de sécurité sociale, représente 1,1 milliard d'euros, soit la moitié des dépenses de la mission. Je connais les critiques adressées aux dispositifs de défiscalisation dans ce contexte de redressement budgétaire. Les niches sociales ultramarines doivent être examinées au regard des conditions particulières de la compétitivité de ces territoires. Ce ne sont pas des cadeaux aux entreprises ultramarines, mais des dispositifs absolument indispensables à la survie des économies des outre-mer, dont la suppression ou la réduction progressive ne pourra qu'entraîner des résultats économiques encore plus catastrophiques et, par voie de conséquence, la nécessité de mesures de compensation sociale toujours plus importantes.

Depuis sa mise en place en 1994, le dispositif d'exonérations de charges patronales a déjà connu des coups de rabot successifs dans le cadre de la loi de finances pour 2009, de la Lodeom et de la loi de finances pour 2014. La réforme en cours d'examen entraînera une baisse de 75 millions d'euros des crédits. Ces ajustements vident progressivement le mécanisme de sa logique.

Pourquoi faire porter cette réforme par le PLFSS, quand elle figurait en 2013 dans le projet de loi de finances ? Ce déplacement pose la question du suivi parlementaire d'un dispositif aussi important pour les outre-mer, dans la mesure où deux commissions différentes ont été appelées à se prononcer.

Enfin, le recentrage sur les bas salaires me fait craindre une trappe à bas salaires, quand tout devrait être fait pour favoriser l'emploi qualifié dans les outre-mer, et notamment l'embauche de jeunes ultramarins diplômés.

L'avenir des différents mécanismes de défiscalisation dans les outre-mer semble en suspens. Si l'article 43 du projet de loi de finances rattaché à la présente mission proroge jusqu'au 31 décembre 2017 des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement, qui concernent notamment les champs du logement social et de la réhabilitation d'immeubles, la question de leur devenir au-delà reste entière.

Le service militaire adapté (SMA), qui a inspiré l'expérimentation du service militaire volontaire (SMV), bénéficiera pour 2016 de 202 millions d'euros, en hausse de 3 % par rapport à l'an passé. Ces crédits permettront d'accueillir le nombre modeste de 5 800 stagiaires, en deçà des prévisions initiales du plan SMA 6 000. Selon les informations recueillies lors des auditions, le décalage de cet objectif à 2017 est une conséquence des contraintes budgétaires nouvelles définies par le triennal 2015-2017.

Nous pouvons tirer un premier bilan de la réforme de la continuité territoriale mise en oeuvre cette année par voie réglementaire, et sur laquelle le Sénat avait exprimé ses fortes inquiétudes, par un amendement d'appel rétablissant les crédits associés. Cette politique de compensation de l'éloignement des outre-mer par des aides au transport constitue la traduction du principe d'unité de la République. Elle est principalement portée par les crédits du fonds de continuité territoriale, qui recouvre plusieurs dispositifs : l'aide à la continuité territoriale, le passeport mobilité études et le passeport mobilité formation professionnelle. Ces aides sont gérées par l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom). Ces crédits, en légère augmentation pour 2016, devraient s'établir à 43 millions d'euros ; ils restent pourtant, à périmètre constant, 9 millions en-deçà du niveau de 2014, soit une perte définitive de près de 20 % des crédits.

Cette baisse brutale s'est fort logiquement traduite dans le niveau de recours des populations aux aides à la mobilité du ressort de l'État, qui a connu un véritable effondrement. Selon Ladom, un peu plus de 12 000 bons de continuité territoriale avaient été réalisés au mois d'août 2015, contre près de 73 000 à la même date en 2014, soit une baisse de 84 % du nombre de bons utilisés comme des crédits associés, et un sérieux coup porté à l'universalité du dispositif par la réforme de 2015 - elle consistait à réviser à la baisse le montant des aides et à n'autoriser leur bénéfice qu'une fois tous les trois ans.

Cette baisse globale s'est faite sans pour autant améliorer l'accès des plus démunis à cette aide, contrairement à ce qu'annonçait le Gouvernement l'an passé. En effet, le montant des aides simples accordées a diminué sans que celui des aides majorées augmente, ce qui n'améliore pas la situation des restes à charge.

En réalité, l'État se désengage et fait supporter une part importante du dispositif aux collectivités territoriales. La plupart des collectivités ultramarines ont dû mettre en place des aides complémentaires à celles apportées par l'État. En 2014, près de la moitié des aides étaient déjà prises en charge dans ce cadre.

Le budget de la continuité territoriale proposé pour l'année 2016 offre cependant au moins un motif de satisfaction avec la mise en place d'une aide à la continuité funéraire, pour un montant provisionné à hauteur d'1 million d'euros. Nous devrons nous montrer particulièrement attentifs à cette question pour garantir la justice, l'égalité, et surtout la dignité de tous les Français.

J'appelle votre attention sur les mesures prises face à la situation sanitaire, dont le caractère urgent a été souligné par le rapport de la Cour des comptes de juin 2014 La santé dans les outre-mer, une responsabilité de la République. Il était relevé que les territoires ultramarins cumulent les difficultés, avec des risques spécifiques importants dans un contexte socio-économique dégradé : présence d'agents infectieux spécifiques (épidémies de chikungunya ou de zika), de pathologies rares ou à la prévalence faible dans l'hexagone (leptospirose, résurgence de la tuberculose et des hépatites), de maladies chroniques (diabète et hypertension artérielle, Sida), et de risques environnementaux particuliers (chlordécone aux Antilles). Le taux de mortalité infantile constitue un indicateur particulièrement frappant : de 3,3 pour mille dans l'hexagone en 2012, il atteignait 8,5 à La Réunion, 9,9 en Guadeloupe et jusqu'à 16,1 à Mayotte. Si La Réunion et les Antilles sont dans une dynamique de convergence avec l'hexagone, la Guyane et Mayotte font face à des retards importants. Les problèmes rencontrés dans l'hexagone quant à l'organisation du système de santé se manifestent de manière aiguë sur ces territoires, en particulier les problèmes d'accès aux soins, aggravés par l'insularité.

La Direction générale des outre-mer (Dégéom) m'a indiqué qu'un travail interministériel était engagé pour définir une stratégie de santé spécifique aux outre-mer. Leurs conclusions devraient être présentées dans les prochaines semaines et faire l'objet d'un plan santé pour les outre-mer au début de l'année prochaine. Les crédits associés au financement d'actions sanitaires ne relèvent cependant pas de la présente mission, qui prévoit seulement 2 millions d'euros au titre général des actions sanitaires et sociales. Aussi, notre commission devra se montrer particulièrement attentive au suivi de ces travaux.

Comme l'année passée, mes réserves sont donc nombreuses. Ce budget n'a aucune autre ambition que celle de continuer à garantir un niveau minimal de ressources aux outre-mer ; en aucun cas il ne propose une véritable politique encourageant l'investissement et l'emploi dans ces territoires.

Cependant, compte tenu d'une situation exceptionnelle qui aura nécessairement des traductions budgétaires, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer » ainsi qu'à l'article 43 rattaché - sous réserve toutefois de porter l'an prochain une attention particulière aux différents points que je vous ai signalés.

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