Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission examine le rapport pour avis de Mme Agnès Canayer sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Régimes sociaux et de retraite »).
La réunion est ouverte à 9 heures.
La mission « Régimes sociaux et de retraites » regroupe les subventions d'équilibre que l'État verse à onze régimes spéciaux de retraite en situation de déséquilibre démographique. Ces régimes comptent environ 721 000 pensionnés en 2015. Huit d'entre eux sont fermés, c'est-à-dire qu'ils n'accueillent plus de nouveaux affiliés.
La mission, dont les crédits s'élèvent en 2016 à 6,3 milliards d'euros, en recul de 1,45 % par rapport à 2015 et de 2,9 % par rapport à 2014, regroupe trois programmes. D'abord, le programme 198 « Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres » comprend les subventions versées à la branche vieillesse des régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP, mais aussi celles que reçoivent une série de petits régimes en voie d'extinction parmi lesquels le régime de chemins de fer d'Afrique du Nord et du Niger Méditerranée. Ce programme regroupe aussi les crédits affectés au congé de fin d'activité et au complément de retraite des conducteurs routiers. Avec 4 milliards d'euros, en baisse de 0,1 % par rapport à 2015, il représente à lui seul 64 % des crédits de la mission.
Le programme 197, « Régime de retraite et de sécurité sociale des marins », est le moins doté de la mission puisqu'il n'en représente que 13 % des crédits, soit 825 millions d'euros pour 2016. Enfin, le programme 195, « Régimes de retraite des mines, de la SEITA et divers », affecte 1,4 milliard d'euros à des régimes en extinction rapide et démographiquement déséquilibrés, tels le régime des mines, de la SEITA ou de l'ORTF ; ses crédits, en baisse de 4,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2015, représentent 23 % de la mission.
La forte augmentation des crédits de la mission depuis 2006, pour des raisons essentiellement démographiques, a cessé il y a deux ans. D'abord en raison de la faible revalorisation des pensions en 2015 et 2016, conséquence d'une faible inflation et du report de la date de revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre. Ensuite à cause de la baisse du volume des prestations servies par les régimes fermés. Enfin du fait de la hausse progressive de 0,3 point, entre 2012 et 2014, des parts salariales et patronales des cotisations d'assurance vieillesse, transposée par décret en 2014 aux régimes de la SNCF et de la RATP.
La solidarité nationale finance deux tiers des prestations de ces onze régimes spéciaux. S'il est logique que l'État accompagne l'extinction des régimes fermés de même que celui des marins, dont la pénibilité appelle un traitement différencié, il est indispensable de poursuivre la stratégie mise en oeuvre en 2008 d'alignement progressif des paramètres des régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP sur ceux de la fonction publique.
L'année 2015 est marquée par l'expiration de la première convention d'objectifs et de gestion (COG) liant l'État à l'Établissement national des invalides de la marine (Enim), qui gère le régime des marins. C'est pourquoi j'ai décidé cette année de consacrer l'essentiel de mon rapport à ce régime.
La COG 2012-2015, signée à la suite de la clarification du statut de l'Enim en 2010, devenu uniquement un établissement public administratif et non plus également un service d'administration inutile, l'a mieux, selon son directeur général, ancré dans le monde de la protection sociale. L'Enim a amélioré sa gestion et redressé la qualité du service rendu aux assurés.
Le régime des marins, créé sous Louis XIV, trouve sa légitimité dans la spécificité de la carrière maritime, dangereuse et pénible. Il compte en 2014 114 649 pensionnés pour 30 415 actifs-cotisants, soit un ratio démographique de 0,26, contre 1,3 pour le régime général. La branche vieillesse de l'Enim versera en 2016 1 milliard d'euros de prestations mais ne recouvrera que 112 millions d'euros de cotisations. La subvention de l'État, qui ne concerne que la branche vieillesse de l'Enim, s'élève donc en 2016 à 825 millions d'euros soit 78,9 % des produits du régime. Bien qu'ayant bondi depuis 2006 de 17 % pour des raisons démographiques, elle est en recul depuis le pic atteint en 2012 de 856 millions d'euros (- 3,7 % en 2016).
Les spécificités du métier de marin justifient des particularités en matière de prestations et de cotisations, dont les règles n'ont pas été affectées par les réformes de 2010 et de 2014. L'âge légal d'ouverture des droits demeure ainsi à 55 ans lorsque la carrière maritime accomplie représente au moins 15 ans de service. L'âge moyen de départ effectif est toutefois de 58,6 ans en 2014 en raison du nombre important de marins validant des pensions spéciales, c'est-à-dire celles subordonnées au versement de la pension d'un autre régime. Les affiliés de l'Enim sont à 80 % des polypensionnés, ce qui explique que le régime des marins soit qualifié de régime de passage.
Le système de cotisations, éminemment complexe, reste l'une de ses principales spécificités. Dans son rapport d'information de juillet 2013 pour la commission des finances, Francis Delattre avait préconisé de simplifier et d'assouplir la grille de salaires forfaitaires par catégorie, de réduire le nombre de taux de contributions patronales applicables aux armateurs et de rationaliser les dispositifs d'exonération de charges sociales. Je regrette que ces recommandations n'aient pu être mises en oeuvre, même si des simplifications ponctuelles ont été opérées. La réforme catégorielle demeure pourtant un enjeu d'avenir car l'attractivité du régime pour les armateurs, propriétaires et employeurs en dépend.
L'Enim a pourtant réduit ses frais de gestion, tout en plaçant au coeur de son activité les enjeux du contrôle interne et de la lutte contre la fraude. L'organigramme a été refondu afin de mieux correspondre aux standards des caisses de sécurité sociale. Les effectifs ont été réduits de 10 % depuis 2007. Les effets de cette baisse ne se font sentir que depuis 2012 car le remplacement des fonctionnaires par des agents contractuels à la rémunération moyenne plus élevée avait, dans un premier temps, augmenté les dépenses de personnel.
Le déménagement du siège de l'Enim à Périgny, à côté de La Rochelle est allé de pair avec le repositionnement de l'opérateur en tant qu'organisme de protection sociale : les deux tiers des effectifs parisiens de l'Enim ne l'ayant pas suivi, des nouveaux collaborateurs venus d'autres caisses de sécurité sociale ont apporté une véritable expertise métier.
La coopération avec les autres régimes de protection sociale, axe fort de la COG, a également été renforcée. L'adossement du système d'information de l'Enim à celui de la Caisse nationale d'assurance maladie est intervenu en 2008 et les représentants de l'Enim m'ont assuré que les nombreux problèmes rencontrés appartenaient désormais au passé. Un rapprochement avec l'Acoss a été opéré pour doter l'Enim de l'outil de gestion du recouvrement des cotisations et des contributions utilisé dans les Urssaf.
La rationalisation de l'implantation géographique des différents sites de l'Enim, dans le cadre du schéma pluriannuel de stratégie immobilière 2011-2015, a permis la fermeture du centre de Bordeaux et préparé la cession, à plus ou moins long terme, de cinq des neuf hôtels des gens de mer, au Havre, à Dunkerque, à Concarneau, à La Rochelle et à Boulogne-sur-Mer. Les résultats semblent au rendez-vous. D'après l'Enim, depuis 2012, les frais de gestion auraient été réduits de près de 13 % pour revenir à 28 millions d'euros en 2014, contre 33 millions d'euros en 2012. Les frais informatiques ont baissé de près de 50 % et les frais de personnel de plus de 7 %.
C'est dans ce contexte que s'ouvrent les travaux préparatoires à la COG 2016-2020. La négociation entre l'État et l'Enim devrait intervenir au cours du premier trimestre 2016, et sa validation par le conseil d'administration avant l'été. Alors que nos finances publiques demeurent contraintes, des efforts supplémentaires seront à accomplir. Comme le montre le projet annuel de performance de la mission « Régimes sociaux et de retraite » annexé au projet de loi de finances pour 2016, le coût unitaire d'une primo-liquidation de pension de retraite à l'Enim s'élèvera encore en 2016 à 800 euros, contre 879 euros en 2013. Il reste très éloigné des standards du régime général et même des principaux régimes spéciaux - une primo-liquidation coûte par exemple 365 euros à la RATP. Même si ces chiffres ne peuvent pas être directement comparés, ils donnent une idée du coût de gestion de ce régime spécial.
Le déménagement du siège à Périgny, dans un site en location, continue d'entraîner des coûts d'occupation en hausse puisqu'ils ont plus que doublé par rapport à la situation dans l'ancien site parisien. En 2010, cette décision a davantage relevé d'une logique d'aménagement du territoire que d'un souci de réduire les dépenses de gestion. Une renégociation du bail, qui coûte 420 000 euros par an, est toutefois envisagée en 2016.
L'éloignement du siège de ses trois sites de production, Saint-Malo, Lorient et Paimpol, continue d'affecter le pilotage et les coûts de fonctionnement, rendant difficiles certaines mutualisations. La COG 2020 devra être ambitieuse en matière de politique immobilière. La remise en cause de l'éclatement en plusieurs sites ne doit pas être un tabou, même si elle soulève des questions d'emploi dans nos territoires.
Je salue donc les efforts accomplis depuis cinq ans par le régime des marins. La nouvelle gouvernance favorisée par la COG montre que des progrès sont possibles. L'acceptation par nos concitoyens de l'existence de ce régime spécial est à la clé. Je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission pour l'année 2016, assortie cette année encore, de réserves concernant les règles de départ à la retraite des régimes de la SNCF et de la RATP, trop éloignées du droit commun.
Ancien membre du conseil d'administration de l'Enim, je regrette son départ de la place de Fontenoy à Paris, où il était propriétaire... Ce n'est sans doute pas de bonne gestion. Reste que les marins sont très attachés à ce régime créé par Colbert, le premier en France à avoir reposé sur un principe de solidarité.
En matière de relocalisation d'administrations publiques, le problème n'est pas celui du coût, mais de savoir qui le supporte. Membre de la commission d'enquête sur les autorités administratives indépendantes (AAI), j'ai constaté que celles-ci étaient concentrées à Paris, attirant de ce fait du personnel de la région parisienne, mais où l'immobilier est très cher. Les intelligences sont pourtant aussi nombreuses en province... Bref, il ne faut pas regarder ce sujet par le petit bout de la lorgnette.
La politique immobilière de l'État est une fonction stratégique. Brader son patrimoine pour faire rentrer 500 ou 600 millions d'euros par an n'est pas faire preuve de vision de long terme. Aménager le territoire est une chose, rationaliser sa gestion en est une autre ; en l'espèce, l'Enim dispose encore de quatre implantations ! Un gros travail a été mené depuis 2005 sur la politique immobilière de l'État, qu'il faudrait sans doute approfondir. Souscrire des baux à des loyers prohibitifs n'est guère opportun de la part de l'État, qui a vocation, par définition, à les payer éternellement...
L'essentiel reste l'équilibre financier du régime lui-même : 115 000 pensionnés pour 30 000 cotisants, c'est faible. Mais il faut voir aussi que des retraités ayant travaillé toute leur vie ne touchent que 300 ou 400 euros de pension par mois. Certains marins-pêcheurs de Saint-Pierre et Miquelon ont commencé à travailler à 16 ans et travaillent encore à 70 ans passés pour joindre les deux bouts...
Nous consacrons la quasi-totalité de notre débat à un régime qui ne consomme que 13 % des crédits de la mission. Celle-ci concerne aussi d'autres régimes qui ne vivent en réalité que des subventions de l'État.
Certes, mais la France a la deuxième façade maritime au monde. Si l'on veut rester présent sur toutes les mers de la planète, dotons-nous d'un régime attractif et intelligent.
J'ai axé mon rapport sur le régime des marins en raison de l'actualité. Outre la signature prochaine de la nouvelle COG, le PLFSS pour 2016 comporte des dispositions concernant les marins, qui font débat.
N'opposons pas rationalisation de la gestion et aménagement du territoire. En l'espèce, le déménagement de l'Enim obéissait à la seconde logique, mais cela n'excluait nullement une meilleure gestion de l'établissement. Reste que les loyers atteignent à Périgny des montants très élevés.
Nous gagnerions sans doute à progresser dans la réforme catégorielle des marins, comme le proposait Francis Delattre dans son rapport.
Où en est-on, justement, sur l'unification des régimes de retraite ? Une orientation, en 2008, proposait d'aller dans ce sens...
Pour la SNCF et la RATP, les choses évoluent doucement, peut-être trop. La spécificité du régime des marins - la grille de salaires forfaitaires par catégorie - est justifiée historiquement ; cela n'exclut toutefois pas d'engager toutes les convergences possibles avec le régime général.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite ».
La commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Marie Morisset sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Egalité des territoires et logement - Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables »).
Afin d'éviter tout doublon avec les travaux de nos collègues des autres commissions et de mettre l'accent sur les problématiques pour lesquelles la commission des affaires sociales est spécifiquement compétente, mon avis budgétaire sur la mission « Égalité des territoires et logement » est centré sur le programme 177, consacré à l'hébergement, à l'accompagnement vers le logement et à l'insertion des personnes vulnérables.
Les dispositifs d'accueil et d'hébergement financés par le programme 177 prennent en charge les échecs des différentes politiques sociales : jeunes majeurs sortant des dispositifs de l'aide sociale à l'enfance, anciens détenus non réinsérés, chômeurs tombés dans la précarité, personnes souffrant de troubles mentaux non prises en charge en psychiatrie, immigrés victimes des échecs de l'intégration..., tous ces publics se retrouvent souvent à la rue et doivent être pris en charge en vertu du principe d'inconditionnalité de l'accueil.
Or au cours de la période récente, le nombre de personnes sans abri s'est fortement accru sur l'ensemble de notre territoire. En 2012, l'Insee estimait à plus de 140 000 le nombre de personnes sans domicile, chiffre qui a presque doublé en dix ans et auquel il faut ajouter les 3,5 millions de mal-logés. En outre, la crise économique a entraîné une évolution des publics concernés et une augmentation du nombre de femmes, de jeunes et d'enfants. Cette situation nous préoccupe tous, et les ressources budgétaires qui y sont consacrées ne sont pas à la hauteur des enjeux.
La sous-budgétisation du programme 177 est récurrente : les crédits demandés en loi de finances initiale sont systématiquement inférieurs aux crédits exécutés lors du dernier exercice clos. Le 23 octobre dernier, un décret d'avance a complété à hauteur de 130 millions d'euros les crédits pour 2015, que le projet de loi de finances rectificative de fin d'année majore à nouveau de 54 millions d'euros, soit une rectification de 13,46 %.
Les crédits initialement demandés pour 2016 s'élevaient à 1,44 milliard d'euros, soit 2 % de moins que ceux consommés en 2014. Toutefois à l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a majoré ces crédits de 69,85 millions d'euros dans le cadre de la mise en oeuvre du plan « migrants ». Ces crédits supplémentaires sont bienvenus, mais ils visent à répondre à un besoin nouveau lié à la relocalisation de demandeurs d'asile. Globalement, les crédits demandés pour 2016 restent inférieurs aux crédits 2015, si l'on tient compte du décret d'avance du 23 octobre dernier et du projet de loi de finances rectificatif.
La politique de l'hébergement est ainsi gérée à flux tendus : des crédits supplémentaires pallient en fin d'exercice l'insuffisance de la programmation initiale. Ce mode de gestion s'explique sans doute en partie par la nature imprévisible et saisonnière des besoins, mais n'en est pas moins regrettable. Au-delà du principe de sincérité budgétaire, la sous-budgétisation fragilise les opérateurs de l'hébergement, souvent associatifs, privés de la visibilité nécessaire à leur action. S'il est sans doute impossible de prévoir un niveau de crédits couvrant l'ensemble des besoins, il conviendrait de programmer un niveau de dépenses au moins équivalent aux crédits exécutés lors de l'exercice passé.
En outre, le périmètre du programme 177 évolue : les 3,8 millions d'euros finançant le Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (Fonjep) sont transférés vers la mission « Jeunesse et vie associative ». Facteur de cohérence, ce transfert s'accompagne toutefois d'une réduction de 700 000 euros de l'enveloppe globale. Les crédits Fonjep finançant des projets souvent importants au niveau local, les acteurs associatifs que j'ai rencontrés m'ont fait part de leur inquiétude.
Au-delà du niveau des crédits votés, leur répartition entre l'urgence et le long terme pose problème. Alors qu'il existe un consensus sur la nécessité d'offrir une réponse globale aux personnes sans abri et de préparer leur réinsertion, une partie des crédits consacrés au logement adapté, au demeurant insuffisants, est réaffectée en cours d'exercice à l'hébergement d'urgence.
L'accès au logement détermine la sortie réussie des dispositifs d'hébergement. La politique du logement dépasse le cadre du programme 177, mais le financement de l'accompagnement vers et dans le logement (AVDL) ne fait plus l'objet d'une ligne budgétaire spécifique. En effet, ce fonds est depuis 2015 financé exclusivement par le Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL), abondé par les astreintes que l'État est condamné à verser dans le cadre du droit au logement opposable (Dalo). Cette débudgétisation s'est accompagnée d'une forte réduction des montants engagés, en raison notamment de la complexité des procédures de liquidation des astreintes. Au demeurant, ce mode de financement met en concurrence le respect du droit au logement et le financement des mesures d'accompagnement, deux objectifs pourtant complémentaires.
La généralisation progressive des diagnostics territoriaux à 360°, prévue dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, doit assurer une meilleure connaissance des problématiques de l'exclusion. Le développement d'une étude nationale des coûts aidera à rationaliser la tarification des structures d'hébergement. Enfin, la mise en oeuvre des services intégrés d'accueil et d'orientation (Siao), qui mettent en réseau l'ensemble des acteurs de l'accueil et d'hébergement au sein d'un territoire, se poursuit, avec notamment le développement d'un outil informatique commun. Ces chantiers sont positifs, bien que leurs effets ne soient pas encore observés sur l'ensemble du territoire.
Toutefois, le constat d'une gestion au thermomètre demeure réel, malgré la volonté affichée dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté. Un certain nombre de places temporaires ont été pérennisées à la sortie de l'hiver, mais en nombre très insuffisant. Le recours à l'hôtel montre bien que la réponse à l'urgence prime tout effort de prise en charge globale et durable. L'hôtel étant une solution plus économique, au moins à court terme, et immédiatement mobilisable, les acteurs de l'hébergement y ont fréquemment recours, faute de mieux. Ce type d'hébergement n'offre cependant pas d'accompagnement approprié : les conditions de vie et l'insécurité alimentaire nuisent à l'insertion sociale et professionnelle.
Bien que tous les acteurs s'accordent pour considérer que le recours à l'hôtel n'est pas une solution satisfaisante, le nombre de nuitées hôtelières a augmenté de plus de 130 % entre 2010 et 2014, tandis que le nombre de places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) restait stable. En Ile-de-France, 15 % du parc hôtelier est consacré à l'accueil de sans-abris. Le Gouvernement a annoncé un plan triennal de réduction des nuitées hôtelières. Je me réjouis que ce problème soit enfin pris à bras le corps, mais l'objectif fixé est à la fois insuffisant et irréaliste. Insuffisant car si le Gouvernement prévoit de remplacer en trois ans 10 000 nuitées hôtelières par des solutions plus pérennes, le recours à l'hôtel représente 30 000 nuitées par an et connaît un rythme de progression très soutenu. L'objectif est en outre peu réaliste car le recours à l'hôtel explose précisément en raison de l'insuffisance des crédits consacrés au logement adapté et de l'impossibilité de mobiliser ces solutions rapidement. De plus, le logement adapté ou accompagné ne peut être mobilisé pour les familles sans papiers, qui constituent une partie importante du public accueilli à l'hôtel. L'effort doit donc être accentué ; atteindre l'objectif de faire de l'hôtel un mode de prise en charge réellement subsidiaire et exceptionnel prendra du temps.
L'insuffisance des moyens consacrés est d'autant plus problématique dans le contexte de la crise migratoire à laquelle nous faisons face et dont je voudrais dire quelques mots avant de conclure.
Les crédits destinés aux dispositifs d'accueil des demandeurs d'asile sont regroupés au sein du programme 303, compris dans la mission « Immigration, asile et intégration », mais de fait, les crédits du programme 177 sont mobilisés en réponse à la saturation des structures spécifiques. Les dispositifs généralistes prennent également en charge des déboutés du droit d'asile qui, pour diverses raisons, ne sont pas reconduits à la frontière. Ces personnes sont contraintes de s'installer dans la précarité, sans perspective de régularisation de leur situation administrative ni d'accès au logement.
Or l'acuité de la crise migratoire actuelle aggrave les difficultés auxquelles font face les acteurs du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion et nous avons tous en tête les images choquantes des camps qui s'installent en Ile-de-France ou dans le Nord-Pas-de-Calais. Au demeurant, les migrants et les réfugiés, dont un certain nombre ne souhaitent pas s'installer sur notre territoire, ont des besoins spécifiques et des difficultés d'une autre nature que celle des publics classiques des dispositifs d'hébergement généralistes.
S'il est malvenu de parler de concurrence entre les personnes accueillies, il y a bel et bien concurrence des énergies, les services des pouvoirs publics comme les acteurs associatifs étant débordés. Une répartition sur le territoire des migrants se met en place tant bien que mal avec la participation des collectivités territoriales et de toutes les bonnes volontés. Si je mesure que la tâche qui incombe aux pouvoirs publics est considérable, force est de constater que le contexte oblige à une improvisation continue, alors qu'il n'est pas possible d'envisager, à moyen terme, un relâchement de la pression migratoire.
Inférieurs aux crédits qui seront consommés en 2015, ceux demandés pour 2016 se révèleront sans aucun doute insuffisants. En outre, une partie des crédits consacrés au logement adapté sera probablement réaffectée en cours d'exercice à la prise en charge de l'urgence. Je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.
Le rapporteur a dressé un tableau exhaustif de la situation. Créer un droit ne suffit pas à résoudre un problème - le Dalo en fournit l'exemple. Deuxième problème : le logement d'urgence est trop souvent considéré comme définitif - certaines personnes restent un an dans la même chambre d'hôtel ; le rapporteur a raison d'en appeler à une nouvelle hiérarchisation des modes d'hébergement. Souligner la contradiction du Gouvernement qui annonce l'accueil de migrants en baissant les crédits de logement et d'accompagnement était également opportun. Ce sont en définitive les élus locaux qui traitent ces problèmes : sans moyens à la hauteur de la tâche, elle ne pourra être relevée...
L'on évoque souvent l'aide de l'État aux communes pour l'accueil des migrants, mais jamais celle qu'il conviendrait de fournir aux départements pour les dépenses de RSA auquel les migrants sont éligibles. Des crédits sont-ils prévus pour y faire face ?
Je partage l'avis du rapporteur, et le remercie d'avoir insisté sur cet aspect d'actualité. À combien les crédits accordés aux maisons relais s'élèvent-ils ?
Je veux à mon tour remercier le rapporteur pour son exposé. L'accès des jeunes au premier logement est primordial ; les accompagner dans cette démarche, en prévenant les impayés par exemple, évite bien des passages à la rue. Or les associations qui s'y consacrent sont en grande difficulté, du fait de la baisse des crédits Fonjep et de la suppression de l'AVDL. Certains départements aident les communes à hauteur de 70 % ou 80 %, mais ils connaissent eux-mêmes des difficultés... L'État nous demande de faire de la prévention, mais il coupe le robinet financier ! Les choses sont très simples : sans moyens, on ne pourra rien faire.
Axer la présentation de ce programme sur l'accueil des réfugiés est très contestable : l'hébergement d'urgence concerne bien d'autres populations. Cette mission intègre tout de même la réforme des APL, celle des aides à la pierre, le renforcement des capacités d'accueil des réfugiés, mais aussi des sans-abri, de nouveaux outils de rénovation du bâti ; 279 millions d'euros seront mobilisés en 2016 pour le premier accueil, l'hébergement en centre d'accueil des demandeurs d'asile, en centre d'hébergement d'urgence, l'aide forfaitaire aux communes, pour renforcer les effectifs de l'Ofpra, de l'Ofii et de l'éducation nationale. Ce n'est pas rien. Ces dispositifs concernent des populations très diverses : les jeunes majeurs, les jeunes précaires, les chômeurs tombés dans la précarité... Dans la discussion générale, nous aborderons tous ces thèmes, en veillant à l'égalité des territoires et au partage équitable des charges. À cet égard, la Seine-Saint-Denis est un laboratoire d'idées de première importance.
Je regrette également le poids relatif accordé à la question des réfugiés dans cette présentation. L'hébergement adapté par exemple dépasse largement cette question. Or le rapport ne dit rien du handicap, ni de la préparation de la société au vieillissement - nous en avons pourtant débattu dans l'hémicycle récemment. Le rapport est également muet sur l'expérimentation menée dans certains centres-bourgs pour transformer les espaces en déshérence en logements à destination des plus fragiles. J'entends bien la critique de la majorité sénatoriale sur le besoin de moyens supplémentaires, mais comment compte-t-elle les financer ?
Ce programme ne traite en effet que du logement des personnes vulnérables. Si l'on en fait une mission fourre-tout, l'on ne peut qu'être déçu de ses résultats, à plus forte raison si les crédits diminuent !
Au moment où l'on met en place la garantie-jeunes, il serait judicieux de dégager des crédits spécifiques pour les jeunes vulnérables.
Je l'ai dit en introduction, je n'ai examiné que le programme 177. L'aide à l'accès au logement et l'urbanisme, qui font l'objet respectivement des programmes 109 et 135, ne relèvent pas de notre commission.
Je n'ai insisté qu'en conclusion sur l'accueil des réfugiés... Le problème de ce programme réside fondamentalement dans une sous-budgétisation intenable dès lors que les réfugiés non engagés dans une démarche de régularisation frappent à la porte des centres d'hébergement de droit commun. En 2014, les crédits affectés aux centres d'hébergement d'urgence étaient de 321 millions d'euros ; il y a finalement eu 475 millions en exécution, soit un différentiel de 153 millions d'euros, avec un phénomène de vases communicants entre l'hébergement d'urgence et le logement adapté.
Monsieur Savary, il n'y a pas de ligne de crédit spécifique pour le RSA, mais la contribution des collectivités territoriales à l'accompagnement au quotidien est une bonne chose.
Les maisons relais et pensions de famille bénéficient de 86 millions d'euros dans le PLF pour 2016, contre 80 millions en 2015, soit 7 % de plus, madame Imbert. Le Gouvernement entend transformer 10 000 nuitées d'hôtel en hébergement en centre d'hébergement et de réinsertion sociale ou en centre d'hébergement d'urgence et financer 1 000 places supplémentaires, ce qui est une bonne chose.
Mme Doineau a raison, un public fragile demande à être écouté, suivi, aidé. Nous regrettons par conséquent l'absence de budgétisation de l'accompagnement. L'AVDL, supprimé en 2015, représentait tout de même 17,6 millions. Ce financement est désormais assuré par le FNAVDL et n'atteint plus que 4 millions d'euros. Nous resterons vigilants sur ce point.
Vous étiez présente à un certain nombre d'auditions d'acteurs de terrain, madame Yonnet. Tous défendent les structures de logement adapté, fondamentales pour la réinsertion. Ils défendent aussi l'AVDL et les crédits Fonjep, dont le transfert sur les programmes gérés par le ministère de la ville et des sports ne garantit pas leur affectation à des actions de réinsertion - j'ai quelques craintes à ce sujet, nous ferons le bilan l'année prochaine...
Cette mission me surprend beaucoup. C'est la première fois que l'on ajoute 184 millions d'euros par décret d'avance et loi de finances rectificative à un programme de 1 365 millions d'euros. Si seulement l'on se contentait de budgéter les crédits exécutés en 2015... Et j'apprends la semaine dernière que le Gouvernement déposait à l'Assemblée nationale un amendement augmentant les crédits de cette mission de 62 millions d'euros ! En dépit de toutes ces rectifications, les crédits sont inférieurs de 3 % à ceux de l'année dernière, alors que les besoins sont plus importants...
Je suis surpris de la répartition des lignes de crédits. La région Poitou-Charentes a reçu 19,4 millions d'euros au titre du programme 177 en 2008, comme 2015. Pourtant, le Samu social des Deux-Sèvres a reçu 1 600 appels téléphoniques en 2014, et 2 580 en 2015 - une hausse de 57 %. Quel décalage entre la réalité et le budget !
À situation exceptionnelle, comme dans le Nord-Pas-de-Calais, chiffres exceptionnels. On ne peut pas reprocher au Gouvernement de prendre en compte la situation. Je suis très contente de la hausse des moyens des maisons relais, ou pensions de famille, qui donnera un nouveau souffle à leur construction. Ces lieux qui travaillent à l'insertion à long terme, sans assurer d'accueil temporaire, ont été pensés par Mme Marie-Noëlle Lienemann pour les personnes très abîmées socialement et psychologiquement. L'hébergement d'urgence, comme les solutions durables, ne concerne pas seulement les réfugiés.
Le Gouvernement a pris en charge des besoins nouveaux : 60 millions d'euros sont consacrés à la situation de Calais. Les moyens à destination du public traditionnel diminuent. En visitant la pension de famille et résidence sociale Arago, gérée par Emmaüs solidarité, nous avons compris le type de public accueilli et sa démarche d'insertion. Ces structures doivent être privilégiées.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ».
La commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Didier Robert sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Outre-mer »).
Comme l'année passée, la mission « Outre-mer » peut être considérée comme relativement préservée. A 2,06 milliards, les crédits de paiement de la mission devraient connaître une quasi-stabilité. Gardons-nous pour autant de tout triomphalisme ; la situation des outre-mer reste critique sur l'ensemble des sujets sociaux : des taux de chômage, qui représentent plus du double de celui de l'hexagone, dépassant très largement les 50 % pour les jeunes dans la plupart des départements d'outre-mer (DOM) ; l'habitat insalubre, dont la permanence est intolérable et que les actions entreprises sont très loin de résorber ; la santé - les débats récents lors de l'examen du projet de loi sur la santé ont révélé les écarts qui continuent de se creuser avec l'hexagone. En réalité, nous savons tous que ces crédits, quoique préservés, ne suffiront pas à couvrir l'immensité des besoins.
Si je comprends la nécessité pour l'ensemble des secteurs de l'État de prendre leur part de l'effort de redressement des comptes publics, la maquette budgétaire globale ne prend absolument pas en compte la réalité des situations économiques et sociales des outre-mer. Les autorisations d'engagement de la mission sont en baisse légère de 13,2 millions d'euros : l'investissement de l'État sur ces territoires diminue.
Un nouveau coup de rabot aux exonérations de cotisations sociales pour les entreprises de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de La Réunion, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy a été décidé à l'article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. En conséquence, l'action n° 1 du programme 138 sur le soutien aux entreprises, de compensation de ces exonérations par le budget de l'État aux organismes de sécurité sociale, représente 1,1 milliard d'euros, soit la moitié des dépenses de la mission. Je connais les critiques adressées aux dispositifs de défiscalisation dans ce contexte de redressement budgétaire. Les niches sociales ultramarines doivent être examinées au regard des conditions particulières de la compétitivité de ces territoires. Ce ne sont pas des cadeaux aux entreprises ultramarines, mais des dispositifs absolument indispensables à la survie des économies des outre-mer, dont la suppression ou la réduction progressive ne pourra qu'entraîner des résultats économiques encore plus catastrophiques et, par voie de conséquence, la nécessité de mesures de compensation sociale toujours plus importantes.
Depuis sa mise en place en 1994, le dispositif d'exonérations de charges patronales a déjà connu des coups de rabot successifs dans le cadre de la loi de finances pour 2009, de la Lodeom et de la loi de finances pour 2014. La réforme en cours d'examen entraînera une baisse de 75 millions d'euros des crédits. Ces ajustements vident progressivement le mécanisme de sa logique.
Pourquoi faire porter cette réforme par le PLFSS, quand elle figurait en 2013 dans le projet de loi de finances ? Ce déplacement pose la question du suivi parlementaire d'un dispositif aussi important pour les outre-mer, dans la mesure où deux commissions différentes ont été appelées à se prononcer.
Enfin, le recentrage sur les bas salaires me fait craindre une trappe à bas salaires, quand tout devrait être fait pour favoriser l'emploi qualifié dans les outre-mer, et notamment l'embauche de jeunes ultramarins diplômés.
L'avenir des différents mécanismes de défiscalisation dans les outre-mer semble en suspens. Si l'article 43 du projet de loi de finances rattaché à la présente mission proroge jusqu'au 31 décembre 2017 des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement, qui concernent notamment les champs du logement social et de la réhabilitation d'immeubles, la question de leur devenir au-delà reste entière.
Le service militaire adapté (SMA), qui a inspiré l'expérimentation du service militaire volontaire (SMV), bénéficiera pour 2016 de 202 millions d'euros, en hausse de 3 % par rapport à l'an passé. Ces crédits permettront d'accueillir le nombre modeste de 5 800 stagiaires, en deçà des prévisions initiales du plan SMA 6 000. Selon les informations recueillies lors des auditions, le décalage de cet objectif à 2017 est une conséquence des contraintes budgétaires nouvelles définies par le triennal 2015-2017.
Nous pouvons tirer un premier bilan de la réforme de la continuité territoriale mise en oeuvre cette année par voie réglementaire, et sur laquelle le Sénat avait exprimé ses fortes inquiétudes, par un amendement d'appel rétablissant les crédits associés. Cette politique de compensation de l'éloignement des outre-mer par des aides au transport constitue la traduction du principe d'unité de la République. Elle est principalement portée par les crédits du fonds de continuité territoriale, qui recouvre plusieurs dispositifs : l'aide à la continuité territoriale, le passeport mobilité études et le passeport mobilité formation professionnelle. Ces aides sont gérées par l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom). Ces crédits, en légère augmentation pour 2016, devraient s'établir à 43 millions d'euros ; ils restent pourtant, à périmètre constant, 9 millions en-deçà du niveau de 2014, soit une perte définitive de près de 20 % des crédits.
Cette baisse brutale s'est fort logiquement traduite dans le niveau de recours des populations aux aides à la mobilité du ressort de l'État, qui a connu un véritable effondrement. Selon Ladom, un peu plus de 12 000 bons de continuité territoriale avaient été réalisés au mois d'août 2015, contre près de 73 000 à la même date en 2014, soit une baisse de 84 % du nombre de bons utilisés comme des crédits associés, et un sérieux coup porté à l'universalité du dispositif par la réforme de 2015 - elle consistait à réviser à la baisse le montant des aides et à n'autoriser leur bénéfice qu'une fois tous les trois ans.
Cette baisse globale s'est faite sans pour autant améliorer l'accès des plus démunis à cette aide, contrairement à ce qu'annonçait le Gouvernement l'an passé. En effet, le montant des aides simples accordées a diminué sans que celui des aides majorées augmente, ce qui n'améliore pas la situation des restes à charge.
En réalité, l'État se désengage et fait supporter une part importante du dispositif aux collectivités territoriales. La plupart des collectivités ultramarines ont dû mettre en place des aides complémentaires à celles apportées par l'État. En 2014, près de la moitié des aides étaient déjà prises en charge dans ce cadre.
Le budget de la continuité territoriale proposé pour l'année 2016 offre cependant au moins un motif de satisfaction avec la mise en place d'une aide à la continuité funéraire, pour un montant provisionné à hauteur d'1 million d'euros. Nous devrons nous montrer particulièrement attentifs à cette question pour garantir la justice, l'égalité, et surtout la dignité de tous les Français.
J'appelle votre attention sur les mesures prises face à la situation sanitaire, dont le caractère urgent a été souligné par le rapport de la Cour des comptes de juin 2014 La santé dans les outre-mer, une responsabilité de la République. Il était relevé que les territoires ultramarins cumulent les difficultés, avec des risques spécifiques importants dans un contexte socio-économique dégradé : présence d'agents infectieux spécifiques (épidémies de chikungunya ou de zika), de pathologies rares ou à la prévalence faible dans l'hexagone (leptospirose, résurgence de la tuberculose et des hépatites), de maladies chroniques (diabète et hypertension artérielle, Sida), et de risques environnementaux particuliers (chlordécone aux Antilles). Le taux de mortalité infantile constitue un indicateur particulièrement frappant : de 3,3 pour mille dans l'hexagone en 2012, il atteignait 8,5 à La Réunion, 9,9 en Guadeloupe et jusqu'à 16,1 à Mayotte. Si La Réunion et les Antilles sont dans une dynamique de convergence avec l'hexagone, la Guyane et Mayotte font face à des retards importants. Les problèmes rencontrés dans l'hexagone quant à l'organisation du système de santé se manifestent de manière aiguë sur ces territoires, en particulier les problèmes d'accès aux soins, aggravés par l'insularité.
La Direction générale des outre-mer (Dégéom) m'a indiqué qu'un travail interministériel était engagé pour définir une stratégie de santé spécifique aux outre-mer. Leurs conclusions devraient être présentées dans les prochaines semaines et faire l'objet d'un plan santé pour les outre-mer au début de l'année prochaine. Les crédits associés au financement d'actions sanitaires ne relèvent cependant pas de la présente mission, qui prévoit seulement 2 millions d'euros au titre général des actions sanitaires et sociales. Aussi, notre commission devra se montrer particulièrement attentive au suivi de ces travaux.
Comme l'année passée, mes réserves sont donc nombreuses. Ce budget n'a aucune autre ambition que celle de continuer à garantir un niveau minimal de ressources aux outre-mer ; en aucun cas il ne propose une véritable politique encourageant l'investissement et l'emploi dans ces territoires.
Cependant, compte tenu d'une situation exceptionnelle qui aura nécessairement des traductions budgétaires, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer » ainsi qu'à l'article 43 rattaché - sous réserve toutefois de porter l'an prochain une attention particulière aux différents points que je vous ai signalés.
Le rapporteur émet de nombreuses réserves mais propose un avis favorable. Il reprend le débat sur l'article 9 du PLFSS en dénonçant l'existence de deux budgets. Il est normal que l'État compense ici les exonérations. Il faudrait, sinon, fusionner les deux budgets. Le rapporteur général avait rappelé que le recentrage sur les entreprises à bas salaires tenait compte du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances, très critique sur les niches sociales en outre-mer, et souligné que le Gouvernement n'avait pas appliqué ses recommandations, admettant que l'outre-mer devait bénéficier d'exonérations en raison d'une situation particulière. Cela est écrit clairement dans le rapport du rapporteur général, qui est d'une grande honnêteté intellectuelle.
La commission des affaires sociales s'est rendue à La Réunion en 2006. J'y avais découvert le SMA, un outil fantastique. La demande est-elle supérieure au nombre de places de stagiaires ? La limitation du nombre est-elle due à des raisons financières ? Qu'est-ce que les aides au transport et à la continuité funéraire, et qui concernent-elles ?
J'interrogerai en décembre le ministre de la recherche sur le chlordécone aux Antilles. Le surcroît de cancers de la prostate ne constitue pas un problème purement sanitaire.
La proposition de recentrer les aides sur l'embauche des ultramarins diplômés me paraît de bon sens.
Les problèmes dénoncés dans la métropole sont amplifiés dans les départements et régions d'outre-mer. La proposition d'un travail plus approfondi de la commission des affaires sociales sur cette zone a été approuvée par M. le président. La lecture du rapport suscite beaucoup d'interrogations. La situation, très dégradée, requiert une intervention exceptionnelle. Nous nous abstiendrons car les moyens ne sont pas à la hauteur de la situation réelle ni des ambitions affichées.
Je salue l'effort du Gouvernement qui préserve les crédits de la mission « Outre-mer », même s'ils ne correspondent pas aux besoins. Proposer un vote favorable, malgré des réserves, est une bonne chose. OEuvrons tous à une meilleure prise en compte des problèmes ultramarins, de santé mais aussi à un développement économique endogène, qui diminuerait le recours aux aides sociales.
L'objectif du SMA, qui est un très bon outil, reste modeste. Tout le monde serait favorable à davantage, mais les contraintes budgétaires sont là. Les aides aux transports sont de trois types : libres, pour les étudiants, pour la formation professionnelle. Il s'agit d'un accompagnement financier par l'Etat et les collectivités des ultramarins allant en métropole. L'inverse n'existe pas, sinon pour le rapatriement funéraire, dont le budget s'élève à 1 million d'euros.
Si j'ai proposé d'accorder un avis favorable à cette mission, c'est parce que je suis conscient de l'effort du Gouvernement. Il faut néanmoins revoir un logiciel de pensée qui consiste à acheter la paix sociale outre-mer. À La Réunion, le taux de chômage est de 28 %. Il atteint 60 % des jeunes de moins de 25 ans qualifiés. Ils n'ont quasiment aucune perspective. Je plaide pour une démarche d'accompagnement des entreprises et je regrette que le Gouvernement reprenne d'une main ce qu'il donne de l'autre. Il accorde le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) mais rogne sur les exonérations : 75 millions d'euros sont supprimés pour les outre-mer. Le coût budgétaire du Cice pour l'État est de 4 à 5 millions d'euros. Voyez le différentiel.
Tant que nous serons dans une posture de rééquilibrage, de nouveaux problèmes pourront surgir. Un nouveau modèle est nécessaire car ce sont les entreprises qui créent les emplois. La garantie-jeunes, c'est-à-dire 480 euros pour ne rien faire, est inadmissible. J'ai proposé que les collectivités l'abondent si le jeune est inséré en entreprise. J'attends depuis deux ans la réponse du Premier ministre. En 1986, la défiscalisation a déclenché le décollage économique des outre-mer. La situation actuelle est critique.
La commission effectuera une mission sur la situation sanitaire en outre-mer en 2016. Elle se rendra en avril à La Réunion et à Mayotte.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
La proposition de ramener la TVA sur les produits d'hygiène féminine, de 20 % à 5,5 %, a été refusée par l'Assemblée nationale. Je vais déposer un amendement que les membres de la commission pourraient soutenir toutes tendances confondues.
Nous présentons un amendement similaire, non au nom du groupe mais de l'ensemble des signataires, la présidente de la commission des finances ayant indiqué que le Gouvernement ne souhaitait pas aborder le sujet de la variation de la TVA. J'ai déposé un autre amendement dans le même esprit, pour abaisser ce taux sur les protections pour personnes incontinentes ; c'est une affaire de respect de leur dignité et un enjeu de santé publique si l'on veut éviter des complications telles que les escarres. Ces dépenses sont très lourdes pour les particuliers comme pour les Ehpad.
La commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Gilbert Barbier sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Direction de l'action du Gouvernement - Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) »).
Pour la première fois depuis 2004, le Parlement a été amené à se prononcer sur l'évolution des politiques sanitaires et sociales de prévention et de réduction des risques et des dommages à destination des personnes souffrant d'une addiction. Plusieurs articles du projet de loi relatif à la santé ont traité de cette question, en particulier l'article 9 relatif à l'expérimentation de salles de consommation à moindre risque. À mon grand regret, le Sénat ne l'a pas supprimé mais en a renforcé l'encadrement sanitaire en prévoyant leur adossement à une structure hospitalière. En nouvelle lecture, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale n'en a malheureusement pas tenu compte.
Au vu de l'évolution récente des habitudes de consommation de stupéfiants, les politiques menées ces dernières années n'ont pas fait la preuve de leur efficacité. Les données les plus récentes, issues notamment du Baromètre santé 2014 de l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) font état d'une augmentation de la consommation de drogues, toutes substances confondues, et d'une banalisation des comportements à risque. La présidente de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) l'a reconnu avec franchise lors de son audition : la situation en la matière est très préoccupante, en particulier chez les jeunes et les femmes.
La banalisation du cannabis se poursuit ; 42 % des adultes l'ont expérimenté, soit 17 millions de personnes. À 17 ans, la baisse de l'expérimentation qui avait été constatée jusqu'en 2010 s'est interrompue : près d'un jeune sur deux en a déjà consommé une fois, tandis que 9 % d'entre eux sont des usagers réguliers, c'est-à-dire au moins dix fois par mois. Ce taux a connu une hausse de 50 % en quatre ans. Cette diffusion accrue s'accompagne d'une méconnaissance des dangers de cette substance puisqu'à peine un Français sur deux la juge dangereuse dès le premier usage, alors que son impact sanitaire et social, à court comme à long terme, est désormais clairement établi, surtout avec un taux de THC très élevé, comme actuellement.
La cocaïne continue également sa progression, bien que le niveau de consommation français reste inférieur à celui de nos voisins. En vingt ans, la part des 18-64 ans l'ayant expérimenté a presque quintuplé, passant de 1,2 % à 5,6 %. Elle n'est plus réservée à certains milieux sociaux ou professionnels. De plus, les usages à risque se développent parmi les populations les plus précarisées en région parisienne : crack ou free base sont fumés dans des conditions sanitaires dégradées en raison du partage du matériel de consommation.
Aucune inflexion positive n'est constatée pour les opiacées. La consommation d'héroïne, à laquelle sont associées de très graves comorbidités (virus de l'hépatite C, VIH), ne régresse pas. Si, rapportée à la population générale, la part de ses consommateurs réguliers peut sembler anecdotique (0,2 %), ce sont ces personnes qui concentrent les plus graves difficultés sanitaires mais aussi sociales liées à leur addiction. Les politiques de réduction des risques et le développement des traitements de substitution aux opiacés (TSO) ont contribué à une atténuation des dommages sanitaires les plus graves, comme les surdoses ou la transmission du VIH, mais ces TSO font l'objet de détournements et d'un mésusage qui se répand.
En matière de santé publique, les conséquences de la consommation des substances illicites restent toutefois bien moindres que celles liées à l'usage de produits en vente libre aux personnes de plus de 18 ans : l'alcool et le tabac. En raison de la diminution ininterrompue de la consommation de vin, la quantité d'alcool consommée par habitant est en baisse, tout comme la consommation quotidienne. En revanche, les comportements à risque sont la norme chez les adolescents. Les alcoolisations ponctuelles importantes (API) ou binge drinking (au moins six verres au cours d'une même occasion) sont devenues un rituel dans tous les rassemblements de la jeunesse. Chez les 18-25 ans, 31 % en ont connu une dans le mois et 57 % dans l'année. À 17 ans, un jeune sur deux déclare une API dans le mois écoulé. Faut-il rappeler que l'alcool est à l'origine de 49 000 décès par an ?
Le tabac, avec 78 000 décès par an, constitue la première cause de mortalité évitable en France. Ici encore, les progrès réalisés dans les années 2000 ont été effacés, en particulier chez les jeunes. Entre 2008 et 2014, le niveau du tabagisme quotidien à 17 ans a progressé de 12 %, atteignant 32,4 %. En outre, 29 % des adultes fument tous les jours.
Une étude récente sur le coût social des drogues réfute certaines idées reçues : loin de compenser la charge pour les finances publiques des addictions à ces produits, les recettes fiscales de la vente de tabac et d'alcool couvrent moins de 40 % des soins engendrés. De même, leur coût social global est sans commune mesure avec celui des drogues illicites : 120 milliards d'euros par an pour chacune d'entre elles, contre 8,7 milliards pour toutes les substances interdites.
La Mildeca est chargée de la mise en oeuvre du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives portant sur la période 2013-2017, dont la première déclinaison, 2013-2015, touche à sa fin. Ce plan ambitieux comportait un diagnostic pertinent des insuffisances de la politique française de lutte contre les addictions, en particulier la nécessité de réorganiser la politique de prévention et de renforcer la recherche ainsi que l'évaluation scientifique des actions menées. Son bilan est mitigé. Le plan d'actions 2013-2015 comportait 131 actions mais n'a bénéficié d'aucun financement supplémentaire par rapport aux dotations budgétaires de la Mildeca et des ministères qui y ont contribué. La liste des actions se lit parfois comme un inventaire à la Prévert, avec une cohérence et un impact sur les comportements de consommation parfois discutables.
Le budget 2016 de la Mildeca s'inscrit dans un contexte de rigueur pour les finances publiques malheureusement peu propice à la mise en oeuvre d'une politique disposant des moyens de faire régresser la consommation de produits stupéfiants et de rompre avec plusieurs décennies d'échecs successifs.
Les difficultés budgétaires de notre pays imposent à toutes les structures de l'État de contribuer au redressement des comptes publics. Le budget de la Mildeca va diminuer de 2,7 %, il sera même inférieur de 20 % à celui de 2012. Sa capacité à remplir sa mission ne devrait pas en être affectée, parce qu'elle bénéficie d'une part trop limitée d'un fonds de concours alimenté par le produit de la vente des biens confisqués aux trafiquants de drogues. Il n'en va pas toutefois pas de même pour ses opérateurs, en particulier pour l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). La subvention pour charges de service public que lui verse la Mildeca va diminuer de 6,4 % en 2016, soit une baisse totale de 19 % depuis 2010. L'OFDT, qui s'est restructuré et a réalisé d'importantes économies de fonctionnement, verra ses moyens d'observation touchés, ce qui entravera la connaissance fine des phénomènes de toxicomanie en France. La pérennité du dispositif d'identification des phénomènes émergents Trend est d'ores et déjà menacée. L'OFDT constitue pourtant un outil formidable, dont la qualité des travaux est reconnue par ses pairs européens. Sans équivalent en France, il fournit les données objectives sur lesquelles les décideurs publics peuvent construire et faire évoluer la lutte contre les addictions. À l'heure où est promue une politique fondée sur les données de la science, il est paradoxal de constater que l'OFDT est délaissé et affaibli.
L'infléchissement de la lutte contre les drogues et les conduites addictives passe par une refonte de la réponse pénale au premier usage de stupéfiants, qui repose encore aujourd'hui sur les bases posées par la loi du 31 décembre 1970 : un délit passible d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. Manifestement disproportionnée et, dans les faits, purement virtuelle, cette sanction a perdu son caractère dissuasif puisque les interpellations de jeunes consommateurs débouchent, au terme de plusieurs mois de procédure, sur un non-lieu ou un simple rappel à la loi. Il n'est pas question de faire disparaître la sanction. Au contraire, il convient de la rendre pleinement effective auprès des jeunes, car il est établi que c'est à cet âge que les comportements à risque sont les plus nombreux et que les dommages sanitaires sont les plus graves, comme ceux du cannabis sur le cerveau des adolescents.
C'est pourquoi je suis convaincu du bien-fondé de la disposition adoptée par notre commission, puis par le Sénat, lors de la première lecture du projet de loi relatif à la santé. La contraventionnalisation du premier usage, par une amende de troisième classe, est de nature à faire comprendre au jeune le caractère illégal de son comportement et doit alerter les parents afin qu'ils engagent un dialogue avec leur enfant et qu'ils puissent, si nécessaire, chercher de l'aide auprès des consultations jeunes consommateurs des hôpitaux ou des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). Il est tout à fait regrettable que la semaine dernière, en nouvelle lecture, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ait supprimé cet ajout du Sénat. Une réflexion serait actuellement engagée par la Mildeca sur l'évolution de la réponse pénale à l'usage de stupéfiants. Toutefois, pourquoi persévérer dans une politique qui depuis 45 ans a fait la démonstration de son incapacité à faire diminuer, chez les jeunes, les comportements contre lesquels elle prétend lutter ?
La Mildeca conduit une action déterminée contre les drogues et les conduites addictives, selon une stratégie soutenue par la très grande majorité des professionnels de la lutte contre les addictions. Je n'en approuve pas tous les aspects, en particulier l'expérimentation d'une salle de consommation à moindre risque à Paris puis à Strasbourg. Les résultats concrets tardent à se matérialiser, et ses moyens sont limités. Pour autant, j'estime que notre commission devrait donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la Mildeca prévus par le projet de loi de finances pour 2016. C'est en 2017, au terme de l'exécution du plan gouvernemental, qu'il sera temps de porter un jugement définitif sur l'action qu'elle mène actuellement.
Je partage l'avis du rapporteur, dans ses grandes lignes. L'addiction est une constante du comportement humain, en particulier chez les jeunes. Il faut lutter contre toutes les addictions, qu'il s'agisse du tabac, de l'alcool ou d'autres substances. L'apparition des publicités pour le jeu m'a stupéfié. Bien qu'il ne tue pas au sens pharmacologique, le jeu est une catastrophe sociale. Si on interdit les publicités pour le tabac et l'alcool, il faut en faire de même pour le jeu. La société est hypocrite.
Il serait intéressant de mettre en avant la notion d'éducation à la santé. Les jeunes, pour construire leur image, ont besoin de transgresser. Des porosités existent entre drogues et délinquance, voire terrorisme. Moi qui viens de la région de Marseille, je sais, hélas, que les choses se passent ainsi. Un adage veut qu'on ne puisse interdire ce que l'on ne peut empêcher. Les quelques cours de sciences de la vie et de la terre qui abordent ces questions sont insuffisants. Les consommateurs de tabac sont de plus en plus jeunes à la sortie des collèges, on constate un retour en force de l'alcool. Pourquoi limiter la contraventionnalisation de la première consommation au cannabis, sans évoquer l'alcool et le tabac chez les mineurs ? La consommation de cannabis est devenue banale et régulière. On n'arrive pas à l'interdire.
Un sujet m'oppose au rapporteur : les salles de shoot, même si elles n'ont pas fait la preuve de leur efficacité en France. Un gros effort de prévention suppose des campagnes et des moyens importants. Ils sont notoirement insuffisants.
Comme Michel Amiel, je considère que la question des addictions relève de la santé publique. Le commerce de produits illicites, comme le cannabis, est source de conflit entre les gangs qui se disputent l'influence dans les quartiers. Le trafic de drogues constitue l'un des commerces les plus rentables en France, mais aussi en Europe et dans le monde. Les États-Unis ont compris que faire la guerre ne fonctionnait pas et privilégient une politique de prévention auprès des usagers - même si les criminels doivent être sanctionnés.
Une campagne de prévention sous la forme de spots publicitaires aurait peu d'impact sur les jeunes. On doit accompagner cette période où la transgression participe à la construction de la personnalité. Je suis très inquiète de la réduction incessante des moyens. Le rapport souligne son ampleur. De 24 millions d'euros en 2012, le budget de la Mildeca est revenu à 19 millions d'euros. En 2012, le budget de l'OFDT, structure importante et unique, était de 3,5 millions d'euros ; il est de 2,8 millions d'euros. Si le nombre d'emplois est stabilisé, il avait été réduit auparavant. Nous avons déjà été alertés sur le fait que la Mildeca et l'OFDT fonctionnaient à flux tendu.
Je ne changerais pas une virgule aux constats du rapporteur, hormis sur les salles de consommation à moindre risque. En revanche, nos conclusions divergent. Nous nous abstiendrons lors du vote. Le problème de fond est la pénalisation de l'usage du cannabis. Nous souhaitons que celui-ci soit dépénalisé, ce qui est différent d'être légalisé : l'interdit est maintenu. On éviterait ainsi la prise de contrôle de certains quartiers par les petits trafiquants, et la police se mobiliserait sur d'autres sujets.
Il y a des drogues illicites et des drogues licites. Il n'y a pas de quoi être fier quand le lobby de l'alcool obtient dans notre assemblée une diminution de la taxation, avec le concours des représentants des régions productrices. Il existe une addiction à l'alcool, au tabac, mais aussi aux jeux.
Je regrette moi aussi la baisse sensible des crédits. Vous évoquez un coût social de 120 milliards d'euros pour le tabac et l'alcool, et de 8,7 milliards d'euros pour les substances interdites : une dépénalisation se traduirait-elle par une hausse ou une baisse de ce coût ?
En France, nous abordons le problème de la drogue sous l'angle exclusif de la santé public. J'ai visité la communauté de San Patrignano, en Italie, où les anciens toxicomanes reçoivent après leur désintoxication des formations en vue de leur réinsertion. C'est une grande réussite, avec des taux de réinsertion de 70 %. Un toxicomane qui ne se réinsère pas durablement replongera tôt ou tard.
Soyons également attentifs aux risques liés aux addictions en entreprise ; autant la consommation d'alcool est facilement repérable, autant il est difficile de contrôler la consommation de stupéfiants qui entraîne pourtant des accidents du travail.
Les peines existantes sont trop fortes pour être appliquées. Quant au tabou de la légalisation, mon opinion a évolué. Des joints légaux, contenant moins de 30 % de principe actif, auraient des conséquences neurologiques beaucoup moins importantes que ceux vendus aujourd'hui dans la rue, qui contiennent des goudrons cancérigènes et dont le taux de principe actif atteint 70 à 80 %. Plus addictifs, ils préparent le terrain à la cocaïne et à l'héroïne. Enfin, le haschich fait partie de l'économie souterraine, même si ce n'est pas le marché le plus important : les conséquences sont désastreuses pour notre société. Le tabou doit être levé.
Notre rapporteur a trouvé une ligne commune susceptible de nous réunir, mais certains collègues ont rouvert un débat que je croyais clos. Ne perdons pas nos repères. La pénalisation est un signal à donner. Il faut que les personnes célèbres cessent de se vanter de consommer des stupéfiants. Les adultes responsables doivent songer à la valeur de l'exemple. Les abus des responsables entraînent les dérives de la jeunesse. Et dans le système scolaire, nous avons quelque peu baissé la garde.
Toutes vos interventions sur ce rapport appellent à renforcer l'action publique, à maintenir, renforcer ou renouveler les dispositifs, pour répondre à l'évolution des addictions. Vous stigmatisez les prélèvements obligatoires tout en constatant la dégradation sociale causée par la détérioration de l'action publique... Le Président de la République vient de déclarer que le pacte de sécurité l'emportait sur le pacte de stabilité ; pourquoi ne pas imaginer un pacte de santé publique ou de solidarité qui l'emporterait sur le pacte de stabilité ? Certes, l'objectif de ramener le déficit public à un niveau inférieur à 3 % s'éloignerait définitivement.
Faut-il pénaliser de la même manière que les autres ceux qui acceptent de suivre un traitement de sortie de la drogue ? C'est un débat qu'il faudrait engager avec la commission des lois.
Les conséquences de l'addiction aux jeux vidéo et à Internet - déscolarisation, comportements violents - ne sont pas à sous-estimer. Certains élèves, des témoignages en attestent, n'ont pas été plus marqués que cela par les attentats de janvier, parce qu'ils vivaient ces situations dans les jeux vidéo. Il en va de même pour les violences sexuelles, pour le suicide. Soyons vigilants.
Certaines incohérences politiques doivent être méditées : on a libéralisé, il y a quelques années, les jeux d'argent en ligne, tout en prévoyant des avertissements sur les risques de ces pratiques - preuve que nous en étions conscients !
Quoique béotien dans ces matières, je partage l'analyse de Gérard Roche. Mais la contrebande, les agissements des gangs, ne sont pas le seul problème. Un collègue a souligné que l'adolescence était un moment de transgression. Or la dépénalisation fait disparaître le risque qui y est associé, avec cette possible conséquence que le comportement transgressif se déplace vers les drogues plus dures. Une préoccupation généreuse peut avoir des effets dangereux.
Pour répondre à Yves Daudigny, j'estime qu'il ne saurait y avoir de pacte de sécurité et de solidarité véritablement solide dans la durée, si nous ne sommes pas capables de respecter le pacte de stabilité.
La définition de l'addiction - un usage inconsidéré et incontrôlé pouvant nuire à la santé - est large et recouvre un grand nombre de pratiques : l'addiction au jeu, au sexe, mais aussi aux produits sucrés, au chocolat... Sur les produits licites et illicites, je vous renvoie à l'excellent rapport de la mission d'information commune au Sénat et à l'Assemblée nationale de 2011.
L'éducation à la santé a été évoquée avec la Mildeca. Je m'interroge : où, par qui, comment faut-il la mener ? On critique régulièrement la venue de gendarmes et de policiers dans les écoles pour parler des drogues. Il convient de travailler sur ces questions auxquelles je n'ai pas de réponse définitive. Les spots ne coûtent pas cher, mais leur efficacité n'est pas démontrée.
Quant à l'interdiction des substances licites, la loi interdit l'achat et la consommation d'alcool et de tabac par les mineurs ; sans attaquer les buralistes, il faut bien la mettre en application.
La légalisation, que Laurence Cohen distingue à juste titre de la dépénalisation, poserait de graves problèmes. Avec le développement de l'autoculture et de variétés de cannabis génétiquement modifiées, la teneur en THC est passée de 7 ou 8 % à 25 ou 30 %. Les statistiques nous disent combien un jeune fume de joints par mois, pas la teneur en THC de ce qu'il fume.
De plus, la légalisation ne mettrait pas fin aux contournements ; j'ai pu me rendre compte qu'à Amsterdam, la vente sauvage se poursuivait à côté des coffee shops. Enfin, elle ne résoudra pas le problème du crack et d'autres produits analogues dont le prix baisse et l'usage se répand chez les adultes, et sans doute bientôt chez les jeunes.
Toute transgression de la loi, qu'il s'agisse de produits illicites ou de conduite automobile, appelle une réaction. La contravention immédiate au premier usage de drogue, comme au premier feu rouge grillé, a un impact réel.
La dépénalisation est déjà une réalité : 85 % des interpellations pour consommation de cannabis n'ont aucune suite, 10 % font l'objet d'un rappel à la loi et dans 5 % des cas, il s'agit d'un trafiquant, qui est poursuivi et parfois condamné. Je ne sais si la contravention est une bonne solution ; je propose une expérimentation.
J'ai moi aussi visité des communautés thérapeutiques, en Italie ou près de Bordeaux, qui obtiennent de très bons résultats grâce à une prise en charge totale ; mais attention aux dérives sectaires.
Il faut surveiller ce risque de près. Enfin, pour répondre à Philippe Mouiller, je précise que l'usage de produits de substitution n'est pas pénalisé bien sûr - il n'en va pas de même du trafic qui pourrait être fait sur des produits comme le Subutex.
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la Mildeca, tout en souhaitant, avec Yves Daudigny, que ce domaine de l'action publique soit clairement une priorité. Il me paraît prématuré de porter un jugement sur le plan gouvernemental de lutte contre les drogues 2013-2017 alors que son exécution n'est qu'à moitié engagée : c'est la raison de mon avis favorable.
Les drogues de synthèse, dont le prix est très modique mais les effets neurotoxiques dévastateurs, mériteraient une étude complémentaire ou un rapport.
En effet. De nouvelles molécules entrent chaque semaine en circulation. Ces drogues se banalisent. Il conviendrait d'évaluer leur dangerosité, mais c'est un travail scientifique de longue haleine pour lequel les moyens manquent.