La politique immobilière de l'État repose sur deux outils principaux, au-delà des budgets ministériels. Le premier est le programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État », rattaché à la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », qui finance les travaux d'entretien lourd de l'État propriétaire. Il est doté de 145 millions d'euros, soit une légère baisse. Les crédits alloués à la « maintenance corrective » baissent au profit de la « maintenance préventive », ce qui semble être de bonne politique.
Le second outil est le compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », qui finance les travaux structurants de reconversion. Ce compte est financé par les produits de cessions des immeubles de l'État, évalués à 500 millions d'euros pour 2016. L'objectif paraît réaliste, mais à moyen terme les perspectives sont plus inquiétantes : la raréfaction progressive des biens cessibles de qualité pourrait finir par remettre en cause l'équilibre économique du compte d'affectation spéciale. De plus, la liste des cessions peut parfois laisser songeur : on y trouve ainsi un terrain à Palmyre, en Syrie. Vivons-nous dans le même monde que ceux qui dressent ces listes ?
Les produits de cessions sont également réduits du fait des décotes « Duflot » en faveur du logement social, qui permettent de céder un immeuble en-dessous de sa valeur vénale, jusqu'à la gratuité. Le projet de loi de finances prévoit d'ailleurs d'élargir ces décotes. Nous avons obtenu le bilan de ces cessions : depuis 2013, les décotes représentent 75 millions d'euros, soit 61 % de la valeur des vingt-six biens cédés, ce qui a permis la construction de 3 779 logements, dont 2 889 logements sociaux. Sans préjuger du bien-fondé de cette politique, on ne peut que constater que celle-ci ne correspond pas à la vocation du CAS, qui est de contribuer au désendettement et à la modernisation du parc immobilier de l'État. Je vous proposerai donc un amendement tendant à minorer d'un montant égal à la décote consentie le budget du ministère à l'origine de la cession : ainsi, c'est bien le budget général qui assumera le coût de la politique en faveur du logement social, comme c'est sa vocation.
En outre, nous vous proposerons un amendement tendant à faire figurer la liste des décotes « Duflot » en annexe au projet de loi de finances : après tout, celles-ci sont des moindres recettes, comme le sont les dépenses fiscales.
Les recettes de cessions sont pour une part affectées au désendettement de l'État (programme 721), au taux théorique de 30 %. En pratique, celui-ci ne sera que de 16 % en 2016, soit 80 millions d'euros, en raison de multiples régimes d'exonération. Bien entendu, l'existence de ces régimes se comprend, notamment pour le ministère de la défense. Reste que, pour assurer la soutenabilité et la lisibilité du CAS, il faudra à terme envisager la suppression de ces dérogations. Les règles sont aujourd'hui illisibles, avec une série d'exceptions aux exceptions.
En outre, l'équilibre du compte d'affectation spéciale est assuré par une contribution exceptionnelle de 75 millions d'euros du ministère des affaires étrangères... alors même qu'il bénéficie théoriquement d'une exonération pour les biens cédés à l'étranger. Ainsi en est-il de la cession de l'ambassade de France à Hong-Kong, mais le ministère va désormais la louer - et à quel prix ?
Le reste des recettes finance la modernisation du parc immobilier de l'État (programme 723). Ce chantier de long terme implique des choix mais aussi des obligations, par exemple en termes de mise en accessibilité. L'objectif de 14,15 mètres carrés par poste de travail fixé pour 2016 paraît réaliste, sachant que la cible ultime est de 12 mètres carrés pour tous les ministères.
La bonne diffusion des principes de la politique immobilière de l'État est toutefois freinée par la faiblesse de France Domaine. En pratique, les ministères gardent la main sur l'essentiel des dépenses et des décisions, comme pour le choix du régime d'occupation des immeubles (achat, location etc.). En région, l'autorité hiérarchique appartient au préfet, et non aux responsables régionaux de la politique immobilière de l'État (RRPIE). En Île-de-France, la coordination entre administrations centrales et déconcentrées demeure insuffisante et entrave des projets de mutualisation pourtant prometteurs.
Enfin, les opérateurs constituent l'angle mort de la politique immobilière de l'État. Sept ans après les circulaires du Premier ministre, qui nous avions inspirées avec Thierry Carcenac dans le cadre nos travaux à l'Assemblée nationale, leur patrimoine n'est toujours pas connu. Quant à leurs dépenses, elles restent mal estimées et mal pilotées. Pourtant, les possibilités de cession ou de valorisation sont très importantes. Certes, France Domaine a annoncé le « suivi renforcé » de 31 opérateurs dans l'élaboration de leur stratégie immobilière - mais peut-être faudrait-il parler de suivi tout court ? En outre, seule l'université Paris I figure dans la liste alors que les universités représentent 60 % du patrimoine des opérateurs. Un travail considérable reste donc à faire, notamment dans la perspective de la sortie du moratoire sur la dévolution du patrimoine aux universités. Aujourd'hui, ce moratoire enlève toute incitation pour les universités à réaliser des cessions.