Intervention de André Gattolin

Réunion du 19 novembre 2015 à 11h00
Loi de finances pour 2016 — Discussion d'un projet de loi

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Pour le reste, une part importante du stock de la dette résulte du système économique dominant. Fondé sur une expansion supposée sans limites, ce système consiste à emprunter aujourd’hui ce que l’on croit pouvoir générer demain.

Or, on le sait maintenant, la mécanique s’enraye.

La croissance économique se heurte à des limites physiques dures, comme la déplétion des ressources ou la crise climatique, tandis que la dette, économique comme écologique, s’accumule.

Il est assurément moins facile de changer ce modèle que d’encadrer le secteur bancaire. Comme pour la misère du monde, la tâche est globale, mais chacun doit y prendre sa part.

La COP 21 est, de ce point de vue, un événement majeur. Sa tenue à Paris est pour notre pays une grande opportunité, appelant de notre part pédagogie et exemplarité.

Malheureusement, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a opéré un choix quelque peu déroutant, en choisissant d’exclure du projet de loi de finances toutes les mesures de fiscalité écologique que nous attendions.

Certes, c’est une habitude ancienne que de dévoyer le projet de loi de finances rectificative en en faisant la voiture-balai des mesures que l’on n’a pas préparées à temps pour le projet de loi de finances. Mais, en l’occurrence, il nous paraissait évident que, en raison de la concomitance parfaite de la discussion du projet de loi de finances avec la COP 21, ces mesures écologiques devaient devenir le thème central – au moins cette année – de notre débat budgétaire.

Nous ne pouvons donc qu’être extrêmement déçus, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, de voir la transition écologique interdite de débat budgétaire et reléguée à l’examen du projet de loi de finances rectificative : du fait des contraintes de calendrier, ce dernier est généralement expédié par le Sénat en deux jours.

En revanche, et en dépit de ce manque, il me faut signaler, non sans une certaine satisfaction, la première parution du rapport annuel sur les nouveaux indicateurs de richesse. Ce document traduit la proposition de loi de notre collègue députée Eva Sas, que nous avions adoptée au Sénat en avril dernier.

Le nombre et la définition des indicateurs sont évidemment toujours discutables. Toutefois, c’était le parti pris de cette proposition de loi d’en déléguer le choix à France Stratégie et au Conseil économique, social et environnemental, après une grande consultation.

Cette démarche collective permet, je le crois, de susciter autour de cette vision novatrice de la politique économique une adhésion plus large que si nous avions d’emblée tout figé dans la loi.

Au-delà de la définition des indicateurs et de l’analyse de leur évolution, c’est évidemment l’usage susceptible d’en résulter qui constituait le point central de la proposition de loi. Celle-ci dispose en effet que le rapport doit présenter « une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes » sur les indicateurs.

Si le rapport contient bien, conformément à la loi, de brefs paragraphes intitulés « impact qualitatif et quantitatif » sur les indicateurs de quelques-unes des réformes importantes de l’année, force est de reconnaître que le contenu de ces paragraphes – sans doute du fait d’une certaine précipitation –, qui s’apparente à de simples postulats généralistes, n’est pas totalement éclairant.

Par exemple, au paragraphe consacré à la baisse de cotisations des entreprises, on se borne à constater qu’une telle mesure devrait relancer l’activité.

En ce qui concerne l’impact de cette même mesure sur les émissions de carbone, les auteurs du rapport indiquent pour toute analyse : « À technologie inchangée, toute mesure favorable à l’activité implique […], nécessairement, une hausse des émissions de gaz à effet de serre ». Évidemment, il serait intéressant d’aller un peu plus loin.

C’est en effet lorsque l’analyse des indicateurs permettra véritablement d’influer sur les choix de politiques publiques que l’on pourra considérer que l’objectif de notre proposition de loi aura été atteint.

Toutefois, je dois le dire, ce document a déjà l’immense mérite d’exister. Pour citer M. le Premier ministre, dans son éditorial : « La publication de ce rapport n’est pas un aboutissement, mais un point de départ. » Merci, et à bon entendeur, salut !

À nous, donc, de nous saisir de ce rapport pour susciter le débat et en faire petit à petit un outil incontournable d’évaluation et d’élaboration des politiques publiques.

Il manque néanmoins un dernier élément, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, pour que la société civile et, bien sûr, le Parlement puissent pleinement jouer leur rôle : il s’agit de l’intelligibilité des documents budgétaires.

Le projet de loi de finances et ses documents annexes occupent chaque année plus d’un mètre linéaire de rayonnage et, pourtant, il est encore impossible d’y trouver la réponse à ces questions simples : quel est le niveau consolidé et quelle est l’évolution réelle de nos engagements budgétaires, par exemple en matière d’écologie ?

Pour rester sur cet exemple, on peut comprendre qu’il soit régulièrement nécessaire de procéder à des changements de périmètre des missions, mais pourquoi ne pas fournir alors les clés de conversion permettant de les neutraliser d’une année sur l’autre ? Je ne peux pas croire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que l’administration n’en dispose pas.

Pourquoi, lorsque vous proposez, par exemple, une réforme de l’impôt sur le revenu, ne dispose-t-on jamais, dans l’étude d’impact, de quelques données agrégées sur la ventilation des foyers fiscaux entre les différentes tranches ? Cela nous permettrait de chiffrer les propositions alternatives qui seraient formulées en réponse à celle du Gouvernement...

Le succès du petit ouvrage de Thomas Piketty, intitulé Pour une révolution fiscale, a en partie reposé sur la mise en ligne par l’auteur d’un petit logiciel très simple, permettant de simuler, avec quelques curseurs, sa propre réforme fiscale.

Sans aller jusque-là, il me semble que le Parlement devrait pouvoir, dans la plupart des cas, disposer des sources permettant d’assurer la reproductibilité, et donc l’analyse des raisonnements de l’administration de Bercy.

Car, au-delà des slogans ou des communications affichés, ce qui est en jeu, c’est la lisibilité et la compréhension des choix budgétaires ; il y va tout simplement de la démocratie.

Parlant de ce projet de loi de finances, monsieur le ministre, vous aviez annoncé : « La surprise, c’est qu’il n’y a pas de surprise » ! Face aux mêmes choix du Gouvernement, les écologistes afficheront donc, sans surprise, les mêmes avis.

Quant au vote final, nous nous prononcerons sur la base du texte tel qu’il aura été modifié par le Sénat.

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