Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je veux tout d’abord exprimer toute l’admiration que m’inspire l’action des services de renseignement et des services de sécurité, qui a débouché sur les résultats que l’on sait. Ces résultats démontrent, s’il en était besoin, que, pour peu qu’on leur en donne les moyens, ces services peuvent faire de grandes choses.
Depuis quelques semaines, divers événements ont quelque peu affecté un exercice budgétaire déjà fort compliqué.
Nous savons tous que nous ne possédons plus, depuis trop longtemps, de moyens financiers disponibles, sauf à augmenter la dette, ce qui serait la plus mauvaise des solutions. Il serait peut-être plus judicieux de rechercher des gisements d’économies.
La donne est simple : l’État est exsangue, son endettement est proche de 100 % du PIB. Il ne serait pas acceptable de dépasser cette limite, et il faut même faire reculer l’endettement. Or nous ne sommes pas engagés sur ce chemin.
L’État a déjà fait jouer la corde patriotique pour tenir le plus longtemps possible et restreindre son effort, en demandant à chacun de participer à l’effort national.
L’effort le plus important va, en définitive, reposer sur nos collectivités. Elles vont contribuer à hauteur de plus de 15 milliards d’euros sur quatre ans, alors qu’elles ont déjà perdu leurs maigres marges de liberté. Elles vont restreindre leurs investissements, ce qui pèsera sur l’emploi.
L’État a décidé unilatéralement cette contribution majeure des collectivités. Au-delà de ce prélèvement, il était prévu, il y a quelques jours encore, de passer en force en bouleversant la DGF, sans concertation ni analyse. Heureusement, malgré toutes vos affirmations récentes, selon lesquelles vous ne reviendriez pas sur votre réforme, vous avez intelligemment fait marche arrière. Je salue l’effort intellectuel que vous avez dû faire…
Une nouvelle donne vient de s’imposer à nous : « l’état d’urgence ».
Les annonces du Président de la République sur les moyens à mettre en œuvre auront un impact dont nous ne connaissons pas encore l’importance. Il faudra naturellement prendre en compte les 8 500 emplois nouveaux annoncés à Versailles et les moyens matériels à mettre en regard. Parallèlement, des emplois qui devaient être supprimés dans nos armées ne le seront probablement pas, d’où le besoin de moyens financiers supplémentaires.
Puis-je, en cet instant, faire rappel de deux engagements ?
Le 21 janvier, à la suite des attentats du début de l’année sur le sol français, le Premier ministre, Manuel Valls, annonçait le renforcement des moyens alloués à la lutte contre le terrorisme : 2 680 emplois et 425 millions d’euros de crédits supplémentaires y seront consacrés entre 2015 et 2017.
Le 29 avril, à l’issue d’un conseil de défense, le Président de la République indiquait que 3, 8 milliards d’euros de crédits supplémentaires allaient être dégagés en faveur de la défense entre 2016 et 2019, et que 18 750 emplois dans les armées, dont la disparition était programmée, seraient sauvegardés.
Qu’en est-il de ces engagements ? Vous aviez prévu pour 2016, comme l’a rappelé M. Dominati, une progression des crédits de seulement 0, 9 %. Quelle est la place de ces engagements dans les annonces faites par le Président de la République à Versailles ? Il n’y a, dans ma remarque, aucune critique. Il faut savoir se donner les moyens de sa politique. Ce que je souhaiterais connaître, c’est l’impact financier de ces nouvelles annonces. Ce dernier a-t-il été calculé, évalué ? Connaît-on son étalement dans le temps ?
Pour la justice, par exemple, 2 500 emplois nouveaux sont annoncés. À ce jour, 1 370 emplois ne sont pas pourvus. Cela témoigne des difficultés de recrutement et reflète probablement la problématique du temps de formation. Ces 1 370 emplois seront-ils pourvus et 2 500 nouveaux emplois s’y ajouteront-ils d’ici à la fin de 2016 ?
Aucune information ne nous ayant été fournie, nous avons fait des simulations sommaires qui nous permettent de disposer d’un ordre de grandeur de la charge supplémentaire ainsi créée. Philippe Dallier en a parlé voilà quelques instants. Je n’ai pas le sentiment que ce surcoût justifie cette formule du Président de la République : « Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité. »
Cela signifie-t-il que toute dépense nouvelle destinée à assurer notre sécurité viendra augmenter d’autant notre déficit et nous éloignera du respect de notre engagement d’atteindre 3, 3 % de déficit par rapport au PIB en 2016 ?
Je souhaite que l’on nous fournisse une analyse très précise de ces dépenses nouvelles et qu’une justification de chacune d’entre elles nous soit donnée, voire qu’une économie d’un montant équivalent soit proposée.
Nous pensons sincèrement que ces dépenses nouvelles, non discutables sur le fond, peuvent largement être financées par des économies. Nous allons en proposer de nombreuses, et il nous revient d’en chercher d’autres ensemble. Lorsque la sécurité devient prioritaire, lorsque l’on est en guerre, on peut probablement consentir, par patriotisme, à abandonner un ou deux jours de congés par an, pris sur les RTT, ou accepter des jours de carence. Vous le savez, grâce aux RTT, nombre de salariés parviennent à cumuler dix, onze, voire douze semaines de congés. Il n’est pas pensable de laisser filer nos déficits, alors que nous pouvons consentir des efforts individuels. Nous annonçons que nous sommes en guerre, et nous voulons vivre comme si nous ne l’étions pas !
Je vais évoquer quelques pistes d’économies.
L’effort de guerre pourrait amener à s’interroger sur le maintien des 35 heures ou d’un temps de travail parfois inférieur encore dans certaines professions ou certains services publics. Divers avantages acquis, qui ne se justifient plus à notre époque, ne pourraient-ils être renégociés au vu des circonstances ? Nous avons refusé de faire des efforts dans le cadre d’une guerre économique ; allons-nous l’accepter dans le cadre d’une guerre contre le terrorisme ?
Faut-il encore envisager de créer une nouvelle chaîne de télévision publique ?
Ne faut-il pas s’interroger sur le démantèlement progressif de l’État au travers de la mise en place d’agences et sur le coût anormal de celles-ci ? Notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx a remis un excellent rapport sur le sujet.
Ne peut-on se poser des questions à propos des 60 000 nouveaux emplois annoncés, et pour partie créés, dans l’éducation nationale ?
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à accepter le principe que le pacte de stabilité ne doit pas obligatoirement être remis en cause par le pacte de sécurité ?
Comme vous le savez, la « clause d’assistance face au terrorisme » vient d’être mise en œuvre par les Vingt-Huit. L’article 42 du traité sur l’Union européenne implique un devoir d’assistance. Cela peut-il conduire à un partage de coûts entre États et, éventuellement, avoir une incidence sur nos dépenses dans certains domaines ? Si oui, lesquels ?
Je passerai maintenant à un tout autre sujet, beaucoup plus terre à terre, mais important pour le fonctionnement de nos collectivités : l’adaptation de la fiscalité locale aux évolutions institutionnelles relatives aux régions. Si j’en parle, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, c’est pour vous permettre d’y réfléchir avant que nous n’y revenions dans la suite de la discussion du projet de loi de finances.
Afin d’accompagner des transferts de compétences, vous proposez de porter de 25 % à 50 % la part de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, ou CVAE, revenant aux régions, à compter de 2017. Corrélativement, vous abaissez de 48, 5 % à 23, 5 % la part allouée aux départements.
Vous avez précisé que le Gouvernement produira un rapport permettant de garantir la bonne adéquation entre ressources affectées aux régions et transferts de compétences entre départements et régions.
La base du transfert financier est principalement justifiée par le transfert de la compétence « transports scolaires ». Cela mérite une analyse extrêmement précise.
Je note que, dans l’Île-de-France, les transports scolaires sont de la compétence de la région. Y aura-t-il un prélèvement à ce titre ?
Quels sont la réalité et le contenu de la compétence « transports scolaires » ?
L’obligation incombant aux départements se résume, selon la loi, à « l’organisation des transports » et à la seule prise en charge du coût du transport pour les élèves handicapés. Organisation et coût sont deux notions fort différentes. La prise en charge, variable selon les départements, du coût du transport des élèves est un choix politique local, totalement libre, fait par les départements. Ils n’ont aucune obligation en la matière.
Dans ces conditions, doit-on transférer, au travers de la CVAE, l’équivalent du coût actuel, supporté au titre d’un choix politique, de la prise en charge des élèves, qui ne relève pas d’une compétence obligatoire ? Je le répète, il n’est nullement inscrit dans la loi que le coût du transport doit être assumé par les collectivités départementales : elles sont libres de le décider ou non.
À ce jour, la loi autorise déjà les régions à prendre en charge le coût du transport des élèves des lycées. Je l’ai fait moi-même inscrire dans un précédent texte. Cela montre qu’il n’y a pas transfert de charges au sens de la loi, puisqu’il n’y a pas transfert d’une compétence obligatoire.
J’estime donc que votre raisonnement sur le transfert de la charge relative aux transports scolaires ne tient pas pour 99 % de son montant. Je vous pose la question : allez-vous revoir votre analyse sur la légalité de ce prélèvement sur la CVAE des départements ?